Archive | juillet 2018

La triomphante,Teresa Cremisi

 

Editrice et chef d’entreprise franco-italienne, Teresa Cremisi a publié son premier roman en 2015, à l’âge de soixante-dix ans. Un roman en grande partie autobiographique qui évoque l’enfance alexandrine de cette fille d’expatriés, de nationalité italienne alors, mais élevée dans la langue française.

L’enfance heureuse se déroule au pensionnat Notre-Dame de Sion d’Alexandrie. La fuite en 1956, lors de la crise du canal de Suez, y met un terme et c’est le retour brutal dans un pays qui n’était pas le sien, puis l’installation à Milan.

L’âge adulte, vécu en France, marque le début d’une période d’ombre pour la narratrice. La vie professionnelle, pourtant riche et pleine de succès, semble sans intérêt pour elle, du moins quand elle se retourne sur son passé. Elle n’hésite d’ailleurs pas à démissionner quand elle ne se sent pas en accord profond avec ce qu’elle fait. Finalement, on la retrouve, sereine et en paix avec elle-même, à l’heure de la retraite, qu’elle passe en grande partie à Atrani, un village de la magnifique côte amalfitaine.

J’ai beaucoup aimé la façon dont la narratrice évoque sa vie, avec retenue et pudeur. Un contrôle d’elle-même qui semble naturel, qui montre qu’elle se respecte, comme elle respecte les autres : une politesse que l’on ne trouve plus beaucoup actuellement. Le fruit de son éducation assurément, qui lui sert aussi dans sa vie professionnelle : parce qu’on l’avait élevée dans cette simplicité de sentiments, dans cette liberté, sans lui mettre de barrières psychologiques, notamment en ce qui concernait sa féminité, Teresa Cremisi ne savait pas que les femmes pouvaient rencontrer des difficultés dans le monde du travail ; elle ne les a donc pas éprouvées, et les choses se sont avérées plus faciles pour elle que pour nombre de ses contemporaines.

Côté mariage, la narratrice dit ne pas connaître la passion amoureuse. Elle est pourtant heureuse avec Giacomo qui semble posséder la même forme d’intelligence qu’elle. Sans enfant par choix, le couple est vu comme moderne par les autres, mais il dure parce qu’il est construit sur une base forte faite de respect mutuel. Teresa Cremisi évoque également la religion, dont elle ne ressent pas les émotions. Juive par sa naissance, baptisée suite à son propre choix à l’âge de neuf ans, elle s’interroge sur ce qu’une religion représente pour celui qui a la foi.

La narratrice est pourtant une femme passionnée; par les batailles navales, passion qu’elle redécouvre à la retraite grâce aux recherches que lui permet Internet; par la littérature aussi : les récits d’Homère, des héros comme Lauwrence d’Arabie, ou la poésie de Constantin Cavafis, l’ont accompagnée toute sa vie…

Elle réfléchit beaucoup, s’interroge sur le monde et mène la vie simple d’une femme qui, dit-elle, n’a pas agi sur le monde, mais l’a beaucoup regardé. Ce qu’elle nous raconte avec une grande élégance.

 

La triomphante, Teresa Cremisi, Folio n°6231, 2016, 225p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge objectif Pal et Destination Pal.

Le soleil des rebelles, Luca di Fulvio

 

 

« Jamais autant de sang innocent ne fut versé, sur cette langue de terre connue sous le nom de Raühnvahl, qu’en ce matin du 21 septembre de l’an de grâce 1407. » Et notamment celui du seigneur de ce petit royaume, le prince Marcus Ier de Saxe, assassiné devant son fils de neuf ans, comme toute la famille et les domestiques. Seul rescapé, l’enfant doit la vie à l’intervention d’une petite fille de son âge, Eloïsa, qui est la fille de la sage-femme Agnete.

Agnete recueille l’enfant, le renomme Mikael, et le cache dans une cave obscure pendant de nombreuses semaines, avant de mettre au point un stratagème pour le faire passer auprès des villageois pour un enfant acheté au vendeur Raphaël. Dans sa nouvelle famille, le jeune Mikael grandit comme un serf, apprend à manger avec les doigts et à dormir sur une paillasse, à travailler dur et à se battre. Il apprend aussi à devenir un homme, grâce aux enseignements de Raphaël.

« Une dernière chose, gamin, fit Raphaël de sa voix profonde. A partir de maintenant, tu as deux routes devant toi. Tu peux maudire le mauvais sort qui t’a enlevé tes parents, ton royaume, ta richesse, tout ce que tu avais… ou tu peux remercier la chance d’être vivant. » Il le regarda intensément. « Selon le point de vue que tu adopteras, tu deviendras un homme ou un autre, deux hommes complètement différents, avec deux vies différentes. »

Très vite, Mikaël croise l’odieux Ojsternig, qui a ordonné le massacre de sa famille, et subit ses humiliations. Dès lors, le garçon ne va plus suivre qu’un objectif : retrouver la liberté, la sienne et celle des serfs qui composent la petite seigneurie. Pour cela, il doit se venger d’Ojsternig et rétablir la justice qui prévalait lorsque son père dirigeait cette rude terre alpine.

Après « Le gang des rêves » et « Les enfants de Venise », Luca di Fulvio nous livre encore un formidable roman d’aventure au souffle épique. Exaltant les valeurs universelles que sont la justice, la liberté et l’amour, il nous emmène cette fois dans une féodalité toute germanique. Les personnages féminins, Agnete, Eloïsa et Emoke, sont très réussis et, comme dans les deux romans précédents, c’est sur eux principalement que repose le destin du héros. Une mention spéciale pour le personnage d’Agnete, une femme dure et déterminée que la vie n’a pas ménagée et qui cache une tendresse particulière pour ses semblables.

Quant à l’écriture de l’auteur, je la trouve particulièrement visuelle. A la lecture, je voyais les scènes de bataille de dérouler sous mes yeux. « Le soleil des rebelles » est un roman fait pour être adapté au cinéma.

Un premier pavé de l’été dévoré en un rien de temps !

Le soleil des rebelles, Luca di Fulvio, traduit de l’italien par Françoise Brun, Slatkine et cie, mars 2018, 637 p.

 

Cette lecture participe au challenge Destination Pal et au challenge Pavé de l’été.

Blogoclub : rendez-vous du 1er septembre

Pour la prochaine session du Blogoclub qui aura lieu le 1er septembre prochain, Amandine et moi avons choisi un thème qui coïncide avec le Mois américain et qui représente une agréable lecture pour les vacances : l’humour américain. Et nous avons décidé de vous laisser libre dans le cadre de ce thème, afin de faire de nombreuses découvertes. Chacun des membres lira et présentera ce qu’il veut, pourvu qu’il s’agisse d’un livre américain plein d’humour !

 

« Américain » sera entendu au sens large, Etats-Unis et Canada, car le Mois américain élargit son champ de lecture en l’honneur du Festival America qui met le Canada à l’honneur… Voici une petite liste tout à fait indicative, afin de vous aider à orienter votre recherche :
-« Promenons-nous dans les bois » et d’autres romans de Bill Bryson,
-« Le linguiste était presque parfait », « Une putain de catastrophe », « Des erreurs ont été commises », de David Carkeet.
-« Courir avec des ciseaux » d’Augusten Burroughs.
-« Mon chien stupide », de John Fante.
« La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole.
« Génération X » de Douglas Coupland.
Et beaucoup d’autres…
Pas de vote donc cette fois. En revanche, si vous avez des souhaits pour les prochains thèmes, n’hésitez pas à nous en faire part. En attendant, nous vous souhaitons des lectures très drôles, et bien sûr, un excellent été !
On se retrouve le 1er septembre pour… rire ensemble !
A bientôt,
Amandine et Florence.

Mes challenges de l’été

 

L’été est synonyme de détente, et donc forcément de lecture, cela va sans dire pour les grands lecteurs, si possible dans un cadre agréable. Mais c’est aussi l’occasion de participer à des challenges qui n’existent qu’à ce moment-là, histoire de se motiver encore un peu plus !
C’est pourquoi cette année, j’ai choisi de participer pour la première fois au challenge « Pavé de l’été », car il y a toujours dans ma Pal de très gros romans. Brize, qui nous propose ce challenge chaque été définit un pavé :

« UN volume d’au moins 600 pages (qui ressemble à un pavé, quoi !) de texte (c’est-à-dire sans compter les annexes diverses pouvant se trouver à la fin, telles que les index, notes ou bibliographies ; préfaces et postfaces sont en revanche acceptées). Le volume en question peut être un roman, une biographie ou un essai (pour les plus courageux). Il peut s’agir d’un recueil de type omnibus (mêlant nouvelles et romans, par exemple ou autres textes) ».

Ce qui est facile, c’est que pour réussir ce challenge, il faut lire pendant l’été au moins un pavé et déposer son lien sur la page récapitulative du challenge jusqu’au 28 septembre.

Vous pouvez trouver d’autres informations chez Brize ici.

 

Je n’ai pas l’intention de me contenter d’un seul pavé. Le premier est déjà presque entièrement lu : « Le soleil des rebelles » de Luca di Fulvio est le pavé idéal de l’été, puisqu’on ne voit pas passer ses 637 pages ! Mon choix n’est pas encore arrêté quant aux autres pavés, mais j’en ai plusieurs dans ma Pal…

 

Ce qui nous amène au deuxième challenge, Destination Pal, chez Lili Galipette

Il suffit de communiquer à Lili Galipette notre Pal de l’été (ou l’ensemble de notre Pal mais je m’en tiendrai à sa version estivale), puis il n’y a plus… qu’à lire ! À la fin du challenge, on compare notre PAL de départ et notre PAL d’arrivée via un article recensant nos lectures estivales.

Le challenge Destination Pal commence le 20 juin et s’achève le 1er septembre. Pour plus d’informations, si vous aussi, désirez embarquer avec Lili, faites un petit tour ici :

Et c’est parti !

 

Voici donc ma Pal de départ :

-Le soleil des rebelles, Luca Di Fulvio

-Et moi, je vis toujours, Jean d’Ormesson

-Vers la sobriété heureuse, Pierre Rahbi

-Someone, Alice Mc Dermott

-Dans la forêt, Jean Hegland

-Une femme entre deux mondes, Marina Carrère d’Encausse.

-Le poids des secrets, Aki Shimazaki (en cinq volumes).

-Ma famille et autres animaux (trilogie de Corfou), Gerald Durrell.

-Le code Jefferson, Steve Berry.

-XY, Sandro Veronesi.

 

Voilà, il n’y a plus qu’à trouver un endroit calme… Bonne lecture à tous !

 

 

Loups solitaires, Serge Quadrupanni

 

De l’auteur, je connaissais les excellentes traductions de l’italien, celles des romans d’Andrea Camilleri notamment. Je découvre maintenant Serge Quadrupanni en tant qu’auteur.

« Loups solitaires » est un roman d’espionnage sur fond de djihadisme qui relate la traque d’un membre des forces spéciales par différents services secrets. On fait la connaissance du héros, Pierre Dhiboun, dans les Alpes, à la frontière franco-italienne. L’homme y rencontre fortuitement un écrivain italien qui se rend à Lyon pour participer à un colloque littéraire.

Quelques temps auparavant, Pierre Dhiboun a été envoyé au Mali pour infiltrer un groupe de djihadistes. Pour endosser le rôle, il se convertit même à l’Islam. Mais, ayant décidé de rentrer en France, il disparaîtra aux environs de Lyon, plongeant sa hiérarchie et les différents services qui le suivent dans un doute d’autant plus horrible que son « ultra-compétence » dans des domaines sensibles le rend très dangereux. Que signifie ce revirement apparent ? Pierre Dihboun est-il passé à l’ennemi ? S’est-il radicalisé ?

C’est son périple que l’on suivra en France, mais aussi en Afrique, aux côtés d’une mystérieuse rousse, éthologue de son état, qui vit dans le Limousin, et se console dans les bras d’un chirurgien en burn-out de la disparition soudaine de son mari, dont elle avait décidé de divorcer. Dit comme ça, cela paraît un peu loufoque, et en effet, il y a un certain humour sous-jacent dans ce roman, qui mêle des épisodes sérieux de traque avec des moments plus calmes d’observation de la faune du Limousin, blaireaux, choucas et autres témoins de la bêtise humaine… Tandis que le loup, le vrai, depuis le plateau de Millevaches, observe tout ce cirque et semble se dire que décidément, l’homme est bien un loup pour l’homme !

J’ai apprécié ce roman assez différent des thrillers que le lis habituellement, par ses références animalières et par l’humour ironique qui s’en dégage, de même que par le thème, puisqu’il s’agit pour l’auteur de dénoncer les excès auxquels conduisent la lutte contre le terrorisme. L’écriture de Serge Quadrupanni est l’un des points forts du roman. Spécialiste de la langue, il m’a séduite par certaines images poétiques et par la précision de son vocabulaire.

En revanche, la construction du roman, avec des sauts parfois indistincts dans le temps et dans l’espace, peut rendre l’intrigue difficile à suivre. De même, il n’est pas facile de s’y retrouver dans les différents services secrets et dans le but que chacun d’entre eux poursuit (outre de traquer Pierre Dhiboun). Un minimum de concentration est donc nécessaire. Le livre de Serge Quadrupanni n’est donc pas un roman d’espionnage traditionnel, il n’a rien du page-turner à l’écriture fluide et efficace mais sans recherche.

Loups solitaires, Serge Quadrupanni, éditions Métailié, collection Noir, Paris, octobre 2017, 228 p.

 

Je remercie les éditions Métaillié et le site lecteurs.com de m’avoir fait découvrir ce roman.

 

Cette lecture participe au challenge Polars et Thrillers chez Sharon

 

 

 

Scherbius (et moi), Antoine Bello.

 

Comme beaucoup de lecteurs, j’ai découvert Antoine Bello assez tard, il y a trois ans, alors que paraissait le troisième tome de sa trilogie « Les falsificateurs », « Les éclaireurs », « Les producteurs »; le bouche à l’oreille avait bien fonctionné. Depuis, je ne rate pas un nouveau roman de l’auteur. J’ai beaucoup aimé « Ada » et « L’homme qui s’envola ». Paru en avril dernier, « Scherbius (et moi) » ne fait pas exception.

On peut y découvrir le récit écrit par Maxime Le Verrier, éminent psychiatre, qui évoque sa relation avec Scherbius, qui fut son tout premier patient en 1977, et qui le restera jusqu’à ce que le médecin prenne sa retraite. Et c’est d’une façon bien peu habituelle que Maxime Le Verrier rencontra Scherbius, ce qui eut forcément une incidence sur la mission que le médecin se fixa un peu plus tard, guérir Scherbius, chez qui il avait diagnostiqué un trouble de la personnalité multiple. Car, comme la scène d’ouverture en atteste, Scherbius est avant tout un imposteur :

 « Scherbius n’est ni le premier imposteur ni la première personnalité multiple, il est le premier imposteur à personnalités multiples, une combinaison détonante que mon devoir consiste à stabiliser avant qu’elle n’explose ».

Le psychiatre en profite pour nous exposer de quoi il s’agit et pour faire le point sur l’état des connaissances en la matière, de façon très documentée et très compréhensible pour le lecteur néophyte. Des connaissances qui, comme dans toute discipline scientifique, évoluent avec le temps, obligeant Maxime Le Verrier à se remettre en question et à rédiger de nouvelles éditions de son récit, plus complètes, actualisées, mais qui parfois se contredisent; sans compter les fausses versions envoyées à l’éditrice de Le Verrier par le patient lui-même, qui n’aime rien tant que de se jouer de son médecin et de le faire passer pour un incompétent.

La relation entre l’analyste et son patient devient obsessionnelle, l’un ne pouvant se passer de l’autre. Le psychiatre fait preuve d’une immense patience, et n’abdique jamais face à Scherbius qui pourtant le dupe continuellement. Un beau jeu de miroirs entre raison et folie qui démontre une fois de plus le grand talent d’Antoine Bello. Le sujet est totalement différent de ses romans précédents, mais on retrouve toutefois les thèmes chers à l’auteur que sont le mensonge, la manipulation et la falsification. Le tout enrobé dans une imagination qui s’illustre parfois dans des détails rocambolesques, pour notre plus grand plaisir ! Reste à savoir qui manipule qui. Le patient manipule le médecin sans aucun doute, du moins en apparence. Et si derrière tout cela, l’auteur ne faisait que manipuler le lecteur ?  A vous de voir…

 

Scherbius (et moi), Antoine Bello, Gallimard, Paris, avril 2018, 438 p.