Archive | décembre 2016

Le problème Spinoza, Irvin Yalom

le-probleme-spinozaJuifs émigrés du Portugal, les frères Spinoza n’ont hérité de la génération précédente, alors prospère dans le commerce de gros, que d’un petit magasin de détail à Amsterdam. Mais l’aîné, Bento Spinoza, ne s’en préoccupe guère; ni de la Torah et du Talmud d’ailleurs, qu’il a pourtant étudiés pendant de longues années, ce qui aurait pu l’amener à devenir le nouveau grand rabbin d’Amsterdam. En effet, Spinoza a beaucoup réfléchi, jusqu’à remettre en cause l’origine divine de la Torah ainsi que les nombreuses interprétations qui en sont faites par les rabbins, et jusqu’à réfuter l’existence d’un Dieu qui soit à l’image de l’homme. Une réflexion qui s’est affinée après la rencontre avec celui qui deviendra son maître pendant plusieurs années, Franciscus Van den Enden, professeur de latin et de lettres classiques.

Le problème Spinoza s’ouvre sur  l’ étrange visite de deux cousins qui, envoyés par le rabbin, sont venus chercher chez  Spinoza l’explication, voire l’étincelle qui aidera le plus jeune à recouvrer la foi. Or, Spinoza est certes un sage, mais il n’est pas le plus orthodoxe des juifs de la petite communauté d’Amsterdam, bien au contraire.

Dès le second chapitre, l’auteur nous emmène en Estonie en 1910, où nous faisons connaissance avec Alfred Rosenberg, jeune Allemand des Etats baltes, futur idéologue du parti nazi allemand, aux prises avec le principal de son lycée parce qu’il a harangué ses camarades de classe sur le thème de la pureté de la race allemande. Le jeune homme veut en effet préserver les aryens du mélange avec des races qu’il considère inférieures. Comme punition, Rosenberg se voit contraint de lire certains chapitres de l’autobiographie de Goethe et d’y relever tous les passages où le grand écrivain évoque Spinoza, le philosophe juif qu’il admirait. Goethe n’a pas été choisi par hasard par les professeurs de Rosenberg : ceux-ci savaient que le jeune garçon avait pour héros Goethe, qu’il considérait comme le représentant par excellence du génie allemand. Chez Rosenberg, le paradoxe sera toujours sous-jacent : comment est-il possible, lorsque l’on voue une haine infinie aux juifs, d’admirer un génie qui lui-même s’inspirait du philosophe juif Spinoza ?

C’est ce lien entre Spinoza et Rosenberg, et le fait que Rosenberg ait confisqué la bibliothèque de Spinoza en 1941, qui permet à Irvin Yalom de construire ce roman sous la forme de deux biographies entrecroisées, à trois siècles de distance. L’auteur nous plonge ainsi tout à la fois dans la vie de Spinoza, dans les Pays-Bas du XVII ème siècle, au sein de la communauté juive dont il sera d’ailleurs exclu en raison de ses opinions, et dans celle d’Alfred Rosenberg, qui devient journaliste à Munich en 1919 et que nous suivons pendant toute la montée du nazisme, aux côtés d’Hitler, jusqu’à la chute de celui-ci, puis au procès de Nuremberg.

L’originalité du roman vient aussi du fait que l’auteur explore la vie intérieure des deux personnages. Celle-ci est imaginaire, mais l’auteur l’a extrapolée, en essayant de rester le plus vraisemblable possible. Il faut dire qu’ Irvin Yalom, avant d’être écrivain,  est d’abord psychothérapeute. Rôle que rempliront les deux personnages qu’il a crées, Franco Benitez, juif fraichement arrivé du Portugal, qui trahira d’abord Spinoza, avant de devenir son ami et unique confident, et Friedrich Pfister, médecin psychanaliste, ami du frère de Rosenberg et qui gagnera pour quelques temps la confiance d’Alfred Rosenberg, avant d’échouer malheureusement.

Spinoza et Rosenberg sont deux personnalités profondément différentes : la première est tournée vers le bien, tandis que l’autre est l’incarnation du mal. Reste que les deux hommes ont en commun d’être allés jusqu’au bout de leurs idées. Pour le pire en ce qui concerne Rosenberg ! Leur évolution parallèle, mais en deux directions opposées, est aussi l’illustration de la théorie des causes naturelles qu’évoque Spinoza et selon laquelle, tout a une cause qui s’explique par la nature, ainsi que par l’expérience de chacun.

Le problème Spinoza constitue une très bonne introduction à la philosophie de Spinoza, ainsi qu’à la psychanalyse. Les thèmes évoqués sont d’une grande richesse : l’apport de la philosophie, le rôle négatif des passions, l’ataraxie que les épicuriens recherchaient, la religion et les superstitions, la psychanalyse et le dilemme qu’éprouve le thérapeute quand il se trouve confronté à quelqu’un comme Rosenberg. L’ouvrage est véritablement érudit, tout en étant facile à lire et particulièrement captivant.

Comme il le précise dans les notes annexées au livre, l’auteur a voulu écrire un roman d’idées, afin de rendre hommage à la pensée de Spinoza qui, écrit-il, « a ouvert la voie aux Lumières ». Il y parvient tout à fait, en ajoutant aux éléments biographiques connus sur les deux protagonistes, une bonne dose de fiction, notamment en ce qui concerne les réactions émotionnelles de ceux-ci. Irvin Yalom fait ainsi du problème Spinoza un livre que l’on dévore et que l’on regrette de voir se terminer. Il s’agit donc pour moi d’un vrai coup de cœur !

Coup de coeur !

 Le problème Spinoza, Irvin Yalom, Le livre de Poche, Paris, Janvier 2014, 552 p.

 

 

 

Brunetti en trois actes, Donna Leon

brunetti-en-trois-actesPour le vingt-quatrième tome des enquêtes du commissaire Brunetti, Donna Leon situe son intrigue dans le milieu de l’opéra qui lui est cher. Cela lui permet de retrouver le personnage de Flavia Petrelli, diva qui était en tête d’affiche du premier Brunetti « Mort à la Fenice ». La grande cantatrice est donc de passage à Venise pour quelques représentations de la Tosca. A la fin du spectacle, auquel Brunetti et son épouse Paola ont d’ailleurs assisté, une pluie de roses jaunes s’est abattue sur la scène. Rien d’anormal pour les spectateurs, habitués à ce genre de marques d’admiration.

Il n’en va pas de même pour Flavia Petrelli qui découvre dans sa loge des centaines d’autres roses, d’autant que ce n’est pas la première fois. L’admiration des fans tourne parfois au harcèlement et il semble bien que ce soit le cas. Après de longs moments d’angoisse, Flavia décide finalement de faire appel au commissaire Brunetti qui commence à prendre l’affaire très au sérieux lorsqu’une jeune fille est agressée sur un pont de Venise. Celle-ci venait en effet de recevoir des félicitations de la part de la Flavia qui l’avait entendue répéter.

L’enquête est lancée et elle permet à la fois à l’auteure d’explorer la psychologie des harceleurs et d’emmener le lecteur dans les coulisses de l’opéra. L’intrigue se déroule en trois actes, comme l’opéra lui-même et se termine en beauté, avec une bonne dose d’action (pour un Brunetti !).

Et puis, comme d’habitude, il y a le charme particulier de Venise, la grâce de Paola et la sérénité parfois teintée d’humour qui se dégage de la famille Brunetti et l’insolence intelligente et déterminée de la signorina Ellettra. Sans oublier un commissaire qui ne soit ni alcoolique, ni dépressif, mais qui, heureusement, rencontre constamment des difficultés avec sa hiérarchie et avec l’administration en général, sinon sa vie serait trop parfaite pour être vraie…

C’est donc un Brunetti particulièrement intéressant et dynamique que j’ai retrouvé avec cette lecture et qui me donne envie de me plonger rapidement dans un autre tome de la série !

Brunetti en trois actes, Donna Leon, traduit de l’anglais par Gabriella Zimmermann, Calmann-Lévy, 2016, 338p.

Livre lu dans le cadre du challenge 1% de la rentrée littéraire, du challenge Il viaggio chez Eimelle, du challenge Femmes de lettres chez George et du challenge vénitien.

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Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, Selma Lagerlöf.

le-merveilleux-voyage-de-nils-holgersson-a-travers-la-suede-jeunesseNée en 1858 en Suède, Selma Lagerlöf, institutrice, est passée à la postérité grâce à ce roman d’initiation devenu un classique de la littérature pour la jeunesse. L’auteure l’avait écrit en réponse à une commande de l’ école publique suédoise, afin de faire connaître la géographie de la Suède aux écoliers du pays. Le livre remporta un concours qui récompensait alors le meilleur livre de lecture pour les écoles. Fait moins connu, Selma Lagerlöf fut aussi la première femme à remporter le Prix Nobel de littérature, en 1909.

Le héros est un jeune garçon qui ne sait « que dormir, manger et faire des bêtises » et notamment tyranniser les animaux de la ferme de ses parents. Un dimanche, alors que ses parents sont au temple, Nils aperçoit un lutin et décide de lui jouer un mauvais tour. Le lutin se venge aussitôt et transforme le garçon en un petit lutin également, doté de la capacité de parler avec les animaux. Nils se rend bien vite compte que les animaux de la ferme savent où habite le lutin qui lui a jeté ce sort, mais refusent d’aider le garçon qui a été si méchant avec chacun d’eux.

C’est alors que passe dans le ciel un groupe d’oies sauvages, en migration vers le Nord. Un jeune jars de la ferme ne résiste pas à l’appel et décide de les accompagner dans leur voyage. Au moment où le jars réussit à s’envoler, Nils oublie sa petite taille et s’accroche au cou du jars pour l’empêcher de partir. Il est emporté dans les airs et quitte ainsi sa Scanie natale pour un voyage qui dure plus de huit mois : toutes sortes de péripéties attendent le jeune garçon et l’amènent à devenir meilleur, à se dépasser et à comprendre qu’il n’a jusqu’alors été que méchant et égoïste. Le roman est certes un peu moralisateur, mais le jeune Nils comprend par lui-même, grâce à l’observation et à l’expérience qu’il tire de ce long périple.

Selma Lagerlöf nous emporte dans un beau voyage au charme désuet, mélangeant le fantastique au roman d’initiation. De la Scanie jusqu’en Laponie, nous découvrons les paysages suédois, les animaux sauvages qui les peuplent et quelques légendes de ces contrées nordiques. Je n’ai qu’un regret : n’avoir pas lu le texte intégral, ce qui n’est précisé nulle part dans cette édition Jeunesse. Je me suis vite rendu compte que le récit était incomplet. La présente édition n’est en effet qu’une version réduite des aventures de Nils Holgersson.

Le fait est important, car cette édition est destinée aux jeunes de onze ans et plus. D’une part, le sujet est très éloigné de ce que lisent les plus de onze ans et risque donc de ne pas leur plaire et d’autre part, le vocabulaire facile et la simplicité de l’intrigue conviennent davantage à des enfants de classes primaires. L’indication de l’âge au dos du roman me semble donc largement sur-évaluée. Quant à moi, je ne résiste pas à inscrire dans ma liste d’envies l’édition intégrale publiée chez Actes Sud :

 

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Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, Selma Lagerlöf, traduit du suédois par Agneta Ségol et Pascale Brick-Aida, illustrations de Michel Boucher, Flammarion jeunesse, Paris, 2010, 132 p, à partir de 11 ans.

 

Livre lu dans le cadre du challenge Objectif PAL chez Antigone, du challenge Femmes de lettres chez George et du challenge nordique chez Marjorie.

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L’amie prodigieuse : le choix des couvertures

Même si j’ai déjà lu et chroniqué les trois premiers tomes de la saga « L’amie prodigieuse », je suis contente que cette auteure ait été choisie pour le Blogoclub de Sylire, car c’est à nouveau l’occasion de parler d’une saga qui m’a énormément plu et de prendre connaissance des différents points de vue à son sujet. C’est donc un rendez-vous que je ne pouvais pas manquer ! Cela me rappelle aussi que je garde le quatrième tome que je possède en italien comme « lecture-cadeau » pour les vacances de Noël : un excellent moment à savourer et dont je me réjouis à l’avance, car selon la plupart des critiques, la saga tient ses promesses sur la longueur. En France, il ne reste plus longtemps à attendre avant de dévorer le tome 3 qui sortira en janvier prochain.

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En attendant, j’ai choisi de vous parler de « L’amie prodigieuse » sous un angle très différent de ce que que je fais habituellement : celui des couvertures des quatre romans. En effet, les couvertures de romans se veulent généralement  attrayantes. Mais l’effet recherché n’est pas toujours au rendez-vous; c’est ce qui m’est arrivé précisément avec le premier tome de « L’amie prodigieuse » en version italienne : en vacances en Italie, j’errais dans les rayons d’une grande librairie à la recherche du livre idéal. Je me suis adressée au libraire qui m’a aussitôt conseillé le premier tome de la saga d’Elena Ferrante. Devant la pile impressionnante qui oscillait sur le principal présentoir de la librairie, et surtout en découvrant la couverture, j’ai cherché un moyen de me dérober : j’ai sans doute bafouillé une excuse sans queue ni tête me permettant de ressortir sans ce roman qui ne pouvait être qu’à l’eau de rose : qu’en pensez-vous ?

 

l'amica geniale

L’amie prodigieuse, tome 1

 

Storia del nuovo cognomeLe nouveau nom, tome 2

On sait bien que la première de couverture remplit une fonction d’information au sens propre : titre, auteur… Elle doit également donner implicitement des renseignements sur le genre d’ouvrage dont il est question : au premier coup d’oeil, nous pouvons généralement deviner s’il s’agit d’un polar, de chick-lit, de littérature… La couverture doit aussi et surtout attirer notre attention, car la concurrence est rude sur les tables des libraires. Elle doit en même temps éveiller notre curiosité pour nous faire ressentir l’envie, voire la nécessité, d’acheter le livre. Un public cible est généralement visé en premier lieu et si l’illustration parvient à attirer d’autres types de lecteurs, c’est encore mieux.

En ce qui concerne les romans originaux de la saga d’Elena Ferrante, je ne dois pas être la seule à trouver les couvertures particulièrement « moches ». En recherchant quelques articles sur internet, je suis tout de suite tombée sur celui-ci : « Le copertine dei libri di Elena Ferrante sono brutte? » / « Les couvertures des livres d’Elena Ferrante sont-elles laides ? ». Ces mêmes couvertures ont été gardées par la maison d’édition américaine qui a publié les quatre romans qui ont remporté un énorme succès aux Etats-Unis, fait peu habituel d’ailleurs pour des livres italiens. Un choix apparemment assumé comme nous le révèle l’article que je cite ci-dessus : ainsi, la cofondatrice des éditions italiennes E/O, Sandra Ozzola, a expliqué : « les couvertures sont volontairement kitsch et donnent une idée de la vulgarité qui est un des éléments centraux de la saga » (sic). Elle précise que l’auteure, Elena Ferrante, n’a pas été impliquée dans le processus créatif des couvertures, mais qu’elle a toujours approuvé le travail de la maison d’édition. Sandra Ozzola ajoute : « les livres de Ferrante sont un mélange de littérature populaire et de littérature intellectuelle, nous voulions que cette idée apparaisse aussi sur les couvertures ». Elle ajoute enfin qu’il lui « semble étrange que les lecteurs n’aient pas saisi l’évidente ironie qui transparaît dans ce choix ».

 

En France, « L’amie prodigieuse » est publiée par Gallimard, puis en édition de poche, chez Folio, ce qui est a priori un gage de bon goût. En effet, les couvertures donnent une toute autre impression, comme l’ont constaté les lecteurs francophones. Jugez plutôt :

 

lamie-prodigieuse-gallimard

Le nouveau nom ferrante

 

Et  pour terminer, voici quelques-unes des couvertures dans d’autres langues. Lesquelles préférez-vous ?

 

my-brilliant-friendVersion américaine

 

la-amica-estupenda  Version espagnole

 

lamica-genial-catalanVersion catalane

de-geniale-vrindin-elena-ferranteVersion néerlandaise

meine-geniale-freundinVersion allemande

 

min-fantastika-vaninnaVersion suédoise

 

Mon avis sur L’amie prodigieuse ici.

Les avis des autres participants chez Sylire ICI.

 

Livre lu dans le cadre du Blogoclub de Sylire et du challenge Il viaggio chez Eimelle.

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