Archive | janvier 2016

HHhH, de Laurent Binet

HHhH BinetC’est encore une excellente lecture que celle de « HHhH », de Laurent Binet, motivée par mon coup de cœur récent pour le second roman de l’auteur, « La septième fonction du langage ». J’avais entendu parler de « HHhH » à sa sortie, qui a remporté le prix Goncourt du premier roman en 2010, mais je n’avais pas eu envie de le lire : un énième roman sur un épisode de la seconde guerre mondiale, il y a des périodes où l’on a envie de lectures plus légères ! C’était sans doute une question de moment, et j’ai eu raison de différer cette lecture, jusqu’au moment où elle allait s’imposer d’elle-même, car ce fut, non pas un coup de cœur mais presque…

Dans « HHhH », Laurent Binet se met en scène, en tant qu’historien et romancier. Personnage à part entière de son roman, il est confronté à de nombreux choix, celui du sujet tout d’abord ; ce dernier s’est imposé naturellement à lui, parce qu’il tenait une place importante dans la conscience collective familiale, paternelle du moins. Choix de narration également (l’auteur fait fi des dialogues reconstitués d’après des témoignages qui donnent un côté artificiel au récit historique), puis choix des digressions possibles (en les refusant, il évite parfois des « scènes à l’eau de rose »), choix de l’authenticité finalement.

Sous les yeux du lecteur, l’Histoire est donc en train de s’écrire et c’est par le biais de celle de Reinhardt Heydrich que l’auteur a choisi de nous y mener. Heydrich, le futur responsable de la Solution finale, celui qui deviendra « l’homme le plus dangereux du IIIème Reich », le bras droit d’Himmler, plus intelligent et maléfique que son chef, celui qui donc sera connu sous l’acronyme allemand HHhH : « Himmlers Hirn heiβt Heydrich » : « le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich ».

Et pourtant Heydrich n’est pas le personnage principal du roman, mais bien la cible, car un tel homme ne peut que susciter des envies de meurtre, des projets d’assassinat : c’est l’opération Anthropoïde, titre que Laurent Binet aurait voulu donner à son œuvre, la centrant ainsi sur le projet lui-même, sa préparation, et les héros qui ont rendu possible sa réalisation. Ainsi, le roman tend vers un seul but, l’attentat contre Heydrich, alors protecteur de Bohême-Moravie, préparé depuis l’Angleterre, où s’entraînent deux soldats et résistants tchécoslovaques, Josef Gabčik et Jan Kubiš.

Laurent Binet procède par petites touches, nous livrant peu à peu les faits historiques, évoquant les sources, et s’interrogeant en même temps sur les difficultés qu’il éprouve à romancer les faits, comme semblait pourtant l’exiger l’exercice de style choisi. Laurent Binet nous offre là un roman original, très réussi, au cours duquel on apprend beaucoup sur la Tchécolovaquie d’alors, depuis les accords de Munich et le rattachement des Sudètes au IIIème Reich, puis l’installation des SS au château de Prague, jusqu’à l’attentat contre Heydrich, l’infâme boucher de Prague.

 

HHhH, Laurent Binet, Le livre de poche n°32178, Paris, mai 2011, 443p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge Histoire

Challengehistoireessai1

Le nouveau nom, d’Elena Ferrante

 

Le nouveau nom ferranteParmi les romans étrangers de la rentrée littéraire de janvier, la suite très attendue de « L’amie prodigieuse » d’Elena Ferrante vient de paraître chez Gallimard. Dans « Le nouveau nom » (« Storia del nuovo cognome »), nous retrouvons les deux amies, Elena et Lila, où nous les avions laissées à la fin de « L’amie prodigieuse » : Lila vient d’épouser Stefano et les jeunes mariés vont passer leur nuit de noces à Amalfi.

A la rentrée, Elena retourne au lycée où elle poursuit ses études secondaires, tandis que Lila commence à travailler dans le magasin de Stefano. Elle dispose d’un bel appartement, pourvu de tout le confort moderne. Les activités commerciales de Stefano sont prometteuses, et Lila pense encore malgré tout avoir fait le bon choix en se mariant à seize ans. Elena, trop à l’étroit chez ses parents, vient souvent étudier chez Lila qui met une chambre à sa disposition.

Tout au long de ce second volume, nous allons suivre les deux amies, ainsi que leurs proches, pendant les années d’études d’Elena, au lycée, puis à l’Ecole normale de Pise, établissement prestigieux où elle sera admise. Désormais séparées, Elena et Lila se retrouvent régulièrement dans le « rione », leur quartier, puis passent un été ensemble, avec d’autres amis, dans la très belle île d’Ischia. Je ne peux en révéler davantage pour ceux d’entre vous, -ils sont nombreux-, qui attendent avec impatience ce roman.

Je n’ai pas été déçue car, dans ce second volume, l’histoire gagne en intensité et en maturité. On retrouve toutes les variations de l’amitié qui existaient pendant l’enfance, encore enrichies par la découverte du monde des adultes. Elena et Lila s’aiment, s’envient, se détestent et bien davantage encore ! Elles ne cessent de se rapprocher et de s’éloigner, au gré de l’évolution de leurs sentiments. L’auteur a le souci du détail et accorde une grande importance à la psychologie des personnages, très fine sous sa plume nuancée.

Ce second tome laisse également apparaître en toile de fond les questionnements sociaux sur lesquels Elena commençait déjà à s’interroger à la fin de « L’amie prodigieuse », alors qu’elle était en dernière année du lycée. Son accès à l’université marque encore davantage l’écart qu’elle ressent entre le milieu estudiantin et celui de son quartier populaire. Lila prend elle aussi conscience des différences sociales, mais de façon plus intuitive. Se dessine alors en creux l’évolution de l’Italie pendant les années soixante et jusqu’au début des années soixante-dix.

Nul doute que les lecteurs qui ont aimé « L’amie prodigieuse » apprécieront « Le nouveau nom » qu’il est difficile de lâcher, une fois commencé. Les deux tomes peuvent tout à fait se lire séparément, mais si vous êtes tentés par « Le nouveau nom », je vous conseillerais tout de même de commencer par le premier tome qui est maintenant disponible en collection de poche. D’abord parce qu’il vous sera ainsi plus facile de retenir et situer les nombreux personnages du roman, et ensuite parce que le premier tome évoque la naissance de la relation amicale entre Elena et Lila et l’ambiguïté profonde qui la caractérise, ainsi que certains épisodes essentiels, comme les projets d’écritures des deux amies et la rédaction par Lila du conte « La fée bleue », à un moment charnière de la vie de celle-ci, celui où elle arrêta d’aller à l’école, suivant ainsi la volonté de ses parents.

Le caractère complexe de Lila nous promet sans doute encore bien ses surprises. Lila suscite souvent l’antipathie, du moins en ce qui me concerne, et pourtant elle reste fascinante. Elena quant à elle, doute beaucoup, s’interroge, pour finir par s’affirmer tranquillement et avec beaucoup d’intelligence. Deux personnages admirablement réussis, sans parler de certains personnages secondaires, comme l’énigmatique Nino Sarratore…

J’attends donc avec impatience la suite, que je ne résisterai pas à lire très prochainement en italien : « Storia di chi fugge e di chi resta » que je traduirais littéralement, en attendant mieux, par « histoire de (celle) qui reste et de (celle) qui fuit » ( ?…).

Mais pour le moment, je souhaite une excellente lecture aux fans d’Elena Ferrante qui commencent à être très nombreux aussi de ce côté des Alpes !

 

Mon premier coup de cœur 2016 !

 

Le nouveau nom, Elena Ferrante, Gallimard, Paris, janvier 2015, 560 p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge Il viaggio et du mois consacré à la littérature contemporaine italienne, chez Eimelle, ainsi que du challenge Leggere in italiano chez Pages italiennes

challenge italie

logo-challenge-in-italia1

 

L’amie prodigieuse, disponible en Folio

Il y a quelques semaines,  dans Pages italiennes , je vous parlais de « L’amie prodigieuse » (« L’amica geniale« ), premier tome d’une saga qui en comporte quatre et qui remporte un grand succès en Italie. L’auteur, Elena Ferrante, nous y conte l’enfance et l’adolescence de deux amies, Elena et Lila, qui vivent dans un quartier coloré de Naples, dans les années cinquante et soixante (voir la chronique ici).

C’est un roman qui se lit d’une traite et que je vous recommande tout particulièrement, d’autant qu’il vient de sortir, en ce début janvier, en collection de poche, chez Folio. Chacun des tomes de la saga peut se lire séparément, mais comme toujours, il est mieux de commencer par le premier.

 

L'amie prodigieuse en Folio

 

Le second tome, dont le titre français est « Le nouveau nom » vient d’être traduit et sera publié chez Gallimard ces jours-ci. Il est encore meilleur que « L’amie prodigieuse » et je vous donne rendez-vous très prochainement ici pour parler ce  premier coup de cœur 2016 !

 

 

D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, de Jon Kalman Stefansson

 

d'ailleurs les poissons n'ont pas de piedsC’est vrai, le titre est déconcertant, comme l’ensemble du livre d’ailleurs. Mais pour autant, je ne peux pas dire que je n’ai pas aimé sur le moment, au contraire, et pourtant je garde de cette lecture un souvenir mitigé. Pourquoi un avis si peu tranché ?

J’ai choisi ce livre pour participer aux matchs de la rentrée littéraire 2015, parce que j’avais beaucoup aimé le premier roman de Stefansson traduit en français, « Entre ciel et terre »,  un récit magnifique qui se déroule dans un petit village de pêcheurs islandais et évoque une amitié entre deux pêcheurs qui ont en commun l’amour des mots et des livres. Un roman qui allie une histoire belle et sensible, des thèmes essentiels comme le sens de la vie, la mort, l’amitié et la force de la nature, entre autres, et une écriture d’une grande beauté. Ce fut d’ailleurs l’un de mes principaux coups de cœur de 2013 !

Le nouveau roman de Stefansson, « D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds », est à la hauteur de mes attentes en ce qui concerne l’écriture. Belle et sensible, mais jamais mièvre, jamais ardue, inventive parfois, toujours mélodieuse : on se laisse bercer par les mots de l’auteur qui bien souvent se suffisent à eux-mêmes. D’autant qu’une fois encore, Stefansson convoque, par l’intermédiaire d’événements du quotidien, les grandes questions existentielles que nous nous posons tous face à la vie, l’amour, la mort, perçus ici sous le prisme des souvenirs, du regret parfois, et de la nostalgie.

Le héros principal, Ari, est un islandais qui s’est enfui au Danemark, deux ans avant le début de cette histoire, pour échapper à une trop grande douleur qu’il préfère cacher derrière un motif plus neutre : il étouffe dans la société islandaise si étroite, et de toute façon, le Danemark n’est pas vraiment l’étranger pour un Islandais. Alors que son père est très malade, Ari reçoit de celui-ci un paquet contenant deux enveloppes : dans la première, il découvre une photo très ancienne qu’il ne connaissait pas, de son père et de sa mère –décédée depuis quarante ans-, sur laquelle le couple semble très heureux. La seconde enveloppe lui offre le diplôme d’honneur jadis décerné à Oddur, son grand-père paternel, qui était capitaine et armateur.

Ces deux documents déclenchent chez Ari une vague d’émotion. Alors qu’il se trouve dans l’avion pour l’Islande, il sait déjà qu’il se lance à la poursuite de ses souvenirs, ceux de ses parents, ceux de ses grands-parents Margret et Oddur, habitants de Keflavik, endroit connu pour être  le plus noir du pays, car « Nulle part ailleurs en Islande, les gens ne vivent aussi près de la mort ».

A partir de là, le roman fait des allers et retours dans le temps, pour évoquer des épisodes vécus par les trois générations sur cette terre exigeante. Le tout forme une chronique familiale assez difficile à suivre et inégale : j’ai en effet nettement préféré les grands-parents Margret et Oddur, dont l’amour si fort, imprégné d’une passion pour la terre islandaise et pour la mer,  m’a rappelé un autre de mes coups de cœur islandais « La lettre à Helga ».

Certes, le rythme du roman m’a un peu fait penser au flux et au reflux de la mer, et l’on peut d’ailleurs trouver toutes sortes de raisons pour justifier le choix de l’auteur quant à la construction de son roman, d’autant qu’il s’agit d’évoquer des souvenirs. Mais je ne peux m’empêcher de regretter une structure qui m’a laissé une grande impression de flou à la fin de ma lecture… tout comme une intrigue peu fournie qui, en tout cas, n’a pas suscité ma curiosité. Stefansson fait de la poésie, c’est vrai, mais alors pourquoi choisir le roman ?

Je suis sans conteste sévère avec l’auteur, -comme on peut l’être avec les plus grands-, sans doute parce que j’ai été assez déçue à la lecture de « D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds ». Il n’en reste pas moins que, comme je le disais au début de cette chronique, pour les lecteurs qui attachent une grand importance à l’écriture, les mots de Stefansson, servis par la traduction d’Eric Boury, peuvent justifier à eux-seuls la lecture de ce roman !

 

D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, Jon Kalman Stefansson, traduit de l’islandais par Eric Boury, Gallimard, Paris, mai 2015, 443 p.

 

Je remercie les matchs de la rentrée littéraire 2015 de m’avoir envoyé ce roman.

logo_rentreelitteraire

Livre lu dans le cadre du challenge Nordique 2016, chez Marjorie

sans-titre

 

 

 

Un bon fils, de Pascal Bruckner

un bon filsPascal Bruckner est connu en tant que romancier, essayiste et philosophe. Son dernier ouvrage, paru en 2014, est autobiographique et raconte l’histoire de son père et de la difficile relation qu’il a entretenue avec celui-ci pendant soixante-trois ans. Il faut dire que René Bruckner était un personnage odieux qui accumulait les défauts : sympathisant nazi, antisémite, raciste arrogant et pour finir, comme si tout cela ne suffisait pas, violent avec une épouse qu’il n’a jamais respectée, passant son temps à la dénigrer, l’insulter, et la tromper. L’humiliation était son jeu favori et il la pratiquait avec tous, même s’il a connu quelques périodes de répit, notamment lorsqu’il fut grand-père.

Le jeune Pascal aurait pu suivre le même chemin, mais il a préféré s’opposer à ce père toxique, allant jusqu’à choisir de ne pas démentir lorsqu’on tenait son patronyme pour juif, jugeant qu’il n’existait pas meilleure vengeance face à ce père antisémite. Ouvert aux autres, passionné par l’évolution du monde, Pascal Bruckner n’avait rien de commun avec le monstre de méchanceté qu’il a eu pour père.

Et pourtant, il s’est toujours efforcé d’être « un bon fils ». Il s’est occupé de son père jusqu’au bout, accomplissant son devoir de fils unique, face à ce vieil homme seul et dépendant pour lequel il devait sans doute éprouver quelque affection. Bruckner décrit avec sensibilité les sentiments ambigus qu’il ressentait à l’égard d’un père infâme qu’il désapprouvait totalement, dont il s’est parfois éloigné, mais avec lequel il n’a jamais pu couper les ponts.

Pascal Brukner signe un roman autobiographique très intéressant, qu’il agrémente de réflexions sur le monde depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sur ce qui a été, sur ce qui aurait peut-être pu être. On y retrouve quelques grandes figures qui ont aidé Bruckner à s’éveiller au monde, Sartre, Barthes qui fut son directeur de thèse et surtout Alain Finkelkraut, le « double » avec lequel il a écrit quelques livres. Malgré le sujet très douloureux, « Un bon fils » est un roman optimiste, comme son auteur qui, loin de régler ses comptes, reste toujours serein et distancié dans ses jugements, épargnant au lecteur tous les écueils du genre.

 

Un bon fils, Pascal Bruckner, Le livre de poche n°, septembre 2015, 216 p.

 

 

Excellente année 2016 !

 

De retour de ma retraite montagnarde déconnectée (d’où mes réponses tardives à vos messages), et avant de repartir pour de nouvelles découvertes littéraires, je tiens à vous souhaiter :

 

une excellente année 2016 à tous, dans tous les domaines qui vous tiennent à cœur, et bien sûr, en particulier, dans celui des belles-lettres ! 

Que 2016 soit pour vous riche en échanges littéraires !

Bonne année et à très bientôt,

Florence.