C’est encore une excellente lecture que celle de « HHhH », de Laurent Binet, motivée par mon coup de cœur récent pour le second roman de l’auteur, « La septième fonction du langage ». J’avais entendu parler de « HHhH » à sa sortie, qui a remporté le prix Goncourt du premier roman en 2010, mais je n’avais pas eu envie de le lire : un énième roman sur un épisode de la seconde guerre mondiale, il y a des périodes où l’on a envie de lectures plus légères ! C’était sans doute une question de moment, et j’ai eu raison de différer cette lecture, jusqu’au moment où elle allait s’imposer d’elle-même, car ce fut, non pas un coup de cœur mais presque…
Dans « HHhH », Laurent Binet se met en scène, en tant qu’historien et romancier. Personnage à part entière de son roman, il est confronté à de nombreux choix, celui du sujet tout d’abord ; ce dernier s’est imposé naturellement à lui, parce qu’il tenait une place importante dans la conscience collective familiale, paternelle du moins. Choix de narration également (l’auteur fait fi des dialogues reconstitués d’après des témoignages qui donnent un côté artificiel au récit historique), puis choix des digressions possibles (en les refusant, il évite parfois des « scènes à l’eau de rose »), choix de l’authenticité finalement.
Sous les yeux du lecteur, l’Histoire est donc en train de s’écrire et c’est par le biais de celle de Reinhardt Heydrich que l’auteur a choisi de nous y mener. Heydrich, le futur responsable de la Solution finale, celui qui deviendra « l’homme le plus dangereux du IIIème Reich », le bras droit d’Himmler, plus intelligent et maléfique que son chef, celui qui donc sera connu sous l’acronyme allemand HHhH : « Himmlers Hirn heiβt Heydrich » : « le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich ».
Et pourtant Heydrich n’est pas le personnage principal du roman, mais bien la cible, car un tel homme ne peut que susciter des envies de meurtre, des projets d’assassinat : c’est l’opération Anthropoïde, titre que Laurent Binet aurait voulu donner à son œuvre, la centrant ainsi sur le projet lui-même, sa préparation, et les héros qui ont rendu possible sa réalisation. Ainsi, le roman tend vers un seul but, l’attentat contre Heydrich, alors protecteur de Bohême-Moravie, préparé depuis l’Angleterre, où s’entraînent deux soldats et résistants tchécoslovaques, Josef Gabčik et Jan Kubiš.
Laurent Binet procède par petites touches, nous livrant peu à peu les faits historiques, évoquant les sources, et s’interrogeant en même temps sur les difficultés qu’il éprouve à romancer les faits, comme semblait pourtant l’exiger l’exercice de style choisi. Laurent Binet nous offre là un roman original, très réussi, au cours duquel on apprend beaucoup sur la Tchécolovaquie d’alors, depuis les accords de Munich et le rattachement des Sudètes au IIIème Reich, puis l’installation des SS au château de Prague, jusqu’à l’attentat contre Heydrich, l’infâme boucher de Prague.
HHhH, Laurent Binet, Le livre de poche n°32178, Paris, mai 2011, 443p.
Livre lu dans le cadre du challenge Histoire