Quattrocento, l’histoire d’une redécouverte

Quattrocento GreenblattFasciné par les idées développées par le poète latin Lucrèce dans une œuvre écrite il y a deux millénaires, Stephen Greenblatt a choisi de nous raconter un épisode peu connu de l’histoire mais néanmoins décisif pour son évolution, celui de la découverte par Poggio Bracciolini d’un livre jusque là perdu. Perdu ou plus exactement oublié, même s’il avait fait l’objet d’un intérêt particulier à plusieurs reprises pendant le Moyen Age, l’héritage culturel de l’Antiquité n’ayant jamais totalement disparu pendant cette période.

Au XVème siècle, « il quattrocento » en italien, Poggio Bracciolini, ou Le Pogge, a perdu depuis peu son poste de secrétaire apostolique du pape Jean XXIII, parce que ce dernier vient d’être déposé, -au moment du grand schisme d‘occident-, et décide donc de se lancer dans la recherche d’anciens manuscrits. C’est ainsi qu’en 1417, il découvre une copie du « De Natura Rerum » (De la nature) de Lucrèce, la fait copier et l’envoie à Florence pour qu’elle y soit diffusée.

La découverte de cette copie marque le début d’un nouvel intérêt pour l’épicurisme, philosophie dont Lucrèce s’inspire largement et qui, d’après Greenblatt, a sûrement nourri les esprits ouverts de la Renaissance ; car si le « De Natura Rerum » a d’abord été très faiblement diffusé puis interdit à Florence en 1516, il avait déjà été imprimé ailleurs, l’invention de Gütenberg s’étant déjà répandue à travers l’Europe. Lucrèce et Epicure ont ainsi influencé la vie intellectuelle de la Renaissance : l’auteur nous apprend, entre autres, que Machiavel a recopié « De Natura Rerum » pour son usage personnel, que l’œuvre de Lucrèce a été à la base de « L’utopie » de Thomas More, et que Montaigne s’en est inspiré.

Stephen Greenblatt évoque également les scientifiques brillants qui ont remis en question les croyances de l’époque, proposant une nouvelle vision de la nature des choses. Lucrèce remet en effet en lumière l’un des principes de la physique épicurienne : « rien ne nait de rien, rien ne retourne au néant ». Pour Lucrèce, tout est constitué d’atomes, dont le mouvement a donné lieu à toutes sortes de combinaisons, d’où le monde est né.

Au-delà de la belle histoire de cette redécouverte de l’héritage de l’Antiquité, « Quattrocento » nous apprend beaucoup. Nous faisons d’abord connaissance avec Poggio Bracciolini qui évoluait dans l’univers sombre et cruel de la curie romaine, dont les abus l’avaient fait souffrir, mais qui fut sauvé par sa bibliophilie, les livres ayant toujours représenté pour lui une échappatoire. Le Pogge se disait d’ailleurs libre de lire, de «s’abstraire mentalement du chaos du monde». Nous apprenons également que nous devons au Pogge une calligraphie encore admirée six siècles après son invention. Nous faisons connaissance avec Niccoli, ami du Pogge, qui partageait sa passion pour les textes de l’Antiquité et ressuscita le concept de bibliothèque publique, fondé sur le modèle romain. Enfin, l’auteur nous expose les principaux thèmes de la philosophie de Lucrèce, elle-même inspiré du grec Epicure.

« Quattrocento » est un livre érudit qui nous emmène tour à tour de la Rome antique avec ses copistes et ses scribes (les premiers étaient généralement des esclaves, les seconds des citoyens libres), à la grande bibliothèque d’Alexandrie, aux monastères européens du Moyen Age, jusqu’aux intrigues du pape contesté, Baldassare Cossa, et à la Florence de Savonarole, pour finir dans la philosophie de Thomas Jefferson (Président des Etats-Unis et rédacteur de la Déclaration d’indépendance).

À une époque où l’étude des langues anciennes est souvent remise en question, Stephen Greenblatt nous fait partager sa fascination pour Lucrèce en nous donnant envie de nous plonger, ou de nous replonger, pour ceux qui ont fait du latin, dans le traité de Lucrèce  « De la nature ». Un livre à ne pas manquer, un de mes coups de cœur de l’année 2013, aujourd’hui disponible en édition de poche !

 

 

Stephen Greenblatt est professeur de littérature anglaise à l’université d’Harvard et membre de l’Académie américaine des arts et des sciences. « Quattrocento », publié en 2011 aux Etats-Unis, a reçu le Prix Pulitzer et le National Book Award, deux des plus grands prix littéraires américains.

Quattrocento, Stephen Greenblatt, traduit de l’anglais par Cécile Arnaud, Flammarion, collection Libres champs Poche, Paris, mars 2015.

 

Livre lu dans le cadre du challenge histoire, chez Lynnae

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