Archive | mars 2017

S’abandonner à vivre, de Sylvain Tesson

« S’abandonner à vivre » illustre à nouveau le talent de Sylvain Tesson pour la nouvelle. L’aventurier érudit avait en effet reçu en 2009 le prix Goncourt de la nouvelle pour « Une vie à coucher dehors ». Les nouvelles qu’il présente ici sont de la même veine. Elles se déroulent dans les pays et villes qu’affectionne particulièrement l’auteur, la Russie notamment, et surtout la Sibérie, ainsi que l’Afghanistan, la Chine, l’Afrique du Nord, mais aussi la Suisse et… Paris.

Comme à son habitude, Tesson parsème ses textes de références littéraires ou philosophiques. Il souligne aussi quelques stéréotypes, comme lorsqu’il fustige l’opinion que nous, occidentaux, avons généralement des Russes, lorsque nous oublions que ceux-ci ne peuvent pas se relever en un clin d’œil de plusieurs décennies d’un communisme qui a détruit le pays tout entier.

Il y a du vaudeville dans ces nouvelles, tout particulièrement dans « La bataille » (celle de Borodino) et « La gouttière ». Cette dernière prend un sens particulier quand on sait que Sylvain Tesson a été victime d’une très mauvaise chute il y a deux ans, alors qu’il escaladait la façade d’un chalet à Chamonix !

Il y a également de la farce dans « Le téléphérique », de la sagesse dans « Le train », et sans aucun doute une bonne dose d’autobiographie et d’anecdotes vécues dans l’ensemble du recueil. Sylvain Tesson excelle dans ce genre difficile, parfois peu prisé des francophones, dont il maîtrise très bien l’art de la chute. Les dénouements nous laissent souvent souriants, parfois étonnés, mais jamais indifférents. Les personnages que décrit l’auteur sont confrontés à leur destin, tantôt prévisible, tantôt ironique, mais Sylvain Tesson réussit à ne pas être pessimiste : devant la force du destin, devant l’ironie du sort, il ne voit qu’une seule attitude possible : s’abandonner à vivre …

 

S’abandonner à vivre, Sylvain Tesson, Folio n° 5948, Mai 2015, 256 p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge Objectif PAL 2017 chez Antigone

Limonov, d’Emmanuel Carrère.

 

A45089_Limonov.inddLe blogoclub est consacré aujourd’hui à un écrivain français que je n’avais jamais lu, Emmanuel Carrère, et qui ne m’attirait guère jusqu’alors.  Première étape de la découverte : explorer sa biographie et surtout ses publications pour faire un choix. L’auteur a publié plusieurs romans mais, depuis les années 2000, il consacre surtout ses travaux à des récits qu’il écrit à la première personne, se mettant en scène dans la vie des autres. Il agit comme un enquêteur et d’ailleurs, il s’intéresse à des sujets bien réels, tels des faits divers qui l’ont intrigué.

J’ai donc procédé par élimination pour effectuer mon choix, tant la vie de l’imposteur Jean-Claude Romand, ou le tsunami de 2004 m’inspiraient peu. Il en allait de même pour son dernier ouvrage, « Le Royaume », consacré aux origines de la chrétienté et à son influence sur le monde actuel, mais ici plutôt parce que l’ouvrage me semblait ardu.  En revanche, parce que le récit a trait à la culture et l’histoire russes, mon choix s’est porté sur « Limonov », que Carrère a publié en 2011 et pour lequel il a reçu le prix Renaudot.

Emmanuel Carrère y raconte la vie d’Edouard Limonov, écrivain et dissident né à Moscou en 1943. L’homme a un itinéraire pour le moins rocambolesque qui l’a amené à fréquenter des milieux très divers. Petite frappe risquant de tomber dans la délinquance à Kharkov, il mène ensuite une vie de bohême à Moscou où il croise de nombreux poètes, avant d’émigrer avec son amie du moment à New York où il reçoit aussitôt l’aide de prestigieux émigrés russes. Les années quatre-vingt seront parisiennes pour Limonov qui sort enfin de la misère et de l’anonymat. Puis Limonov retrouvera son pays, quitté quatorze ans auparavant, et y rentrera après un détour par l’ex-Yougoslavie qui est alors en pleine guerre, afin d’y mener un combat politique.

Le plus grand intérêt du récit a été pour moi le large panorama de l’intelligentsia russe qu’il nous offre puisque Limonov a croisé de grands écrivains et artistes russes. De même, Emmanuel Carrère y dessine en creux l’histoire de l’Union soviétique des années cinquante jusqu’à la Russie de Poutine. Quant à l’auteur lui-même, il est toujours présent en filigrane du récit et plus particulièrement dans les années quatre-vingt, époque où il a connu Edouard Limonov à Paris.

Le récit d’Emmanuel Carrère est très intéressant et très riche, même si la forme adoptée par l’auteur m’a laissée un peu sur ma faim : il semble, d’après Emmanuel Carrère, que ce ne soit pas une véritable biographie et pourtant on voit mal quelle est la part de la fiction dans ce récit. Une biographie romancée donc ? Soit. Limonov en tous cas, constitue un personnage romanesque en puissance. Un concentré d’âme russe, tant il est difficile à cerner, excessif et sincère. Un homme très déterminé qui a combattu toute sa vie pour différentes causes, qu’il s’agisse de la poésie, de la littérature, comme de l’action politique jusqu’au combat militaire !

Une belle découverte, d’un écrivain-aventurier que je ne connaissais pas, comme d’un auteur dont j’avais une image plutôt négative, je ne sais pas pourquoi… Je suis donc curieuse de découvrir les avis sur d’autres livres d’Emmanuel Carrère.

Limonov, Emmanuel Carrère, Folio n°5560, mars 2013, 489 p.

 

Livre lu dans le cadre du Blogoclub de Sylire.

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