Le malentendu, Irène Némirovski

Le malentenduIrène Némirosvki fut un écrivain précoce, si l’on considère le fait qu’elle fut élevée à la fois en français, en anglais et en russe, qu’elle arriva en France en 1919 à l’âge de seize ans et qu’elle publia son premier texte en français seulement deux ans plus tard. Mais cette précocité s’illustre aussi quant à la maturité dont la jeune auteure fit preuve dans le choix et le traitement des sujets de ses textes. « Le malentendu », premier roman d’Irène Némirovski, en est l’illustration parfaite. Cette œuvre de jeunesse n’en est pas une, car rien ne laisse à penser qu’elle ait été écrite par une jeune fille de vingt-trois ans.

« Le malentendu » nous raconte une idylle de quelques mois, entre Yves Harteloup, bourgeois trentenaire rescapé de la Grande Guerre dont il est sorti déclassé, et Denise Jessaint, jeune bourgeoise mariée et mère d’une adorable petite fille. Les protagonistes se trouvent à Hendaye en vacances ; Yves y goûte seul des vacances bien méritées, pour lesquelles il a économisé le moindre sou. C’est l’occasion pour lui de se replonger avec joie dans les souvenirs heureux d’une enfance qui lui paraît alors bien lointaine. Denise n’a quant à elle jamais connu la frustration. Son mariage avec le riche Jessaint lui a assuré un train de vie toujours égal, dans la continuité d’une enfance aisée, et c’est avec une indifférence sereine qu’elle profite d’un long séjour sur la Côte basque avec Francette, sa petite fille de trois ans et la gouvernante de celle-ci, tandis que son mari fait des allers et retours entre Paris et le lieu de villégiature de son épouse.

Installés dans le même hôtel, Yves et Denise se croisent, se parlent, puis survient le coup de foudre. L’idylle s’épanouit alors dans les beau paysages de la côte basque. Fin septembre, de retour à Paris, chacun reprend sa vie normale, mais Yves peine à suivre le train de vie exigeant de Denise. Fatigué par de longues heures de travail et par les caprices de sa jeune maîtresse, Yves déchante et s’enfonce chaque jour davantage dans les dettes et les soucis. Frivole, Denise ne s’aperçoit de rien. Insouciante, elle s’arrête aux apparences, et quand elle propose son aide à Yves, il est déjà trop tard, le mal est fait. Le malentendu sépare les amants et bien qu’en apparence purement sentimental, comme le ressent Denise, il est beaucoup plus profond. Davantage que les sentiments, ce sont les contingences matérielles, en un mot, l’argent, qui les sépare.

En effet, malgré leur origine sociale commune, Yves et Denise ne partagent plus rien, et l’amour ne peut résister à ce fossé qui se creuse chaque jour davantage. Les années folles que Denise vit pleinement, -nous sommes en 1926-, sont une épreuve pour Yves qui ne se remettra jamais de la Grande Guerre. Dans l’évocation de ce malentendu, sa naissance, son développement, Irène Némirovski excelle. Elle décrit avec sensibilité et lucidité les sentiments des amants, qu’il s’agisse de la jeune Denise prisonnière des habitudes et stéréotypes de son milieu, comme d’Yves, taciturne et fataliste devant la tournure que prend cette liaison. Chacun d’entre eux cherche l’amour, mais ils n’ont pas les mêmes attentes et ils ne s’en rendent pas compte, aveuglés par leur égoïsme et leur manque d’empathie vis-à-vis de l’autre. La vanité, sentiment que l’on retrouve quelques années plus tard, dans « Le bal », n’est pas étrangère non plus à ce malentendu.

Au total, Irène Némirovski nous offre un premier roman très maîtrisé, dans lequel elle fait preuve d’une grande maturité, à quoi s’ajoute une bien jolie plume !

 

Le malentendu, Irène Némirosvki, Folio n° 5286, Paris, 2011, 191 p.

 

Livre lu dans le cadre du Blogoclub de Sylire consacré à Irène Némirovski.

Les autres lectures sont à découvrir ici.

blogoclub

15 réflexions sur “Le malentendu, Irène Némirovski

  1. Comme toujours chez Nemirovsky, les sentiments humains sont gâtés par la convoitise, la vanité, l’insouciance… C’est ce que j’aime chez elle, ce côté un peu tranchant et ironique, porté par une écriture ciselée. Le sujet du « malentendu » m’interpelle, je note ! Moi j’ai lu « Chaleur du sang », un de ces derniers romans… (l’avant-dernier je crois, avant « suite française »)

    J’aime

    • Je trouve qu’elle a beaucoup de talent en effet pour analyser les sentiments. Je la ressens un peu comme une enfant gâtée talentueuse. C’est vrai que son écriture est assez tranchante et ironique. L’ensemble est finalement assez pessimiste pour le genre humain, mais cela fonctionne vraiment bien. Et j’aime beaucoup son écriture. J’ai noté « Chaleur de sang » qui a l’air assez différent du moins par le sujet. Je vais continuer cette discussion chez toi…

      J’aime

  2. Pingback: Irène Nemirovsky, Chaleur du sang | Ellettres : des lettres et des ailes

  3. je n’ai pas encore lu cette auteure mais elle me tente beaucoup. je me suis procuré « Suite française » l’an dernier lors de mes achats compulsifs mais je n’ai pas commencé…
    j’ai dû mal à me concentrer en ce moment (soucis, deuil…) et cela a des répercussions sur mes lectures. mis à part « Les passants de Lisbonne » et actuellement « L’arbre du pays Toraja » auquel j’ai du mal à accrocher vraiment et pourtant j’aime Philippe Claudel »…

    J’aime

    • Alors, je ne sais pas si c’est le bon moment pour lire Némirosvki, mais quand cela ira mieux, je te recommande « Suite française ». Il te faudrait peut-être des lectures plus légères en ce moment, ou prenantes et divertissantes comme des récits de voyage par exemple ? En tous cas, je te souhaite bon courage, à bientôt Eve !

      Aimé par 1 personne

  4. Je n’ai pas lu celui-ci. Elle a incontestablement beaucoup de talent mais ces personnages sont rarement sympathiques; ils ne sont jamais(?) sincères et altruistes. Passe encore dans les années 1940 où l’époque prêtait peu à l’optimisme surtout quand on était juive! Mais même là, elle est très désabusée pour une si jeune fille!

    J’aime

    • C’est vrai, mais je crois que cela vient de son éducation (et du milieu dans lequel elle a évolué), du fait que ses parents ne se sont pas occupés d’elle, surtout sa mère, ce qu’elle décrit très bien dans « Le bal ». La jeune fille, qui n’est autre que l’auteure, n’a que quatorze ans et elle est odieuse. Certes, elle a ses raisons, mais c’est assez triste. En effet, les personnages de Némirosvki ne sont pas très sympathiques. Mais l’analyse psychologique est fine et c’est tellement bien écrit !

      J’aime

  5. Celui-ci est très tentant également. Je crois que je finirai par lire toute son oeuvre, sa plume est envoûtante.
    Elle est pessimiste, oui, mais comme tu le soulignes, elle a des raisons de l’être.

    J’aime

Laisser un commentaire