Archive | juin 2015

Le châle chinois, de Patricia Wentworth

Le châle chinoisPour terminer ce mois anglais, j’ai choisi une lecture beaucoup plus légère que les deux précédentes : « Le châle chinois » écrit en 1943 par Patricia Wentworth, une auteure britannique que j’ai beaucoup lue il y a une dizaine d’années. Dans ce roman policier, Patricia Wentworth prend le temps de planter le décor et de nous présenter le milieu familial dans lequel l’intrigue va se dérouler. Ce n’est en effet qu’après vingt chapitres que le premier crime est commis !

Laura Lane est une jeune orpheline qui devient, à l’occasion de son vingt-et-unième anniversaire, propriétaire de la demeure que possédaient ses parents, le Prieuré. Ce dernier est loué à Agnès Lane, une cousine de la famille, qui aurait dû épouser le père de Laura vingt-deux ans auparavant. Mais, le père de Laura lui avait préféré au dernier moment la jolie Lilian, au grand désespoir d’Agnès qui s’était alors enfuie à cheval, faisant une chute qui la condamnait à passer le reste de ses jours dans un fauteuil roulant. Agnès, qui vivait déjà au Prieuré, en était restée la locataire pendant toutes ces années. N’ayant pas eu d’enfant, elle avait recueilli sa nièce, Tanis.

Au moment où commence le roman, Agnès espère acheter le Prieuré pour le léguer ensuite à Tanis. Agnès fait donc une offre d’achat à Laura, mais celle-ci n’a aucune envie de se séparer du seul souvenir qu’il lui reste de ses parents. Agnès invite alors Laura à séjourner au Prieuré, en espérant trouver l’occasion de convaincre la jeune fille de vendre son bien.

Arrivée dans la belle demeure, Laura fait la connaissance de la jolie Tanis, connue pour tourner autour des maris ou fiancés de … ses amies ! Je ne veux pas divulgâcher, pour reprendre le néologisme québécois, mais vous aurez compris que la belle et odieuse Tanis sera la victime du « châle chinois ». La quatrième de couverture s’empresse d’ailleurs de l’annoncer !

Reste à trouver l’assassin, travail difficile car tout le monde aurait eu une bonne raison de tuer Tanis. L’inspecteur de police chargé de l’enquête, Randal, se lance rapidement sur une mauvaise piste. Heureusement, Miss Maud Silver, qui fut autrefois son institutrice, et qui se trouvait sur les lieux afin d’enquêter sur une série de vols mineurs, aiguille l’inspecteur sur la bonne voie : parce qu’elle connaît très bien la nature humaine, Miss Silver mène son enquête à partir d’une observation très fine du comportement de chacun… Bref, un roman pas très compliqué, mais bien sympathique, pour terminer ce mois anglais !

 

Le châle chinois, Patricia Wentworth, traduit de l’anglais par Anne-Marie Carrière et Sophie Vincent, 10/18 n°2494, collection Grands Détectives, Paris, 1995.

 

Lu dans le cadre du mois anglais chez Titine, Lou et Cryssilda

mois anglais 3

Challenge Destination PAL

 

 

Destination PAL

 

Cette année j’ai décidé de m’inscrire au challenge destination PAL chez Lili Galipette, un challenge parfait pour les vacances, qui commence le 1er juillet et se termine le 31 août. J’ai choisi la version PAL d’été : il s’agit de préparer une liste de lectures de vacances, la PAL de départ, puis de la comparer à la fin des vacances avec la PAL d’arrivée, dans un article récapitulatif, à envoyer à Lili galipette avant le 30 septembre.

Rien de plus simple, et cela vous permet d’avoir un petit avant-programme des billets qui devraient être publiés au cours des prochains mois. Quant à moi, cela m’aidera peut-être à préparer ma valise… de livres !

 

Donc voici ma PAL de départ :

 

-Prenez soin du chien, J.M Erre.

-Long week-end, Joyce Maynard.

-Tar Baby, Toni Morisson.

-Fragonard, l’invention du bonheur, Sophie Chauveau.

-Les falsificateurs, Antoine Bello.

-Intrigue à l’anglaise, Adrien Goetz.

-Intrigue à Versailles, Adrien Goetz.

-Intrigue à Venise, Adrien Goetz.

-Un tour de passe-passe, Marco Malvaldi.

Et du côté des classiques :

-Marie-Antoinette, de Stephen Zweig.

-Ruy-Blas, de Victor Hugo.

-Indiana, George Sand.

 

Voilà, cela fait douze, ce n’est pas énorme pour deux mois, mais ma valise n’est pas si grosse et il y aura de toute façon au moins deux librairies sur mon chemin, l’une en France, l’autre en Italie…

Et vous, que prévoyez-vous de lire cet été ?

 

 

 

 

Retour au meilleur des mondes

Retour au meilleur des mondes huxleyAldous Huxley (1894-1963) a écrit « Le meilleur des mondes«  en 1931 et cette contre-utopie futuriste est rapidement devenue un succès international. Trente ans plus tard, en 1958 exactement, Aldous Huxley revient sur ce succès en publiant « Retour au meilleur des mondes » dans lequel il constate que ce qui était pure imagination de sa part s’est en partie réalisé. Il décrit celles de ses prédictions qui ont pris forme sous ses yeux au cours des trois décennies qui se sont écoulées depuis qu’il a publié « Le meilleur des mondes ». Alors qu’ en 1931, il pensait que ce qu’il avait imaginé n’adviendrait pas de son vivant ni même du vivant de ses petits-enfants, force est pour lui de reconnaître qu’il était davantage dans la prémonition que dans la contre-utopie.

Dans « Retour au meilleur des mondes », l’auteur pointe du doigt les évolutions négatives de nos sociétés occidentales qui, selon lui, nous conduisent vers la dictature. Il dénonce tout d’abord la surpopulation, « ennemi biologique aveugle de la liberté », mais aussi la puissance née du progrès technique qui conduit à une centralisation des pouvoirs politiques et économiques ainsi qu’au développement d’une société toujours plus organisée et toujours plus contrôlée. Une société qui, selon Huxley, ne procure plus le bonheur mais au contraire, des maladies mentales nées d’une frénésie de travail entrecoupée de prétendus plaisirs. L’auteur dénonce également l’excès d’organisation qui brise la créativité, et fait naître la passivité. La population est alors déshumanisée ; vient ensuite le temps de la propagande qui met à mal la société démocratique. La propagande peut être rationnelle et viser à servir les intérêts de tous mais elle est aussi très souvent dictée par la passion :

« Si les politiciens et leurs électeurs n’étaient mus que par le dessein de servir leur intérêt à long terme et celui de leur pays, ce monde serait un paradis terrestre. En réalité, ils agissent souvent contre leur propre avantage, simplement pour assouvir leurs passions les moins honorables ; c’est pourquoi nous visvons dans un lieu de souffrances ».

Huxley analyse ensuite les différents modes de propagande qui conduisent à la dictature. Il décrit les procédés qui permettent de manipuler les foules comme les individus isolés. Il précise que nous sommes encore loin du conditionnement infantile tel qu’il le développe dans « Le meilleur des mondes », mais que les dirigeants vont bientôt commencer par pratiquer le lavage de cerveau.

L’auteur poursuit en critiquant l’absence de prise en compte des facteurs génétiques dans l’analyse de l’évolution des êtres humains modernes, et la trop grande importance accordée au milieu social et à l’éducation qui en découle. Heureusement, écrit-il, la standardisation génétique est encore impossible, -nous sommes toujours en 1958- notamment telle qu’elle existe dans « Le meilleur des mondes » .

En effet, « n’ayant pas la possibilité d’imposer l’uniformité génétique aux embryons, les dirigeants du monde trop peuplé et trop organisé de demain essaieront d’imposer une uniformité sociale et intellectuelle aux adultes et à leurs enfants ». Pour éviter cela, Aldous Huxley rappelle que seule l’éducation nous permettra d’être libres et aptes à nous gouverner nous- mêmes. Mais éduquer à l’examen critique peut conduire à la subversion et est donc risqué pour les pouvoirs en place, car il peut conduire au désordre social en permettant la contestation de la propagande officielle. Nous pensons ici au totalitarisme soviétique, mais pas seulement…

Huxley prédit que, faute de remédier à la surpopulation et à l’excès d’organisation, nos démocraties occidentales changeront de nature pour aller vers « une nouvelle forme de totalitarisme non violent ». Quant aux solutions à appliquer, Huxley pense que nous savons ce qu’il faudrait faire mais nous n’avons encore jamais été capables de le mettre en œuvre. Il conclut en appelant les humains à lutter pour leur liberté, car « c’est notre devoir« , dit-il, lorsque celle-ci est remise en cause.

« Retour au meilleur des mondes  » est un ouvrage édifiant, qui donne froid dans le dos à plus d’un titre. A lire après avoir lu, ou relu, « Le meilleur des mondes » et aussi « 1984″ de George Orwell auquel Aldous Huxley fait également référence.

 

Retour au meilleur des mondes, Aldous Huxley, traduit de l’anglais par Denise Meunier et révisé par Hélène Cohen, Plon, collection Feux croisés, 2013, 125 p.

Existe en Pocket, n° 1645, 2006.

 

Livre lu dans le cadre du mois anglais chez Lou, Titine et Cryssilda.

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Deux classiques de la littérature anglaise d’anticipation

Pour ce mois anglais, j’ai choisi de relire deux grands romans d’anticipation, qui sont des classiques du genre, parce qu’une discussion récente avec des étudiants a attiré mon attention sur le fait que ces deux romans n’étaient pas connus de tous, contrairement à ce que j’imaginais… En effet, si je vous dis « Big Brother », ou « les Alpha, les Bêta et les Epsilon », vous reconnaîtrez sans doute « 1984 » et « Le meilleur des mondes ». Reste à savoir lequel des deux romans est l’oeuvre de George Orwell, et lequel nous devons à Aldous Huxley ? L’essentiel n’est pas là, mais plutôt dans la vision que ces deux auteurs anglais ont eue du monde futur. Un monde qui n’est pas loin de se réaliser sous nos yeux… Alors, visionnaires, Huxley et Orwell ?

 

1984

1984

 

George Orwell emmène le lecteur de 1949, à Londres, en 1984 : après avoir connu l’horreur des guerres nucléaires, le monde se trouve divisé en trois grands blocs dirigés par des puissances totalitaires qui sont en guerre les unes contre les autres, pour obtenir le contrôle du quart monde, un ensemble de territoires restés libres. Le héros principal de 1984, Winston Smith, vit à Londres, la capitale d’Océania. Il travaille au Ministère de la Vérité où il est chargé de remanier les archives historiques afin de les adapter à la thèse officielle du Parti. Mais Smith désapprouve ce travail et, décidant de résister, il commence à tenir un journal pour garder une trace de la vérité.

Mais le fonctionnaire est confronté à un problème de taille : il ne doit pas être vu du télécran qui trône dans son salon, comme dans toutes les habitations d’Océania. Cet écran distille en permanence la propagande du Parti, et permet également à celui-ci de contrôler ce qui se passe chez les habitants. Une sorte de webcam impossible à éteindre ! Winston réussit toutefois à se dissimuler dans un coin pour écrire, pas trop longtemps cependant pour ne pas risquer d’éveiller les soupçons de Big Brother quand il disparaît de son champ de vision.

Ce roman d’anticipation fait froid dans le dos quand on songe aux progrès techniques qui se sont réalisés dans le sens de ce que l’auteur annonçait, et à l’omniprésence des écrans qui en découle, comme dans 1984. Big Brother surveille les citoyens où qu’ils soient, quoi qu’ils fassent. Nous n’en sommes parfois plus très loin. Et puis, il y a aussi la novlangue et l’appauvrissement du langage, de la pensée et des concepts. Dans 1984, l’utilisation de la novlangue aboutit à la multiplication des slogans réducteurs, tels que « La guerre, c’est la paix », « La liberté, c’est l’esclavage », « L’ignorance, c’est la force » … !

 

Le meilleur des mondes

 

Le meilleur des mondes

 

C’est le roman qui a rendu célèbre Aldous Huxley, dès sa parution en 1932. Huxley est pourtant aussi l’auteur de nombreux romans et essais, sans compter les nouvelles et récits de voyage. Cet auteur britannique, né en 1894 dans le Surrey et mort à los Angeles en 1963, s’est intéressé aux conséquences des programmes scientifiques pour l’humanité. Plus qu’un écrivain, ce fut un intellectuel, un penseur humaniste.

Alors que « 1984 » est plutôt un roman d’anticipation politique, « Le meilleur des mondes », relève plutôt de l’anticipation scientifique. L’humanité y est regroupée au sein d’un Etat mondial. Seul quelques « sauvages » vivent encore dans des réserves. Les êtres humains naissent dans des laboratoires où ils ont été fabriqués, puis ils sont conditionnés de différentes manières, en fonction du travail auquel ils sont destinés. Ainsi, les Alphas recevront un enseignement soigné car ils formeront l’élite de la société. À l’autre bout de l’échelle sociale, se trouvent les Epsilons, dont on a freiné le développement tant physique qu’intellectuel, puisqu’ils sont programmés pour exécuter des taches manuelles sans difficulté !

Dans ce « Meilleur des mondes », la contraception est généralisée et obligatoire, et la maternité est taboue. Elle fait de la future mère, espèce rebelle heureusement en voie de disparition, un paria de la société ! Le sexe reste un loisir, comme le Soma, drogue distribuée aux travailleurs qui peuvent plâner tout le week-end en attendant de recommencer la semaine suivante : ainsi anesthésiés, ils ne se révolteront pas !

 

***

Ces quelques paragraphes ne suffisent pas à résumer deux œuvres brillantes de la littérature anglaise du XXème siècle. Mon propos n’était pas de les analyser ; il y aurait en effet tant à dire quant aux références historiques, économiques et politiques sur lesquelles elles sont fondées (ainsi que littéraire, « Brave new world » faisant référence à la fois à Shakespeare et Votaire) ! Ces deux romans sont également très différents, même s’ils se complètent. Mais je voulais juste rappeler combien leur lecture était utile et nécessaire à la compréhension du monde actuel. C’est ce qui fait les grands auteurs !

Et vous avez-vous lu l’un de ces deux romans ? Les avez-vous étudiés à l’école, à l’université ? Les avez-vous découvert ensuite et lequel avez-vous préféré ?

 

1984, George Orwell, traduit de l’anglais par Amélie Audiberti, Folio n°822, Paris, 2009, 408p.

Le meilleur des mondes, Aldous Huxley, traduit de l’anglais par Jules Castier, Pocket n° 1438, 2011, 319 p.

 

Livres lus dans le cadre du mois anglais chez Titine, Lou et Cryssilda.

mois anglais 3

Pandemia, de Franck Thilliez

pandemiaQuelques jours après sa sortie, le 4 juin, le nouveau thriller de Franck Thilliez était déjà en tête des romans et en septième position du top 20 GFK/Livres hebdo) des livres vendus en France. Je n’ai pas résisté à la tentation, non pas pour moi, mais pour un proche qui, depuis quelques années, ne manque jamais le nouveau Thilliez. Et tant qu’à faire, autant le lire aussi… Mais attention à l’addiction, « Pandemia » est sans conteste un  « page turner » ! Je vous recommande donc d’avoir un peu de temps devant vous.

« Pandemia » est le deuxième « polar scientifique » de Thilliez que je lis après « Puzzle », paru en 2013, et je n’ai pas été déçue. Comme le premier, je n’ai pas pu le lâcher et je lui ai fait un sort en deux (très longues) soirées. D’entrée de jeu, on fait la connaissance d’une jeune microbiologiste de l’Institut Pasteur de Paris. Amandine Guérin a un look assez particulier, avec des cheveux roux longs de … quelques millimètres, quand ils ne sont pas carrément rasés. Elle partage sa vie, et son appartement (partagé au sens physique du terme puisqu’une baie vitrée de plexiglas le coupe littéralement en deux), avec son mari Phong, scientifique lui-aussi, et obligé de rester à la maison sous atmosphère protectrice depuis qu’une méchante maladie l’a privé de défenses immunitaires, rendant dangereux tout contact avec l’extérieur.

D’entrée de jeu, Amandine est appelée à se rendre dans le parc ornithologique du Marquenterre, en raison d’une alerte sanitaire lancée suite à la découverte de cadavres d’oiseaux migrateurs. En même temps, les effectifs du 36, quai des Orfèvres, où l’on retrouve Franck Sharko et son épouse Lucie, se voient rapidement réduits en raison d’une épidémie de grippe… Juste au moment où un homme et son chien sont retrouvés odieusement mutilés en forêt de Meudon. Il faut trouver du renfort, et même Camille, la petite amie de Nicolas, l’un des collègues de Sharko, vient du service comptabilité pour grossir les rangs de la police judiciaire.

Pas de temps mort dans cette nouvelle aventure de Franck Sharko et Lucie Hennebelle, secondés par Amandine et les scientifiques de l’Institut Pasteur, et qui nous entraîne dans l’univers angoissant du bioterrorisme, nouveau visage de l’enfer de Dante. De quel type de microbe s’agit-t-il ? L’épidémie atteindra-t-elle le stade de la pandémie ? Qui se trouve derrière tout cela, comment un homme a-t-il pu en arriver à ce degré de noirceur, d’horreur ?

Le personnage d’Amandine, scientifique à la limite de la paranoïa par amour, m’a tout particulièrement plu. Séverine également, qui illustre bien la faiblesse de la frontière qui sépare le Bien du Mal. Dans « Pandemia » Franck Thilliez maîtrise parfaitement la narration, allant et venant entre l’enquête officielle conduite par Sharko et son équipe, et celle que mène la microbiologiste de l’Institut Pasteur. L’auteur nous donne des sueurs froides, à notre plus grand plaisir, si l’on aime se faire peur, mais nous conduit aussi à réfléchir à ni plus ni moins que l’avenir de l’espèce humaine. Du grand art pour les amateurs du genre !

 

Pandemia, Franck Thilliez, Fleuve Editions, collection fleuve noir, Paris, juin 2015, 645 p.

Une fille, qui danse, de Julian Barnes

CVT_Une-fille-qui-danse_7000Après « Le liseur », me voici tout à fait par hasard dans une lecture qui traite de thèmes communs à ceux évoqués par Bernhard Schlink. En effet, dans « Une fille, qui danse », de Julian Barnes, il est à nouveau question de responsabilité et de culpabilité, mais dans un registre beaucoup plus personnel, puisque Tony, le narrateur, se penche sur son passé pour explorer l’étrange relation sentimentale qu’il a vécue, quarante ans auparavant, avec sa première petite amie. Une relation qui aura des répercussions sur toute sa vie.

C’est bien la petite histoire que Julian Barnes convoque ici, mais elle est universelle, car elle se double d’une interrogation sur le temps et sur ce que, parvenus à un certain âge, nous pensons avoir fait de notre vie. Une question qui s’impose précisément au narrateur, lorsqu’il reçoit la lettre d’un notaire lui annonçant que Mrs. Ford a fait de lui le légataire du journal intime d’un ancien camarade d’études, Adrian.

Mrs Ford était la mère de Veronica, première petite amie de Tony, quarante ans plus tôt. La relation sentimentale ne dura que peu de temps, puisque bien vite, Veronica quitta Tony pour Adrian. Ce même Adrian qui s’était suicidé quelques temps après, suscitant l’admiration de ses camarades qui ne voulaient voir dans le « suicide de première classe » de cet étudiant supérieurement intelligent qu’un acte d’un grand courage et d’une portée hautement philosophique, conformément aux principes qu’Adrian défendait d’ailleurs.

Parvenu à l’âge de la retraite, divorcé, Tony se plonge dans ses souvenirs pour répondre aux questions nées de ce legs étrange : pourquoi Mrs Ford possédait-elle ce journal intime, et pourquoi a-t-elle choisi de le lui léguer, alors qu’ils ne s’étaient rencontrés qu’une fois, lorsque Veronica l’avait invité à passer un week-end dans sa famille ? Peu à peu resurgissent des moments qui étaient jusqu’alors enfouis. Une lettre également, acide, que Tony avait envoyée à Veronica et Adrian lorsqu’il avait appris qu’ils étaient ensemble.

Julian Barnes déroule tranquillement ce roman, en s’enfonçant dans l’introspection et en s’interrogeant sur ce que le temps modifie en nous, jusqu’à découvrir la vérité. Tony n’avait « jamais rien pigé », comme le lui reproche Veronica quarante ans après les faits, mais comment l’aurait-il pu ? Le lecteur non plus, jusqu’à la révélation. Une belle lecture, couronnée en 2011 par le Man Booker Prize, pour poursuivre ce mois anglais !

 

Une fille, qui danse, Julian Barnes, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, Bibliothèque étrangère, Paris, 2013, 193 p.

Paru également en Folio en mai 2014, n°5778, 224 p.

une fille qui danse Folio

 

Lu dans le cadre du mois anglais chez Cryssilda, Lou et Titine.

mois anglais 3

 

Pour Isabel, d’Antonio Tabucchi

pour Isabel un mandala

En plein mois anglais, je n’ai pas pu m’empêcher de faire un petit détour par la littérature italienne pour découvrir ce court roman d’Antonio Tabucchi.

Paru à titre posthume, selon la volonté exprimée par l’auteur, « Pour Isabel, un mandala » est un roman étrange, mais très beau, dans lequel nous suivons le narrateur dans sa recherche d’une jeune femme qui a mystérieusement disparu. Isabel était étudiante à Lisbonne sous la dictature de Salazar. Tadeus, le narrateur, a perdu sa trace. On ne sait que peu de choses d’Isabel. L’auteur ne nous en dit d’ailleurs pas davantage sur Tadeus, sinon qu’il a connu Isabel au lycée, à Lisbonne.

Dans sa recherche, Tadeus procède par cercles concentriques, interrogeant tous ceux qui ont connu Isabel et se rapprochant ainsi peu à peu du cercle central censé apporter une réponse à ses questions.

 

« Mais vous êtes qui ?, demanda-t-il en me fixant. Celui qui est indiqué sur le billet, répondis-je, je suis Tadeus. Je ne vous connais pas, répliqua-t-il. Mais vous connaissiez Isabel, dis-je, c’est pour cela que vous me recevez dans votre appartement, le nom d’Isabel a évoqué votre curiosité. Isabel appartient au passé, répondit-il. C’est possible, dis-je, mais je suis ici pour reconstruire ce passé, je suis en train de faire un mandala ».

 

Et ce passé est difficile à reconstruire. Pour certains, Isabel est morte. Pour d’autres, sa mort mise en scène n’était qu’un moyen d’entrer dans la clandestinité afin d’organiser la résistance face à la dictature salazariste. Tadeus n’abandonne pas sa quête, emmenant le lecteur du Portugal à Macao, puis en Suisse et sur la Riviera napolitaine. L’enquête policière devient quête existentielle et retrouver Isabel n’est peut-être pas si important…

« Pour Isabel, un mandala » est un voyage dans le temps, à la recherche de cette jeune femme déjà évoquée par Antonio Tabucchi dans « Requiem« . Un roman envoûtant et poétique où tout se déroule dans une atmosphère onirique qui m’a fait penser à l’ambiance que l’on retrouve chez Modiano.

 

Pour Isabel, un mandala, Antonio Tabucchi, traduit de l’italien par Bernard Comment, Gallimard, Paris, septembre 2014, 153 p.

 

Lu dans le cadre du challenge Il viaggio chez Eimelle, et Italie 2015 chez Virginy.

challenge italie

 

drapeau-italie-challenge-2015

 

 

 

 

 

 

 

 

Jeux de glaces, d’Agatha Christie

jeux-de-glaces-masquePour débuter ma participation à ce mois anglais, j’ai choisi de retrouver Miss Marple, l’héroïne récurrente de nombreux romans d’Agatha Christie. Cette délicieuse vieille dame anglaise, discrète mais perspicace, use de son expérience et de sa connaissance profonde de la nature humaine, pour résoudre les enquêtes auxquelles elle se trouve confrontée. On la retrouve ici dans « Jeux de glaces » aux côtés d’une vieille amie, Mrs. Ruth Van Rydock, qui s’inquiète depuis quelques temps pour sa sœur, Carrie-Louise, que Mrs Marple a très bien connue dans sa jeunesse. Ruth parvient à convaincre Mrs Marple de se rendre à Stonygates chez Carrie-Louise, afin de veiller sur la santé de la maîtresse de maison.

Et c’est d’une maison bien particulière qu’il s’agit, puisque Stonygates, édifice gothique de l’époque victorienne, a été transformé en centre d’accueil pour jeunes délinquants par le troisième mari de Carrie-Louise, Lewis Serrocold, qui était « littéralement obsédé par le problème du sauvetage des jeunes criminels ». Outre Carrie-Louise, son mari, les jeunes délinquants ainsi qu’une armée de psychiatres, vivent à Stonygates, Mildred, la fille que Carrie-Louise a eu de son premier mari, Gina, sa petite-fille (fille d’une fille adoptive), ainsi que certains des enfants que ses deux premiers maris avaient eus en première noce (une famille recomposée très compliquée pour l’époque !). Il est donc très important de lire attentivement le début du roman pour situer les personnages et comprendre leurs liens. Ces relations familiales représentent d’ailleurs l’un des aspects les plus intéressants du roman.

Certains personnages sont également de passage, comme Christian Guldbransen, fils du premier mari de Carrie-Louise et administrateur de la fondation pour les jeunes délinquants, venu à l’improviste s’enquérir de la santé de Carrie-Louise, lui aussi. Carrie-Louise est souffrante en effet, et il semble qu’elle présente tous les symptômes d’un empoisonnement lent à l’arsenic. L’affaire se corse lorsque, le soir même de son arrivée à Stonygates, Christian Guldbransen est retrouvé mort, à son bureau, alors qu’il était en train de taper une lettre … qui a disparu !

L’enquête commence alors. Il y a quelques suspects, mais on se surprend vite à suspecter tout le monde. Agatha Christie nous entraîne, comme à son habitude, sur différentes pistes. Heureusement, Miss Marple, observatrice, bien qu’elle ait l’air de ne pas y toucher, aide l’inspecteur Curry venu enquêter à Stonygates. Et c’est finalement en regardant la scène du crime comme une pièce de théâtre que Miss Marple résoud l’énigme !

Jeux de glaces, Agatha Christie, traduit de l’anglais par Clarisse Fremiet, Librairie des Champs Elysées, Collection Le masque, Paris, 1953, 186 p. 

Et dans une édition plus récente : Jeux de glaces, Agatha Christie, traduit par Jean-Marc Mendel, Le livre de poche, 1988, 218 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois anglais organisé par Cryssilda, Titine et Lou.

Deux des très jolis logos :

mois anglais 2

 

mois anglais 3

Le liseur, de Bernhard Schlink

Le liseurNous sommes dans une petite ville des environs de Mannheim, non loin du Rhin. Un garçon de quinze ans, Mickaël, se trouve mal en rentrant du lycée et une femme vient à son aide et le raccompagne jusque devant chez lui. Après plusieurs mois d’alitement suite à une jaunisse, Mickaël peut enfin retourner au lycée. Mais d’abord, sur le conseil de sa mère, il apporte des fleurs à la femme qui l’a aidé, et c’est ainsi que débute une relation entre l’adolescent et Hanna Schmitz, une jolie célibataire de trente-six ans, assez énigmatique. Anna est receveuse de tramway, elle ne parle jamais d’elle, ni de sa famille ou de son passé.

La relation qui se développe ainsi est atypique, compte tenu bien sûr de la différence d’âge, et parce qu’elle suit bientôt un rituel immuable. Mickaël se rend presque tous les jours chez Hanna, il lui fait la lecture, de grands classiques en général, puis ils prennent un bain et s’aiment. C’est un échange où chacun des partenaires a quelque chose à apprendre à l’autre. Cela dure des mois jusqu’à ce qu’un jour, Mickaël trouve l’appartement vide. Le garçon éprouve aussitôt de la culpabilité : a-t-il trahi Hanna, lorsqu’il passait des moments avec des jeunes de son âge ? Mais Hannah est bien partie, fin de la première partie.

Quelques années plus tard, Mickaël est étudiant. Il s’inscrit à un séminaire de droit consacré à l’interdiction des condamnations rétroactives, pour lequel il est amené à suivre le procès de cinq femmes, anciennes surveillantes dans un petit camp de concentration qui dépendait d’Auschwitz. Hannah se trouve parmi elles ! Dès lors, Michaël ne manque pas un seul jour du procès et pourtant, il n’éprouve rien en revoyant son ancienne maîtresse, se trouvant comme « anesthésié » sur le plan des émotions personnelles, comme semblent l’être les jurés face aux détails insupportables donnés sur certains faits. Soudain, Mickaël comprend le secret qui a régi la vie d’Hanna, l’amenant à commettre l’irréparable par défaut d’action, pour ne pas devoir révéler son secret.

La troisième partie porte le lecteur à la fin de la vie d’Hanna. Le narrateur ne l’a revue qu’une fois, mais a appris combien il l’a aidée sans le savoir. Une satisfaction pourtant de courte durée qui ne coupe pas court à la tristesse et la culpabilité de Mickaël.

 

« J’étais fier d’elle. En même temps, j’étais triste pour elle, triste de sa vie retardée et raté, triste des retards et des ratages de la vie en général. Je songeai que quand on a laissé passer le bon moment, quand on a trop longtemps refusé quelque chose, ou que quelque chose vous a trop longtemps été refusé, cela vient trop tard, même lorsqu’on l’affronte avec force et qu’on le reçoit avec joie ». (p210).

 

Quelques années plus tard, le narrateur décide d’écrire cette histoire, simplement pour la fixer alors qu’elle commençait à lui échapper, ou peut-être pour s’en débarrasser…

Comme il est difficile de résumer « Le liseur » sans en dévoiler l’essentiel ! Difficile également d’en souligner les aspects les plus intéressants sans rien révéler. Mais comme rien n’est dit à ce sujet sur la quatrième de couverture, alors, autant ménager le suspense ! Même si je me prive inévitablement d’évoquer un aspect essentiel du livre… que les lecteurs apprécieront !

J’ai retrouvé ce roman avec intérêt pour le rendez-vous du Blogoclub de Sylire, après l’avoir lu une première fois il y a près de quinze ans. Je me suis rendue compte que cela fonctionnait toujours aussi bien, le mystère restant entier, parce qu’au début les questions du narrateur portent surtout sur leur amour. Mais « Le liseur » est loin de se cantonner à l’avenir d’une relation entre une femme mûre et un adolescent.

Très vite en effet, on en vient aux questions fondamentales que se pose le narrateur. Questions historiques sur la mémoire, questions juridiques sur la rétroactivité des condamnations, questions philosophiques surtout sur la responsabilité, la culpabilité, sur la liberté aussi : peut-on laisser quelqu’un s’enfermer dans un secret qui le condamne irrévocablement, alors que sa révélation entrainerait l’application de circonstances atténuantes ? Et puis, il y a l’ignorance d’Hanna. La disculpe-t-elle ? Ne la trouvons-nous pas un peu plus sympathique, lorsque nous apprenons son secret ? Bernhard Schlink essaierait-il de nous culpabiliser également ?

Le sentiment de culpabilité est central dans ce roman. Le narrateur en est pétri, lui qui n’est coupable de rien. Il ressent ce sentiment bien plus qu’Hanna, bien que nous ne sachions rien des pensées d’Hanna, elle qui ne dévoile rien. Mickaël, comme les jeunes Allemands nés après la guerre, s’interroge sur le rôle qu’ont bien pu jouer ses parents dans celle-ci. De quel côté étaient-ils vraiment ? Mickaël n’éprouve aucun doute concernant son père, et pourtant, il le condamne à la honte. Ce zèle est-il la destinée de toute une génération ?

« Le liseur » est une histoire très triste, quand on songe aux vies gâchées, celles des victimes indirectes d’Hanna bien sûr, mais aussi celles d’Hanna et de Mickaël. Le narrateur en est conscient : après la culpabilité, puis la colère, il finit par accepter cette histoire comme étant celle de sa vie.

 

« Mais quand quelque chose me blesse, ces blessures d’autrefois remontent à la surface ; et dans le désir ou la nostalgie d’aujourd’hui, je ressens le désir ou la nostalgie de jadis. Les strates successives de notre vie sont si étroitement superposées que dans l’ultérieur nous trouvons toujours de l’antérieur, non pas aboli et réglé, mais présent et vivant ». (p242).

 

Bernhard Schlink nous offre un récit à l’écriture distanciée qui n’empêche pas l’émotion. À quoi s’ajoute une réflexion passionnante qui n’est jamais pesante. Si vous ne l’avez pas encore lu, « Le liseur » vous attend. C’est un incontournable !

 

Le liseur, Bernhard Schlinck, traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, Folio n°3158, Paris Octobre 2000.

 

Livre lu dans le cadre du Blogoclub de Sylire et Lisa : les avis de Hélène, Titine, Lisa, Claudia Lucia, Grominou, Ellettres, et autres à venir.

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Au programme du prochain Blogoclub, le 1er septembre, un livre de Toni Morisson au choix.