Archive | janvier 2019

Le mangeur de livres, Stéphane Malandrin

 

Voilà un livre original, dont le titre, qui est d’ailleurs à prendre au premier degré, ne manquera pas d’interpeller les grands lecteurs : « Le mangeur de livres » est bien l’histoire d’un jeune garçon qui dévore tous les livres qu’il trouve, les engloutit en se pourléchant les babines, trouvant au goût particulier du vélin fin des beaux codex enluminés une saveur envoûtante et addictive.

Nous sommes à la fin du Moyen Age à Lisbonne, et Adar et Faustino sont frères de lait  :  la mère de Faustino, Rosa, enfante le même jour que celle d’Adar, Maria, mais cette dernière meurt en couches et Rosa recueille Adar. Les deux garçons sont élevés ensemble, dans une famille qui comptait déjà une nombreuse marmaille, et, livrés à eux-mêmes, Adar et Faustino passent leur temps à chaparder ou à subtiliser discrètement pâtés, saucisses et autres charcuteries, tout simplement pour calmer leur inextinguible faim.

Un jour, alors qu’ils sont emprisonnés par un curé qui voulait les utiliser pour connaître le contenu d’un livre interdit, et que la faim les tenaille encore davantage qu’à l’habitude, Adar mange les pages en vélin d’un vieux codex. Or, le livre était empoisonné et Adar se retrouve condamné à se nourrir exclusivement de livres.

« Je savais que si je plongeais dans ma folie je serais comme un tigre affamé dans un enclos de porcelets, reniflant les vélins pour identifier le côté poil du côté chair, déchirant les livres en deux par la reliure, arrachant les cahiers, les quaternions, binions et ternions, les engloutissant par portions, les mâchouillant, les mastiquant bruyamment, les joues énormes, les lèvres luisantes de bave alcaline, reniflant, suintant, bientôt à quatre pattes pour être plus près de ma pâture, ogre que j’étais, moi l’enfant-veau dans la grande prairie des livres, chaque cahier comme un touffe d’herbes, j’allais les avaler, j’allais les déglutir, j’allais les ruminer, ces pages-luzerne qui me faisaient décoller de terre, les mains en râteau, la bouche en golem à vélin, mâchant les yeux fermés devant ce plaisir sorcier, au bord de l’extase ». 

Adar explore les bibliothèques de la contrée, dévore tous les livres, au sens propre, sans jamais en lire aucun, jusqu’à devenir un géant gros et gras, le « Mangeur de livres », bientôt recherché par tous pour être mis à mort… Réussira-t-il à échapper à la vindicte générale ? Quoi qu’il en soit, le passage à l’imprimerie, avec ses nouvelles encres, rendra les pages peu appétissantes pour « Le mangeur de livres » qui préférera arrêter son monstrueux festin.

Stéphane Malandrin nous propose un récit picaresque, truculent, foisonnant, boulimique, aux situations absurdes, en un mot :  rabelaisien. Comme Rabelais, l’auteur écrit pour le plaisir des mots, il accumule les synonymes, nous livrant ainsi un texte haut en couleur. Y-a-t-il, comme chez son inspirateur, un message, une vocation ? De la joie de vivre qui domine d’abord chez les deux garçons, sourd une critique du monde de l’époque : les livres d’alors apportent la connaissance, et rivalisant de beauté, ils constituent les trésors des plus belles bibliothèques, ils sont les nourritures de l’esprit d’une élite qui vit à côté des hommes du peuple. Ces derniers, loin de se préoccuper de lire et écrire, meurent littéralement de faim. L’éternelle question… mais chacun interprètera la fable comme il l’entend, l’auteur n’ayant pas prévu de « morale » à cette histoire.

Stéphane Malandrin, auteur de livres pour la jeunesse, scénariste et réalisateur, publie là son premier roman et c’est une vraie découverte, dont la lecture peut être prolongée grâce à une bibliographie riche, originale et facile d’accès !

Mon premier coup de cœur 2019 !

Le mangeur de livres, Stéphane Malandrin, Seuil, Paris, janvier 2019, 191 p.

 

 

Avalanche hôtel, Niko Tackian.

Je ne savais rien de Niko Tackian en ouvrant ce roman, ni qu’il avait déjà écrit plusieurs romans policiers, ni qu’il était principalement scénariste et auteur de bandes dessinées et qu’il avait d’ailleurs co-signé, avec l’excellent Franck Thilliez, la série française Alex Hugo. C’est bien la couverture, le titre et la quatrième de couverture qui m’ont alléchée en évoquant une enquête dans les Alpes suisses, en pleine tempête de neige. Parfait pour une lecture de janvier !

Et bonne surprise, l’action se déroule sur la Riviera vaudoise, plus précisément sur les hauteurs de Montreux, du côté du Rocher de Naye : les panoramas grandioses s’ouvrent sur le lac Léman qui ne se présente pas sous son meilleur jour d’ailleurs, puisque la tempête qui déferle en fait une mer intérieure déchaînée. Le froid et la neige encadrent une aventure étrange où des réminiscences du passé viennent troubler la petite vie tranquille que menait Joshua Auberson, un jeune policier vaudois féru de jeux vidéo.

Ce dernier se réveille en effet nu, sur le carrelage de la salle de bains de sa chambre d’hôtel. Il se souvient, grâce à une petite voix intérieure qui résonne en lui, qu’il est agent de sécurité au sein du magnifique « Avalanche hôtel » et qu’il doit se rendre rapidement au salon bleu, où on lui demande de retrouver une jeune cliente qui manque à l’appel, Catherine Alexander. Joshua suit les ordres du barman qui l’emmène dans la montagne en pleine tempête de neige : il se souviendra ensuite d’avoir plongé dans un abîme vertigineux…

Joshua se réveille à l’hôpital, après quelques heures de coma, victime d’engelures et d’une hypothermie heureusement réversible : il vient de sortir indemne d’une avalanche, dans laquelle il a été pris alors qu’il marchait seul du côté du Rocher de Naye, dans le cadre d’une enquête sur la disparition de Catherine Alexander.  La sensation de froid extrême ne le quitte pas, un sentiment d’étrangeté non plus : il y a de quoi, puisque nous sommes en 2018 et que la jeune Catherine Alexander a disparu de l’hôtel où elle passait ses vacances avec ses parents en 1980 !  Et que Joshua n’est pas agent de sécurité dans l’Avalanche hôtel, mais bien flic à Vevey. Tout cela n’était donc qu’un cauchemar dû au coma ?

Pour rassembler les éléments manquants de sa mémoire défaillante suite à l’accident, Joshua décide de rechercher l’homme qui l’a trouvé dans la montagne et l’a sauvé d’une mort certaine. Son enquête, aux côtés de Sybille, sa coéquipière (qui n’est en rien prophétesse mais dont les hypothèses justes en font néanmoins un excellent flic), le mène rapidement jusqu’au Bellevue Grand Palace sur les hauteurs de Montreux. Mais l’hôtel est fermé depuis une trentaine d’années… Joshua n’y est jamais venu et pourtant il reconnait chaque couloir, chaque pièce de l’Avalanche Hôtel : comment peut-il posséder une telle connaissance des lieux ?

Ce thriller rapide et très bien ficelé nous mène dans les méandres de la mémoire de Joshua, à la découverte des capacités encore inexploitées du cerveau humain.  L’atmosphère hivernale et mystérieuse, les vagues grises et menaçantes du Léman associées à la tempête de neige qui sévit en altitude, le rythme donné par une succession de chapitres courts, le duo d’enquêteurs toujours en mouvement, sont autant d’éléments qui confèrent quelque chose de très visuel à ce roman prenant que l’on verrait bien adapté au cinéma ou à la télévision. Un bon moment de lecture.

Avalanche hôtel, Niko Tackian, éditions Calmann-Lévy, Paris, janvier 2019, 266 p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge Polars et thrillers chez Sharon.

 

Conclave, Robert Harris

Robert Harris est un ancien journaliste qui s’est tourné vers la fiction avec beaucoup de succès puisqu’il est l’auteur de plusieurs best-sellers. Pour son avant-dernier livre, il a eu l’excellente idée de situer l’action au sein du conclave, cette assemblée de cardinaux chargés d’élire un nouveau pape. Et c’est d’un véritable roman policier dont il s’agit, sans aucun cadavre, mais avec un suspense très prenant, jusqu’au moment final où la petite fumée blanche indique au monde entier, suspendu aux informations télévisées, qu’un nouveau pape a été choisi.

Dans « Conclave », nous découvrons le microcosme du Vatican et plus particulièrement celui de la curie romaine, avec toute sa hiérarchie, depuis le Secrétaire d’Etat, bras droit du pape, jusqu’aux petites mains, auxquelles personne ne prête attention, comme les sœurs qui servent les repas dans le roman. C’est au doyen des cardinaux que revient la tâche de réunir l’ensemble des cardinaux âgés de moins de quatre-vingt ans, puis de diriger les travaux du conclave, et le cardinal Lomeli s’en charge dès qu’il apprend la mort du Pape. Peu à peu, les cardinaux arrivent à Rome, ils s’installent puis, pendant des jours et des jours, ils ont pour seule occupation, entre deux tours de vote, de méditer et de prier, de contempler le magnifique plafond de la chapelle Sixtine et de lire des passages du Nouveau Testament, seul texte écrit autorisé dans la chapelle.

Parmi les cardinaux, il y a les « papables » (de l’italien « papabile »), ceux qui ont le plus de probabilités d’être élus et qui souvent n’attendent que cela, il y a ceux qui espèrent ne pas être choisis, et ceux qui s’en remettent à Dieu… Mais ce n’est pas si simple que cela, beaucoup changent d’avis au cours du conclave, il y a des campagnes menées plus ou moins secrètement, et comme dans tout ce qui est humain, tout un lot de trahisons, intrigues de couloir, mensonges, manipulations… A cela s’ajoute la présence d’un mystérieux nouveau cardinal, Monseigneur Benitez, nommé secrètement par le défunt pape, quelques jours avant sa mort.

Dans un roman très documenté, Robert Harris réussit à nous intéresser à la procédure, il nous explique les règles, les exceptions, et parvient à construire un véritable suspense autour de la figure très attachante du cardinal-doyen Lomeli, un homme sensible, intelligent, honnête, et qui, pétri de doutes, se sent différent de l’image que les autres perçoivent de lui. Lomeli cherche avant tout à mener à bien sa mission, il est attentif à ce qui se passe vraiment au fond de lui, ayant très peur de désirer inconsciemment être pape.

Un roman à rapprocher du très beau film de Nanni Moretti, Habemus papam, qui s’intéresse à la lourde charge du pape et aux doutes qui en découlent, mais ici, c’est davantage le suspense qui prime !

Conclave, Robert Harris, traduit de l’anglais par Nathalie Zimmermann, Pocket n°17035, octobre 2018, 384 p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge Objectif Pal chez Antigone et du challenge Polars et thrillers chez Sharon.


Blogoclub: la lecture du 1er mars

Les membres du Blogoclub ont choisi, dans le cadre du thème littérature japonaise, un roman récent d’Ito Ogawa : Le restaurant de l’amour retrouvé, de Ito Ogawa, arrivé premier devant « Le pavillon d’or » de Yukio Mishima, et « Certaines n’avaient jamais vu la mer » de Julie Otsuka.

 

 

Vous trouverez ci-dessous quelques indications pour vous aider à vous procurer le roman. Si vous n’êtes pas membre du Blogoclub, mais que vous désirez participer à cette lecture commune, vous êtes le ou la bienvenu(e). Dans ce cas, il suffit de vous inscrire dans les commentaires ci-dessous. Vous n’aurez qu’à laisser le lien vers votre blog (votre page Babelio ou autre…) le premier mars en commentaire du billet que je publierai ce jour-là. Vous pouvez également trouver des informations sur le fonctionnement du Blogoclub ici.

 

Bonne lecture et à bientôt !

Florence.

 

Le restaurant de l’amour retrouvé, de Ito Ogawa.

Roman traduit du japonais par Myriam Dartois

Collection(s) Picquier Poche

Auteur(s) : OGAWA Ito
Traducteur(s) : DARTOIS-AKO Myriam

Langue originale : Japonais
256 pages
8€
ISBN-13 : 978-2-8097-1072-4
Date de parution : janvier 2015

 

 

Livres, librairies, médias : que souhaiter pour 2019 ?

Avant de reprendre mes chroniques habituelles, j’ai réfléchi à ce que je souhaiterais pour 2019. Voici ce que j’aimerais :

-Que le monde « tourne » moins vite : je ne veux pas ralentir la vitesse de rotation de la terre 🙂, mais je voudrais pouvoir réduire l’emballement que l’on constate tous dans de nombreux domaines. Celui de la consommation et des médias me semble particulièrement nuisible car synonyme de gaspillage et de superficialité. C’est vrai aussi dans le domaine de la littérature : trop de parutions, et à un rythme trop rapide ! Que dire de la rentrée littéraire de septembre qui nous stresse en nous précipitant en pleine rentrée, alors que l’on est en randonnée ou sur la plage, puisque l’on en entend parler de plus en plus tôt maintenant ?

Quelques semaines plus tard, le lecteur moyen -et même le lecteur aguerri- n’a fait que découvrir quelques titres de la rentrée littéraire de septembre que sortent déjà ceux de janvier. De nombreux auteurs l’ont compris, qui privilégient une parution hivernale, peut-être parce que les lecteurs auront davantage de temps devant eux. Combien de livres excellents passent en effet inaperçus parce qu’ils ont pour seul défaut de n’avoir pas été mis en avant dès août ou septembre ?

Il en est de même pour les médias : un événement remplace l’autre, tandis que les analyses approfondies, donc réfléchies, se font toujours plus rares. On se contente de rester à la surface des choses, et l’avènement de sources d’information provenant des GAFA, des chaînes d’information continue, qui vont de pair avec la chute inexorable de la presse écrite, ne vont pas arranger cela. Facebook peut être un excellent outil de connaissance grâce au partage d’informations, mais combien d’utilisateurs (avons-nous songé au sens du terme « utilisateur » ?), cliquent sur les liens et lisent entièrement les articles, au lieu de se contenter des posts comme le fait la majorité d’entre eux ? Combien de commentaires hors de propos révèlent que la personne n’a pas réellement pris connaissance de l’information, mais s’est limitée au simple titre ? D’ailleurs, pour démentir ce que j’écris, et pour me montrer que vous avez lu mon billet jusque là, laissez-moi un tout petit commentaire😃 !

-Que les librairies indépendantes renaissent : j’ai envie de petites ou moyennes librairies. J’en ai assez de ces endroits (je ne sais comment les nommer) qui tiennent davantage du supermarché de la culture que de la librairie. On nous y propose une foule de gadgets inutiles. Je me demande d’ailleurs si le mot « gadget » existe encore car, puisqu’il s’applique à tant d’objets de notre quotidien, il ne désigne plus rien en particulier. Bref, ces lieux foisonnent de marchandises en tous genres ayant un rapport plus ou moins vague avec le livre ou la papeterie, tant et si bien qu’il m’est arrivé plusieurs fois de sortir de ces « librairies » sans avoir acheté un seul livre, ce qui est impensable me concernant ! Pourtant, le choix ne manquait pas, bien au contraire ; c’est précisément parce que les rayons regorgeaient de marchandises que je n’ai pas réussi à choisir et que, sollicitée de toutes parts, j’ai préféré m’abstenir…

Que les centres-villes redeviennent les lieux de shopping, promenade et rencontres qu’ils étaient avant. Avec des petites librairies ! Cela implique pour nous d’accepter de renoncer aux courses rapides et au parking facile et généralement gratuit des horribles centres commerciaux qui sont toujours plus nombreux à la sortie de nos villes, créant des périphéries affreuses et déprimantes !

Voilà quelques-uns de mes souhaits pour l’année nouvelle, dans les domaines qui nous intéressent, parce qu’il y a évidemment beaucoup de choses à espérer en matière de politique intérieure ou internationale, d’écologie etc… D’où quelques bonnes résolutions qui découlent de ces souhaits :

Prendre le temps de lire, de découvrir les auteurs, sans céder à l’appel épuisant de la nouveauté, lire de bons articles de fond, plutôt que des catalogues de titres, privilégier les petites et moyennes librairies et les petits commerces en général.

 

En attendant, je vous souhaite à tous une excellente année 2019 !