Archive | mars 2018

Nous dormirons quand nous serons vieux, Pino Corrias.

 

D’entrée de jeu, Pino Corrias nous présente les trois personnages de son roman : Oscar Martello, producteur de cinéma prêt à tout -vraiment tout-, Andrea Serrano, scénariste un peu naïf et timide qui déguise sa lâcheté en élégance, et Jacaranda Rizzi, actrice très jolie qui a beaucoup souffert pour, peut-être un jour, réaliser son rêve…

Le pitch ? Oscar Martello a produit un film auquel il ne croit pas. Pour éviter la faillite qui le menace, il invente un stratagème destiné à doper les entrées dès que le film sera à l’affiche. Car Oscar Martello ne peut renoncer à son rêve, acheter Cinecittà et en refaire le temple du cinéma d’antan, rien que cela ! Il organise donc la disparition de l’actrice principale du film et l’envoie en compagnie d’Andrea à Paris dans un appartement qu’il vient d’acquérir. L’opération lui permettra, par la même occasion, de transférer discrètement de l’argent à l’étranger.

Mais l’intrigue peine à démarrer, l’auteur préférant nous présenter le « Supermonde », celui du cinéma, de la Jet set, qui se résume à une succession de soirées où règnent en maîtres le luxe, l’alcool et les drogues : une vie frénétique sans but, si ce n’est l’avidité, où chacun est prêt à se vendre pour une photo dans un magazine, pour un rôle dans un film. C’est une « Dolceroma » bien amère qu’il nous présente, symbole de l’ère post-berlusconienne et capitale d’un pays à la dérive.

Si l’on pense très vite au superbe film de Paolo Sorrentino, « La grande bellezza », on évitera de comparer pour ne pas rester sur notre faim. « Nous dormirons quand nous serons vieux » est la chronique amère du lancement d’un film qui nous décrit le cinéma italien contemporain comme un monde décadent et agonisant.  Et c’est à peu près tout. Pendant tout le roman, on attend quelque chose qui n’arrivera jamais : tout est prévisible, rien d’original, pas de rebondissements, les personnages correspondent à l’idée que l’on se fait d’eux. Journaliste, producteur pour la télévision, scénariste, Pino Corrias connait bien le milieu qu’il décrit. Peut-être trop ? En tout cas, le roman apporte peu au lecteur, et sera loin de figurer parmi mes favoris de cette sélection !

 

Nous dormirons quand nous serons vieux, Pino Corrias, traduit de l’italien par Jacques Barbéri, Points Seuil n°P4743, février 2018, 323 p.

 

Sélection pour le Prix du Meilleur roman Points

 

 

Avril, le mois belge !

La cinquième édition du mois belge commence dans quelques jours et, comme d’habitude, je suis ravie de participer. Voici les quelques rendez-vous qu’Anne, du blog Des mots et des notes, nous propose ; ceux-ci sont bien sûr indicatifs, le seul impératif étant de lire des auteurs belges, francophones ou flamands :

 

 

 

-Dimanche 1er avril : poésie

-mardi 3 avril : un classique belge (publié avant 1960).

-vendredi 6 avril : Paul Colize (auteur de polars).

-lundi 9 avril : un recueil de nouvelles.

-mercredi 11 : une BD belge.

-vendredi 13 : un roman ou un album jeunesse.

-mardi 17 : Caroline Lamarche.

-vendredi 20 : un auteur flamand.

-mardi 24 : RDV « mauvais genre » : polars, SF, fantastique, fantasy.

-vendredi 27 : RDV féminin : auteur ou thématique féminine.

 

 

Au programme de mes lectures

 

 

Je cherche encore une ou deux autres idées : qu’est-ce que vous me conseillez ?

 

Ce qu’est l’homme, David Szalay

 

C’est un portrait de l’européen contemporain qui se dégage de ce roman qui se veut comme tel mais qui est plutôt la juxtaposition de neuf nouvelles, comme autant de tranches de vie d’hommes de notre époque. Chacun d’entre eux, de tous âges -dix-sept à soixante-treize ans-, vit une aventure, loin de chez lui. Les scènes se passent dans des hôtels, des appartements de location, des résidences secondaires… Les héros sont toujours des européens qui voyagent dans d’autres pays d’Europe.

Il y a Simon qui parcourt l’Europe en train avec son ami Ferdinand. Le voyage est un révélateur et les deux étudiants apprécient très différemment les découvertes et rencontres qu’ils font à Berlin et à Prague.

Bernard, quant à lui, est parti seul à Chypre dans un hôtel décevant ; heureusement il sympathise (et plus si affinités) avec une mère et sa fille. Mais la rencontre n’a pas grand intérêt pour lui.

Gabor emmène sa petite amie Emma à Londres pour la livrer à la prostitution. Il est accompagné par Balazs, entraîneur sportif, qui joue le rôle de garde du corps. Les deux Hongrois communiquent peu et ne dévoilent pas leurs sentiments.  Balazs passe finalement une journée avec Emma et l’apprécie sans la juger.

Un chercheur doctorant quitte l’Angleterre où il est venu pour la publication de sa thèse. Il ne s’habitue pas à l’idée que le monde puisse changer tout le temps. Le voyage est pour lui l’occasion de convoquer des souvenirs d’une enfance qui n’est pas si loin.

Karel est belge. Il se rend en Pologne avec sa petite amie polonaise qui lui annonce qu’elle est enceinte. Il veut qu’elle avorte mais elle ne s’y résoud pas. L’incommunicabilité entre les deux amoureux est totale.

Kristian, journaliste danois, n’hésite pas un instant quand il s’agit de révéler un scoop concernant la vie privée d’un ministre et d’une femme mariée. Son travail représente toute sa vie.

Murray a quitté l’Angleterre pour vivre une semi-retraite en Croatie où il n’a qu’un ami, un Hollandais timide. Murray se fait arnaquer : désabusé, sans illusion, il n’attend plus rien de la vie.

Sur son yacht, Aleksander non plus n’a plus goût à la vie : il a perdu son immense fortune et sa femme l’a quitté. Il recherche alors le moyen le plus efficace de se suicider.

Enfin, un anglais de soixante-treize ans se repose dans sa résidence secondaire en Italie. Parce qu’il est victime d’un accident, sa femme vient l’aider par devoir. Sa fille viendra ensuite, par amour. Il essaie de comprendre la perception que les hommes ont du temps qui passe.

Ces hommes ont tous en commun une fragilité, un doute, des difficultés à communiquer ou à exprimer leurs émotions. Certains sont agaçants, on aurait envie de les secouer. D’autres arrogants, gâtés par l’argent, certains sont au contraire touchants. Où qu’ils aillent, leur tristesse ou leur ennui ne les quitte pas. C’est un portrait bien sombre que nous livre l’auteur britannique David Szalay : les mâles européens se portent-ils tous aussi mal ? D’où vient leur vague-à-l’âme ? Le « roman » n’est pas dénué d’intérêt, il a d’ailleurs été finaliste du prestigieux Man Booker Prize. A éviter toutefois par une longue journée de pluie !

 

Ce qu’est l’homme, David Szalay, traduit de l’anglais par Etienne Gomez, Albin Michel, mars 2018, 547 p.

 

Je remercie Babelio et les éditions Albin Michel de m’avoir fait découvrir ce roman.

 

 

 

 

Une bouche sans personne, Gilles Marchand

 

Le cinquième roman que j’ai lu de la sélection pour le prix du Meilleur roman Points m’a étonnée et ravie, au point de constituer, parmi ces lectures, mon premier coup de cœur. J’ai été étonnée, parce que ni le titre, ni la quatrième de couverture ne m’auraient incitée à acheter ce roman que je n’avais d’ailleurs pas remarqué lors de sa parution, passant ainsi à côté d’un excellent premier roman. Ravie parce que j’ai découvert un livre certes très douloureux par l’épisode historique auquel il fait référence, mais jamais pesant parce que l’auteur en a fait un bijou de poésie et d’imagination.

Gilles Marchand nous plonge dans le quotidien gris et monotone d’un petit comptable qui dissimule en permanence sa bouche et son cou sous une épaisse écharpe. L’homme préfère être seul, bien qu’il se présente comme n’étant ni agoraphobe ni misanthrope. On se doute qu’un traumatisme doit être à l’origine de son comportement…

En dehors de son travail, où il préfère éviter tout lien et donc toute conversation avec ses collègues, le narrateur se rend tous les soirs dans un bar où il retrouve Sam, un taiseux comme lui, et Thomas, un homme plus âgé et également plus bavard. Quant aux deux « femmes de sa vie », ce sont sa boulangère, qui le gratifie chaque matin du seul temps qu’elle connaît, le futur, et avec laquelle il lutte pour ne pas « abdiquer ses principes de conjugaison », et Lisa, la jolie serveuse qu’il aime en silence, parce qu’elle est bien trop belle pour lui.

Chaque soir, le narrateur retrouve Sam, Thomas et Lisa et passe quelques heures avec eux à jouer à la belote, écouter de la musique et parfois, seulement, à discuter. Mais ses trois amis s’interrogent sur son secret et, parce qu’ils savent que parler le sauvera, ils finissent par le pousser à raconter son histoire. Quelques clients du café tendent l’oreille, et bientôt, ils seront nombreux chaque soir à venir écouter l’histoire de l’homme à l’écharpe. Celui qui avait « cadenassé solidement » son « armoire à souvenirs » doit affronter le passé, « le poème et la cicatrice » qui dormaient en lui depuis si longtemps. Comme dans « La conscience de Zeno », ce roman italien du début du vingtième siècle que son grand-père lisait, le narrateur va laisser ses souvenirs remonter à la surface petit à petit au cours des soirées au café qui représentent pour lui autant de séances de psychanalyse.

Dans la profusion actuelle de livres publiés, la littérature se fait rare mais elle existe toujours et le roman de Gilles Marchand en fait partie : une histoire sombre -dont le traumatisme originel est inqualifiable-, sublimée par le regard empli d’imagination que le narrateur porte sur le quotidien et par l’atmosphère particulière qu’il crée, des personnages bien croqués mais qui laissent aussi la place à l’imagination du lecteur, de l’amitié, une fantaisie douce qui devient poésie … font d’ «Une bouche sans personne» une très belle histoire.

 

 Coup de cœur 2018 !

 

Une bouche sans personne, Gilles Marchand, Points Seuil n° P4659, octobre 2017, 260p.

 

Prix du Meilleur roman Points

 

 

 

Les nuits sont calmes à Téhéran, Shida Bazyar

 

1979, le Shah d’Iran est renversé. Behsad est un étudiant engagé qui attend beaucoup de cette révolution. A terme, il espère que les livres remplaceront les armes, mais l’arrivée au pouvoir de l’Ayatollah Khomeiny lui enlève toutes ses illusions. Vient alors pour lui le temps de la résistance, et quelques temps après, la question essentielle, rester ou s’exiler ?

C’est en Allemagne en 1989 que l’on retrouve Behsad, mais la narratrice de cette deuxième partie est Nahid, l’épouse de Behsad. Le couple a quitté Téhéran avec ses deux jeunes enfants pour s’installer dans la patrie du capitalisme, seul moyen pour eux de poursuivre la lutte clandestine. Puis, c’est Laleh, la fille de Behsad et Nahid qui poursuit le récit en 1999, alors que Rafsandjani est élu président de la République. Mo, son jeune frère, sera ensuite le témoin, en 2009, toujours de l’Allemagne, leur patrie d’accueil, de nouveaux mouvements révolutionnaires en Iran. Enfin, Tara, la troisième enfant du couple, née en exil, termine le roman en offrant son point de vue.

« Les nuits sont calmes à Téhéran » est le premier roman d’une jeune allemande d’origine iranienne, Shida Bazyar. Il retrace trente années de l’histoire contemporaine de l’Iran, à partir de la vie quotidienne d’une famille iranienne engagée ; mais ce sont surtout les relations familiales, les petits tracas du quotidien, la vision qu’ont les iraniens de l’Allemagne et les surprises qui attendent ceux qui émigrent que l’auteur nous détaille. Autant de thèmes développés par les cinq membres d’une même famille, parents et enfants, deux générations qui ont connu des modes de vie très différents, puisque les premiers ont été élevés en Iran, les seconds en Allemagne. Ils ont cependant tous en commun de ne chercher qu’une chose, la liberté.

« Les nuits sont calmes à Téhéran » nous fait pénétrer dans le quotidien semé d’embûches d’une famille qui découvre peu à peu combien il est difficile de mener une révolution, de ne pas se la faire confisquer, comme l’ont été beaucoup de révolutions arabes récentes. Il attire aussi notre attention sur ce que représente l’exil pour les différents membres d’une même famille. En ce qui concerne la forme, j’ai regretté des paragraphes trop longs et un certain manque de fluidité dans l’écriture. Néanmoins, le contenu est très intéressant et se prolonge dans l’actualité iranienne, au moment où de nombreuses jeunes femmes cherchent elles aussi à mener une révolution en se débarrassant de leur voile, et comme la famille de Behsad, à recouvrer leur liberté.

 

Les nuits sont calmes à Téhéran, Shida Bazyar, traduit de l’allemand par Barbara Fontaine, Editions Slatkine et Cie, janvier 2018, 247 p.  

 

Je remercie les Editions Slatkine et Cie de m’avoir permis de découvrir ce roman.

 

Pour en savoir plus sur le roman : http://www.slatkineetcompagnie.com/nuits-calmes-a-teheran/

 

Blogoclub : Nymphéas noirs, Michel Bussi

Les romans de Michel Bussi sont toujours en bonne place dans les librairies et très souvent, ils font l’objet de piles impressionnantes, ce qui est particulièrement rédhibitoire pour moi. Je n’avais donc jamais lu de livre de cet auteur et comme c’est souvent le cas, le Blogoclub m’a obligée à m’éloigner de mes centres d’intérêts ou de mes préjugés.

C’est sur les conseils d’Amandine que j’ai choisi de lire « Nymphéas noirs », qui est sans doute le plus connu des romans de Michel Bussi, mais c’est aussi parce qu’il se déroule à Giverny et fait bien sûr référence aux toiles de Monet. Et je n’ai pas été déçue, au contraire : je m’attendais à un polar bien ficelé, rapide à lire et donc distrayant, et il y a tout cela, mais plus encore.

Comme l’auteur le précise, à part l’intrigue, tout est vrai : les descriptions de Giverny et des environs, les références à Monet et à son œuvre, ainsi qu’au musée de Vernon et au Musée Marmottan. J’ai d’ailleurs appris beaucoup de choses, et le roman est à conseiller avant un voyage à Giverny, puisque l’auteur, par la voix de la narratrice, nous indique les lieux à ne pas manquer, comme celui où l’on a la plus belle vue sur le village, ou des oeuvres moins connues à voir à Vernon…

Il nous prévient aussi que Giverny est devenu une sorte de parc d’attraction, envahi de touristes la journée, et désert en semaine hors saison : il faut donc bien choisir le moment de sa visite ! L’image donnée du lieu n’est pas toujours reluisante, mais la curiosité est attisée, en tout cas en ce qui me concerne, puisque je n’ai jamais eu l’occasion de découvrir Giverny. Le roman de Michel Bussi n’est d’ailleurs pas étranger au succès touristique de Giverny, et l’office du tourisme a même créé un parcours sur les pas du roman de Michel Bussi !

Revenons à l’intrigue, qui se fonde sur trois personnages féminins très différents, mais tout aussi intéressants : la petite Fanette, une jeune fille de onze ans, vive, intelligente et très douée pour la peinture.  Stéphanie Dupain, une très belle jeune femme qui est la maîtresse de l’école du village, et enfin, la narratrice, une octogénaire sombre et mystérieuse, qui passe son temps à espionner les gens du village par la fenêtre de la tour du moulin de Chennevières, ou simplement assise sur un banc. J’oubliais le chien Neptune, seul témoin du crime, et personnage à part entière de par sa simple présence…

Le crime, justement, c’est l’assassinat de Jérôme Morval, un séducteur local, poignardé, puis assommé avec une lourde pierre et enfin noyé dans le ruisseau : aucune chance de réchapper à ce modus operandi pour le moins étrange. Les deux inspecteurs chargés de l’enquête, Laurenç Sérénac et Silvio Benavidès forment un duo attachant, et leur enquête prend un tour nouveau lorsque l’un d’eux tombe amoureux de la belle Stéphanie Dupain, dont on ne sait pas si elle est victime ou suspecte dans cette affaire.

Il y a certes quelques incohérences, comme lorsque les policiers vont arrêter un suspect en pleine partie de chasse : évidemment, il ne faut pas être flic pour se douter que le suspect menacera les policiers de son arme. Pour le reste, j’ai été très surprise de la fin qui semble impossible à deviner dans la mesure où il manque un élément au lecteur pour pouvoir connaître le fin mot de l’histoire !  Tout s’éclaire évidemment, et on ne peut alors qu’admirer l’astuce et la construction narrative !

Nymphéas noirs, Michel Bussi, Pocket n° 14971, septembre 2013, 493 p.

 

Les lectures et avis des membres du Blogoclub :

-Amandine: « Le temps est assassin ».

Ellettres Eve,  sur « Nymphéas noirs ».

Claudia Lucia sur « Un avion sans elle ».

Sharon,  sur « Mourir sur Seine ».

Mistigri, sur « On la trouvait plutôt jolie ».

 

 

 

 

Lu dans le cadre du Blogoclub, et du challenge Polars et thrillers chez Sharon