Archive | avril 2016

La plage d’Ostende, de Jacqueline Harpman

La plage d'Ostende

Emilienne Balthus n’a que onze ans lorsqu’elle rencontre Léopold Wiesbeck, jeune artiste peintre de vingt-cinq ans. Emilienne est aussitôt foudroyée, transpercée par l’amour.

«Je lus ma vie sur son visage. Il avait les yeux gris comme un lac l’hiver, quand tout est glacé, les cheveux noirs et frisés, et ce teint pâle, cette blancheur laiteuse qui n’appartiennent qu’aux héros choisis par le destin. Son sourire me transperça, ce fut l’aurore, quand le premier rayon de soleil traverse soudain la nuit et arrache le paysage à l’ombre. Je sortis de l’enfance. D’un instant à l’autre, je devins une femme à l’expérience millénaire. Un séisme bouleversa mon ventre plat de fille impubère, mon âme fut transformée, je sentis tout mon être se rassembler et aspirer cet homme comme on se remplit les poumons d’air ».

Dès lors, Emilienne accepte son destin. Elle pense avoir été choisie, « prise en embuscade à la fin de l’enfance ». Emilienne s’applique donc à grandir et à devenir belle, puis à parfaire sa beauté. La petite fille sait que la peinture a pris Léopold, elle ne veut pas rivaliser avec elle, elle veut juste vivre à ses côtés pour toujours. Quand elle rencontre Léopold, elle se place toujours à sa gauche, un peu en retrait, afin de le contempler. Plus tard, elle se rend indispensable en lui passant les pinceaux, en lui préparant le thé…

Une complicité s’instaure entre le peintre et la fillette. Celle-ci observe les maîtresses de Léopold, et réfléchit à la meilleure façon de détourner le regard de Léopold de celles-ci. Le lien se raffermit encore lorsque le père d’Emilienne achète la magnifique maison de Genval, à la lumière si particulière. Une lumière tellement belle que Léopold demande au père d’Emilienne de pouvoir y passer quelques jours, pour peindre le lac.

« Il peignait. J’avais compris qu’il voyait un monde immobile, arrêté entre deux lumières. Devant mon miroir, je ne bougeais pas, je m’étudiais et j’ordonnais sa forme à mon visage ».

Bientôt, Emilienne est prête, mais Léopold ne la voit pas encore. Pour satisfaire Mme Van Aalter qui a décidé de régir sa carrière, il accepte d’épouser Blandine, une jeune et riche orpheline, afin de pouvoir se vouer entièrement à son art. Emilienne ne s’en émeut pas : Blandine, à la personnalité effacée, ne sera pas un obstacle pour elle.

Emilienne a quinze ans lorsque Léopold la reconnaît enfin :

« Je fis mon entrée en lui par effraction, je fus, au-dehors dans ce que son regard captait, la réplique exacte d’une image qu’il portait en lui sans l’avoir jamais vue. C’est ainsi que depuis quatre ans je m’étais construite, telle que, lorsqu’il me verrait, je serais devenue la représentation même de sa rêverie la plus secrète, celle dont il ne savait rien et dont il aurait la révélation en posant le regard sur moi ».

C’est alors le début d’un amour d’une puissance inconnue, auquel Emilienne sacrifie tout, tendue vers un seul but : aimer Léopold et sa peinture. Emilienne est prête à toutes les manipulations, sans jamais éprouver le moindre remords, mais son amour est sincère. Il sera payé de retour, mais à son plus grand désespoir, Emilienne Balthus survivra trop longtemps à son amant.

« La plage d’Ostende » est pour moi le plus beau roman de Jacqueline Harpman. Il nous raconte une passion excessive, dévorante, qui s’épanouit chez une jeune fille très raisonnable de la haute bourgeoisie bruxelloise. Servi par une magnifique écriture classique, le roman devient un fleuve d’un gris lumineux, envoûtant, qui emporte tout sur son passage. L’auteur, qui était aussi psychanaliste, manie avec beaucoup de subtilité et de finesse psychologique les sentiments de chacun des personnages, orchestre les manipulations, explorant les mythes de Narcisse et de Tristan et Yseult. On se prend à admirer Emilienne, à détester la pauvre Blandine qui n’y est pour rien, à oublier la moralité pour se placer du côté de l’Amour … Du grand art !

 

Coup de cœur !

 

La plage d’Ostende, Jacqueline Harpman, Le livre de poche n°9587, Paris, 2002, 317p.

 

8ème et dernier livre lu dans le cadre du mois belge d‘Anne et Mina

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La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis

La véritable vie amoureuse de mes amies...Max, la cinquantaine cultivée, est le dernier occupant de la Maison aux bons soins, qui fut un centre médical dans lequel on pouvait consulter des spécialistes, comme des thérapeutes moins traditionnels. Max y est encore psychologue et y vit seul toute l’année. Il y anime également, avec son ami Jean-François, cinéphile plus qu’averti, un ciné club qui insuffle un peu de vie à cette maison désormais bien silencieuse. Ainsi, chaque mercredi s’y retrouvent quelques habitués, et l’arrivée d’une nouvelle venue, Felisa, corse un peu les soirées et les conversations qui souvent en viennent à évoquer la vie amoureuse de l’un ou l’autre, les échecs bien sûr, mais aussi et surtout l’espoir.

Quand j’ai acheté ce livre en librairie, mon attention avait été retenue tout d’abord par le titre du roman, puis par la table des matières qui égrène les titres de ses 68 chapitres, ainsi que par la liste des films, livres et sites consacrés au cinéma que l’auteur nous propose à la fin du roman. J’avais déjà lu trois romans de Francis Dannemark, qui m’avaient tous plu.

Si les premières pages m’ont paru déroutantes, avec quelque chose d’indéfinissable qui au début me dérangeait, une certaine distance peut-être, au contraire peu à peu un rythme s’est installé, fondé sur une succession de chapitres courts, les mêmes moments de la semaine qui reviennent tour à tour, une météo capricieuse faite d’épisodes neigeux successifs … jusqu’à rendre ce roman très attachant. Il était devenu pour moi comme une petite musique rassurante, dont j’aurais aimé qu’elle déroule ses notes pour de longues soirées encore.

La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis est en effet un livre plein de charme, où l’évocation poétique de la météo capricieuse de Bruxelles réussit même à donner de la légèreté au temps qu’il fait en Belgique. On retiendra surtout de ce roman une atmosphère chaleureuse, une simplicité qui nous laisse entendre que le bonheur est peut-être niché dans les conversations, dans l’amitié, et dans la culture en ce qu’elle est un prétexte à partager avec les autres. Et une jolie histoire qui apporte finalement de bonnes nouvelles, avec le retour du soleil !

 

La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis, Francis Dannemark, Robert Laffont, 2012, 471 p.

 

7ème et avant-dernière lecture dans le cadre du mois belge d’Anne et Mina.

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La vierge de Bruges, de Patrick Weber

La vierge de brugesPour le rendez-vous consacré aux polars belges, j’ai choisi de lire un roman policier historique qui se déroule à Bruges pendant la Renaissance. Après le décès du Duc de Bourgogne, son fils, Charles le Téméraire, lui succède. Il ne fait pas que des heureux, notamment parmi les bourgeois et les commerçants de Bruges, qu’il accable d’impôts, afin de financer ses campagnes militaires.

Nous sommes en 1475. Grâce à son oncle qui s’occupe de lui depuis qu’il a perdu ses parents, le jeune Pieter Linden a eu la chance d’obtenir une place d’apprenti chez le grand peintre Hans Memling. Ce dernier est arrivé il y a déjà longtemps de son Allemagne natale et a trouvé à Bruges l’endroit idéal pour développer sa peinture et bénéficier de nombreuses commandes.

La première journée de Pieter chez Memling s’avère difficile, puisqu’il est très mal accueilli par un autre apprenti qui le considère tout de suite comme un concurrent dangereux. Les deux jeunes artistes devront pourtant travailler ensemble, lorsque Memling leur confiera une tâche en commun : la réalisation du portrait d’un prince italien, Lorenzo Rienzi. Celui-ci arrive de Florence, chargé d’une importante mission. Mais l’atmosphère est tendue à Bruges, où la jeune Margarita Demeester, fille d’un riche négociant en draps, vient d’être retrouvée assassinée…

« La vierge de Bruges » est un roman historique à suspense conçu autour de l’œuvre de Memling intitulée « Le portrait de Sibylla Sambetha ». Parmi les ingrédients, des meurtres et un complot, mais le tout ne m’a pas vraiment enthousiasmée. J’ai été un peu déçue par l’intrigue de ce roman, dont j’attendais davantage, peut-être trop.

Malgré tout, « La vierge de Bruges » a l’avantage de nous plonger dans l’atmosphère de la Bruges florissante de la fin du VXème siècle. L’évocation de Hans Memling,  et de certaines de ses œuvres, nous donne envie d’en savoir plus sur ce grand peintre et son époque : s’il ne faisait pas si froid et humide, j’irais bien ce week-end faire un petit tour à Bruges…

 

 

La vierge de Bruges, Patrick Weber, Editions du masque, 2015, 217 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois belge chez Anne et Mina, et du challenge polars historiques chez Sharon.

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challenge-polar

Lectures d’enfance : mes petites madeleines…

 

C’est en lisant il a peu un billet d’Ellettres, qui faisait référence aux romans d’Hector Malot, « Sans famille » et « En famille », que j’ai éprouvé une petite bouffée de nostalgie envers les lectures de mon enfance. Comme beaucoup de lecteurs, j’ai pleuré sur les aventures de Rémy, que j’avais pour ainsi dire oubliées.

En effet, quand mes enfants étaient petits, je n’ai jamais pensé à rechercher pour eux les romans d’Hector Malot. En revanche, « Oui-Oui », « Le club des cinq » et plusieurs autres de mes héros, sont devenus les leurs (tandis que leur Harry Potter devenait aussi mon héros! ).

Ainsi, je me suis rendue compte que parmi les lectures que j’ai tant aimées, il y en a beaucoup auxquelles je n’ai plus pensé pendant des … décennies ! Elles étaient enfouies sous des montagnes d’auteurs, de pays, de couleurs, de mots et de lettres. Et pourtant, un seul titre,  « Sans famille », a suffi pour que je revoie immédiatement la belle couverture bleu turquoise de l’exemplaire cartonné de que j’ai lu deux ou trois fois.

D’où l’idée de dresser la liste des romans de mon enfance, de revoir leur couverture d’origine, pour ceux qui ont été réédités par la suite, bref, de m’offrir quelques petites madeleines, particulièrement réconfortantes en ces temps moroses.  Cela vous donnera peut-être envie de vous prêter également à l’exercice…

 

On commence par le début, « Oui-oui », en bibliothèque rose, mon héros au CP : quelle joie de savoir lire !

 

oui-oui et la voiture jaune

 

Puis la Comtesse de Ségur avec « Les malheurs de Sophie »,  suivi des « Petites filles modèles » de « Jean qui pleure et Jean qui rit » et « Un bon petit diable ».

 

Les malheurs de Sophie

 

Et bien sûr, « Le club des cinq », dont j’ai dévoré plusieurs fois toute la série. Il est vrai qu’on avait le temps de lire alors ! Des livres que j’ai malheureusement vendus dans une brocante, à l’époque où il n’était pas encore question d’en simplifier l’écriture. Heureusement, j’ai pu les racheter dans la version originale pour mes enfants !

 

Le club des cinq en vacances

 

Pour continuer dans la même veine,  « Le clan des sept », de l’excellente et décidement incontournable Enid Blyton, qui a fait aimer la lecture à des générations entières d’enfants !

 

le clan des sept

 

Juste après, la bibliothèque verte, avec « Les six compagnons » de Jean-Jacques Bonzon, dans le quartier de la Croix-rousse à Lyon. Ah, le chien Kafi… Et comme j’aurais aimé être Mady, qui aidait les six compagnons dans leurs enquêtes !

 

Les six compagnons

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Bien sûr, Hector Malot, celui dont je vous parlais au début de ce billet, « Sans famille » avec l’émouvant Rémy, recueilli par Vitalis.  Suivi par « En famille« , moins connu.

 

947415925

 

Ensuite, les beaux exemplaires de « La petite maison dans la prairie », de Laura Ingalls. Plusieurs tomes, dont je me suis régalée.

 

la petite maison dans la prairie

 

On continue avec l’adolescence : René Philippe et la série des « Sylvie », jeune mariée intrépide et pleine d’humour.

 

Sylvie rené philippe

 

Et pour continuer avec le suspense, les aventures de « Bob Morane » et de Bill Balantine, de Henri Vernes, qui plaisaient davantage aux garçons, mais l’Ombre jaune me faisait frémir…

 

L'ombre jjaune bob morane

 

N’oublions pas la très romantique « Barynia » de Henri Troyat : la série « La lumière des justes » qui se passait en Russie, à la fin du XIXème siècle, après le coup d’état des décembristes, à l’origine sans aucun doute de mon amour pour la littérature russe et pour tout ce qui a trait à la Sibérie !

 

La barynia

Les dames de sibérie

La gloire des vaincus

 

Un roman qui se déroulait là où j’allais en vacances, en montagne. Les premiers sentiments amoureux, avec « La tue-Mouche » de Jean-Hugues Malineau.

la tue-mouche

 

Et pour terminer, en beauté, Daphné du Maurier avec « Rebecca », un grand souvenir de lecture !

 

Rebecca

 

Et vous, quelles étaient les lectures préférées de votre enfance ?

 

 

 

 

13, de Pieter Aspe

Pour la journée qu’Anne et Mina ont choisi de consacrer aux auteurs flamands, j’aurais aimé vous présenter « Le chagrin des Belges » d’Hugo Claus que j’ai lu il y a plus de quinze ans. Mais ne disposant pas du temps nécessaire à sa relecture, je me suis tournée vers une valeur sûre du polar belge, le brugeois Pieter Aspe. Après « Le carré de la vengeance« , j’ai choisi « 13« , réalisant ainsi un grand saut en avant dans la série, car même si j’apprécie beaucoup le commissaire Van In, il est peu probable que je lise l’ensemble de ses aventures. Pas besoin donc pour moi d’en respecter l’ordre…

13 Pieter AspePourquoi « 13 » ? Le titre de ce roman policier de Pieter Aspe fait tout simplement référence au nombre de livres écrits par l’auteur flamand. Il s’agit ici en effet de la treizième enquête du commissaire Van In, toujours secondé par la belle Hannelore Mertens, procureur, qui est surtout, dans ce roman, la future épouse de Van In. Mais si 13 est le treizième roman de l’auteur à être traduit en français, Pieter Aspe a déjà publié plus de trente romans dans sa langue natale. De quoi alimenter de longues heures de lecture…

Comme dans chacun de ses romans, Pieter Aspe nous livre rapidement des informations concernant les criminels et l’on suit leur parcours jusqu’au dénouement. Ici , dès la première page, il nous dévoile la scène du crime alors que son auteur est toujours présente sur les lieux : il s’agit d’une femme encore assez jeune, nue, qui vient de tuer Erwin Proot, auquel elle avait tendu un piège dans un bar la veille. L’homme avait aussitôt succombé à ses charmes. Lorsque le roman débute, la femme termine juste d’ écrire les mots latins « consumatum est » sur le cadavre qu’elle abandonne dans la chambre d’un hôtel du centre de Bruges. On sait tout de suite qu’une des clés de l’affaire se trouve dans cette mention.

En l’absence momentanée de Van In, parti acheter des alliances, ses collègues, Versavel et Carine Neels,  relèvent les premiers indices : une carte de crédit, et une carte de visite, toutes deux au nom de Wim Raes. Rapidement mis au courant, Van Inn et Hannelore Mertens se rendent chez la femme de Wim Raes pour lui annoncer la nouvelle et découvrent que le cadavre n’est pas celui du détenteur de la carte de crédit, le vrai Wim Raes étant toujours vivant. Van Inn a alors l’intuition que ce crime ne sera pas isolé. En effet, le vrai Wim Raes est à son tour assassiné quelques temps après, avec dans la poche, une carte de crédit qui ne lui appartient pas.

L’enquête s’accélère, il s’agit probablement d’un tueur en série. Plusieurs femmes sont tour à tour soupçonnées, et Van In recherche ce qu’elles ont en commun. La jalousie peut-être, sentiment qui est au centre de  I3, qu’il s’agisse de l’enquête ou des démêlés sentimentaux qui agitent Van In et Hannelore Mertens. L’auteur nous apprend d’entrée de jeu qu’ils ont décidé de se marier, après plusieurs années de vie commune et deux enfants, mais rien n’est sûr jusqu’à la fin, les deux héros ayant beaucoup de mal à se retrouver, entre l’incompréhension de l’un et la jalousie de l’autre. Et il y a , en outre, la présence de la belle Carine, amoureuse de Van In depuis longtemps et qui ne perd pas espoir…

13 est un bon roman policier. Mais son intérêt réside aussi, comme toutes les aventures de Van In, dans la découverte de Bruges et de la côte flamande, et de certains aspects de la vie sociale en Flandre, particulièrement celle de la bourgeoisie locale. Et puis, il y a l’humour du commissaire Van In, présent en toutes circonstances, cet humour belge qui ajoute un petit quelque chose en plus à la série de Pieter Aspe…

 

13, Pieter Aspe, traduit du néerlandais (Belgique) par Emmanuèle Sandron, Le livre de poche, Paris, novembre 2015, 312 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois belge d‘Anne et Mina, et du challenge polar et thrillers chez Sharon

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Elle, par bonheur, et toujours nue, Guy Goffette

Elle par bonheur et toujours nueLa littérature et la peinture sont unies par des liens très étroits. Elles ont souvent subi les mêmes influences et se sont également interrogées l’une sur l’autre, que ce soit de façon théorique ou au travers de la fiction, en prenant pour personnage l’artiste peintre ou encore son modèle. C’est précisément la relation entre le peintre et son modèle, souvent complexe, qui est au centre du très beau livre de Guy Goffette, « Elle, par bonheur, et toujours nue ».

L’auteur y raconte la rencontre entre le peintre Pierre Bonnard et celle qui deviendra son modèle, puis sa compagne et enfin sa femme, Marthe. Il nous livre ainsi une biographie du peintre, non linéaire, en procédant par petites touches, par chapitres courts réunis dans des parties thématiques. Guy Goffette évoque aussi le mouvement des Nabis auquel appartenait Pierre Bonnard…

« Elle, par bonheur, et toujours nue » n’est pas un livre que l’on peut résumer. Il est composé de textes poétiques d’une grande beauté, qui prennent la forme d’une biographie fictive pour nous parler de la création artistique et pour célébrer Marthe, et au travers du modèle qu’elle est, pour célébrer la Femme et l’Amour, tout simplement. Une très belle lecture !

 

Elle, par bonheur, et toujours nue, Guy Goffette, Folio N°3671, mars 2006, 156 p.

 

Les avis des autres participants à la lecture commune Guy Goffette :

-Verlaine d’ardoise et de pluie, et L’autre Verlaine, chez Mina. Verlaine, d’ardoise et de pluie, de Nadège chez Anne.

-Elle, par bonheur, et toujours nue, chez La petite marchande de prose

-Une enfance lingère, chez Martine et chez Thé et livres, de Nadège chez Anne,

-Un été autour du cou, chez Ellettres.

-Geronimo a mal au dos, de Nadège chez Anne.

 

 

Livre lu dans le cadre du mois belge chez Anne et Mina, LC Guy Goffette.

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Hubert, de Ben Gijsemans

Hubert

Pour le rendez-vous de la bande dessinée, et pour rester dans le thème que je me suis fixé cette année pour le mois belge, la peinture, j’ai choisi de vous parler de « Hubert », de Ben Gijsemans, un jeune auteur flamand très prometteur né à Lier en 1989 et qui a suivi des études à la School of Arts de Gand, puis à l’Institut supérieur Saint-Luc de Bruxelles.

Monsieur Hubert est un homme taciturne qui s’est installé à Bruxelles et s’y habitue difficilement. Introverti, il a du mal à établir des relations personnelles et il est très solitaire. Il passe donc ses week-ends à visiter les Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, où il admire des œuvres d’art qui l’apaisent.

Nous le suivons dans sa contemplation au sein du musée qui représente pour lui un havre de paix au sein d’une ville qui lui paraît compliquée. Monsieur Hubert se rend également de temps en temps à Paris et notamment au Musée d’Orsay où il apprécie tout particulièrement l’Olympia de Manet.

Copiste à ses moments perdus, il reproduit des portraits de femme à partir de photographies d’œuvres sur son ordinateur. Au cours de ces séances, il jette de temps à autre un coup d’œil dans la cour de son immeuble, en direction de la fenêtre du dessous, où apparaît parfois une jolie jeune femme. Malheureusement, celle-ci croit être épiée et ferme définitivement les rideaux.

Un rendez-vous presque forcé avec une autre voisine lui ouvre les yeux et il décide de se lancer. Mais l’art reste pour lui sa seule passion …

 

Hubert planche 2

 

Hubert planche

 

Ben Gijsemans nous offre un roman graphique sensible à l’atmosphère triste et monotone, mais pourtant très prenant. Son personnage, Monsieur Hubert, est un homme sans âge, peu amène, qui heureusement a une passion artistique qui lui permet d’oublier sa condition. Avec très peu de mots, et des silences qui en disent long, beaucoup de lenteur, des vignettes apparemment semblables dans lesquelles le personnage bouge d’un rien, l’auteur évoque la vie solitaire d’un homme ordinaire qui a pourtant sa sensibilité, son amour des portraits féminins, et donc une vraie richesse intérieure : de quoi donner tort aux apparences !

 

 

Hubert, Ben Gijsemans, Dargaud, 2016, 88p.

 

Livre lu dans le cadre du mois belge d’Anne et Mina

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La comtesse des digues, Marie Gevers

La contesse des diguesSuzanne, jeune flamande francophone, est élevée par son père dans le Weert, au pays de l’Escaut. Depuis plus de cinq ans, elle a pris l’habitude de seconder puis de remplacer son père malade, dans sa tâche de « dyckgraef », ou « comte des digues » : un travail qui consiste en une surveillance étroite des digues, afin d’empêcher toute incursion de la mer dans les polders. Suzanne s’en acquitte avec assiduité et même amour, elle qui affectionne tant les longues promenades dans la nature dont elle observe les changements avec une attention teintée d’admiration.

Le roman s’ouvre sur la mort du père de Suzanne. La jeune fille se retrouve seule, propriétaire de fermes, de schorres et d’oseraies, et elle envisage finalement de se marier car c’est la seule opportunité qui s’offre alors à une jeune bourgeoise. Parmi les prétendants, Monne le Brasseur représente un choix raisonnable pour Suzanne. Mais le cœur de la jeune fille penche pour le beau Triphon, avec qui elle s’entend à merveille. Triphon était le vannier de son père, mais, comme le lui fait remarquer sa tante, Triphon ne mangeait pas à la table de son père, mais dans la cuisine. La différence de statut social est marquée et Suzanne hésite, puis se laisse convaincre par les conventions. Il y a aussi Max Larix, venu de la ville pour prendre possession d’un schorre, terrain irrigué et protégé par des digues, qu’on lui a légué. Max aime, lui aussi, les longues promenades dans la nature.

Suzanne, qui se considère avant tout comme la petite fiancée de l’Escaut, est pourtant à la recherche de l’amour, le vrai : elle craint qu’on ne l’aime pour ses biens, peur que lui a transmise sa grand-mère qui pointait les intentions cachées au sein de toute action. Suzanne voudrait laisser libre cours à sa volonté, mais elle n’y arrive pas toujours et elle ne voit pas clair en elle. Son indépendance d’esprit marque toutefois l’opposition naissante aux générations précédentes qui privilégiaient les mariages d’intérêt.

Suzanne finit par tremper sa main dans « l’eau qui ne gèle jamais », coutume locale qui promet aux filles un mariage dans l’année. Et c’est en effet au terme d’une année que Suzanne trouve sa voie, aussi bien dans le domaine des sentiments qu’en ce qui concerne son destin professionnel, elle qui est la plus apte à protéger les digues des assauts de la mer. Deviendra-t-elle « Comtesse des digues » ? Le beau Triphon rentrera-t-il d’Angleterre pour épouser Suzanne ? Pourquoi Max Larix l’émeut-elle tant ?

Marie Gevers nous livre, pour ce premier roman écrit en 1929, un beau récit qui suit le cycle des saisons et s’inscrit ainsi dans le cycle de la vie. On sait que l’auteure a été éduquée à la maison : on lui dictait quotidiennement un passage des « Aventures de Télémaque », de Fénelon, élément autobiographique que l’on retrouve dans « La comtesse des digues ». Marie Gevers tire également ses connaissances de l’observation de la nature et de la botanique, plus précisément au sein du domaine de Missembourg qu’elle évoque dans le très beau « Vie et mort d’un étang ».

« La comtesse des digues » est un roman moderne, voire intemporel, par les thèmes qu’il évoque, la nature, les différences sociales, la naissance et la reconnaissance de l’amour. Marie Gevers parvient à capter notre attention en évoquant la magie des paysages qu’elle aime, le travail de l’osier, l’atmosphère humide du fleuve et des polders. Elle maintient également le suspense quant au choix de Suzanne, à l’amour que lui portent peut-être Triphon et Max. En ce sens, Je recommanderai donc plutôt « La comtesse des digues » que « Vie et mort d’un étang » que j’ai découvert l’année dernière au cours du mois belge 2015 et que j’avais pourtant beaucoup apprécié malgré les longues pages consacrées à l’étang et à la vie qui s’y déroule. Marie Gevers est, de toute façon, une auteure classique incontournable !

 

 

La comtesse des digues, Marie Gevers, éditions Labor, collection Espace Nord, Bruxelles, 2004, 170 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois belge d’Anne et Mina, vendredi 8 avril, lecture d’un classique.

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Excusez les fautes du copiste, Grégoire Polet

Excusez les fautes du copiste grégoire poletLe mois d’avril sera belge sur Le livre d’après et vous pourrez retrouver les nombreux billets des blogs participants au mois belge d’Anne et Mina, ou en cliquant sur le logo du mois belge.

Pour ma part, comme je l’ai annoncé dans mon billet de présentation, j’ai choisi de m’intéresser à des romans belges qui parlent de peinture et parmi ceux-ci, « Excusez les fautes du copiste » de Grégoire Polet, jeune écrivain belge très prometteur, dont le troisième roman a d’ailleurs été retenu dans la sélection du Goncourt.

Publié en 2006, « Excusez les fautes du copiste » est le second roman de Grégoire Polet. Il s’agit d’une confession, dans laquelle le narrateur nous livre le récit de sa vie ratée, prétexte à s’interroger sur l’art, sur la valeur de la vérité, sur le mensonge et sa signification.

Le narrateur a toujours échoué dans tous les domaines, à commencer par ses études artistiques de peinture. Il a pourtant obtenu son diplôme, mais avec des résultats plus que moyens. Puis il s’est marié, mais a perdu son épouse Nicole, morte en couches, et s’est retrouvé, -enfin une réussite-, avec une magnifique petite Isabelle qu’il a élevé seul et qui fut, un temps, son seul bonheur. Professeur de dessin dans une école de quartier, il mène une vie isolée et dans la grande maison froide que Nicole a laissée à Isabelle.

Notre antihéros se satisfait de sa médiocrité, car il pense n’avoir pas le choix. Ses oeuvres n’ont aucune originalité, comme en témoignent quelques tentatives vite abandonnées. Il accepte donc la proposition de Jeanne, qu’il a connue grâce à Emile, son seul ami : il s’agit de produire, au noir, des illustrations pour des livres que le père de Jeanne édite. Cela lui permettra de vivre un peu mieux, et surtout de payer les leçons de piano d’Isabelle.

Peu à peu, notre antihéros se voit proposer davantage de travail, il réalise des copies, tout à fait légalement d’ailleurs, et c’est un genre dans lequel il excelle. Il n’y voit pourtant que le reflet de sa médiocrité, puisqu’il est seulement capable de copier le travail des autres. Mais il a mis le doigt dans un engrenage et il dérive rapidement. Incapable de refuser ce qu’on lui demande, le copiste devient alors faussaire, et il atteint là le sommet de son art.

Ce faussaire génial est un homme passif qui regarde sa vie se dérouler comme il l’avait prévu, échec après échec. Il n’est pas dupe, jamais il ne se laisse rouler par ceux qui l’entourent et profitent de lui. Il est conscient de profiter également et il endosse la responsabilité de sa médiocrité. Il a seulement décidé de ne pas s’opposer à son destin. Paresse ? Incapacité à diriger sa vie ? Summum de la mauvaise foi ? L’antihéros de Grégoire Polet pourrait être agaçant, mais il est aussi parfait dans sa médiocrité, dans la façon qu’il a de de justifier ses actes.

« Le vrai, le faux, ce sont des inventions commerciales, des plus-values de marchands, des mensonges de maquignons, des arguments d’hypocrites. C’est une manière de créer des supériorités, de justifier des exclusions, d’exagérer des amours, d’exacerber des haines. Une manière de fonder le bonheur des uns sur le malheur des autres. Une raison de nier l’égalité, d’empêcher la fraternité, de miner la paix et de justifier les guerres. »

« Excusez les fautes du copiste » est le premier roman que le lisais de Grégoire Polet, et je n’ai pas été déçue. Le personnage du peintre faussaire m’a rappelé Meursault dans « L’étranger », un homme un peu extérieur à sa vie, qui observe et n’agit pas, spectateur de sa lente déchéance. J’ai cru retrouver aussi l’ambiance particulière de certains romans de Jacqueline Harpman, la ville de Bruxelles et la grande maison de l’avenue Brugmann, la plage d’Ostende, et des personnages seuls qui se livrent à l’introspection.

Au total, une réussite pour ma première lecture de ce mois belge !

 

Excusez les fautes du copiste, Grégoire Polet, Folio n°4779, Gallimard, Paris, 2008, 176 p.

 

Livre lu dans le cadre du Mois belge d’Anne et Mina

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