Archive | décembre 2019

Coups de coeur 2019 : une année qui se termine en beauté !

Huit, c’est le nombre de « coups de cœur » que j’ai ressentis au cours de cette année de lecture. « Coup de cœur », selon l’expression consacrée, signifie pour moi un élan de passion pour un livre dont je n’aurais jamais voulu terminer la lecture, un roman -le plus souvent mais il peut aussi s’agir d’un essai- dans lequel je me suis sentie si bien ou qui m’a tellement passionnée que je n’aurais jamais voulu devoir m’en extraire. Certains de ces coups de cœur passent, je les oublie, d’autres restent, et ces derniers sont très peu nombreux après quelques années. Ils mériteront un billet spécial à l’occasion de l’anniversaire de mon blog, fin janvier.

 

Pour l’heure, mes huit coups de cœur concernent des livres parus fin 2018 ou pendant l’année 2019 et un seul est un roman plus ancien tiré de ma Pal (merci Antigone) où il dormait depuis plusieurs années. Six sont des romans, auxquels s’ajoutent une biographie et un récit de voyage. Six sont français et il y a également un livre italien et un japonais.

 

Dernière précision, il y a eu des « presque coups de cœur ». Il s’en est fallu de peu mais quelque chose d’indéfinissable m’a empêché de les distinguer. Je tiens quand même à les citer ici :  il s’agit du dernier roman de Cécile Coulon « Une bête au Paradis » et de celui de Paolo Giordano, « Dévorer le ciel » qui méritent largement que l’on s’y arrête.

 

Je voulais classer mes coups de coeur par ordre de préférence mais l’exercice s’est avéré trop difficile. Impossibles à départager pour moi, je les ai justes différenciés par quelques adjectifs qui me semblent les caractériser. Une seule certitude : celui qui surpasse tout le monde, un énorme coup de coeur qui m’a permis de finir cette année de lecture en beauté ! Vous le découvrirez à la fin de ce classement.

 

– Picaresque, truculent et absurde : « Le mangeur de livres » de Stéphane Malandrin.

 

 

– Mystérieux, charmant et délicieusement désuet : « Hôtel Waldheim » de François Vallejo.

 

 

-Incontournable, enrichissant et passionnant : « Elsa Morante, une vie pour la littérature » de René de Ceccatty.

 

 

– Un hymne à la nature, alliant poésie et réflexion : « La panthère des neiges » de Sylvain Tesson.

 

 

-Nostalgie, mystère et poésie : « Encre sympathique » de Patrick Modiano.

 

 

– Courage, sensibilité et spiritualité : « Au col du Mont Shiokari » de Muira Ayako.

 

 

– Percutant, ironique et bouleversant : « Les liens » de Domenico Starnone.

 

 

– et un puzzle qui se construit lentement mais ne révèle jamais l’image qu’il forme :  il a droit quant à lui à de nombreux qualificatifs, parce qu’il est tout à la fois, étonnant, intelligent, ludique, jouissif, politique, cynique, ironique, passionnant… : « Francis Rissin » de Martin Mongin. Un énorme coup de cœur pour ce roman qui, je l’espère, conquerra de nombreux nouveaux lecteurs en 2020.

 

 

 

Francis Rissin, de Martin Mongin

Waouhhh… quelle jouissance intellectuelle !  « Francis Rissin » est un roman dont j’avais entendu parler en août dernier, lors de l’effervescence qui accompagnait comme toujours la rentrée littéraire. Je l’avais cherché sans succès, puis je n’y ai plus pensé, les nouveautés ne manquant pas. Alors, quand il y a quelques jours, je « tombe dessus » à la bibliothèque de mon quartier, j’abandonne les autres livres choisis pour l’emprunter aussitôt, même si la bibliothécaire me met en garde : « vous savez, certains lecteurs l’adorent, d’autres abandonnent rapidement ». Oui, mais moi, je vais aimer !

Bien évidemment, je suis consciente qu’avec cet état d’esprit sans doute dû au fait que j’étais à la recherche d’une pépite qui me fasse oublier la grisaille ambiante et à la surprise de découvrir au détour d’un rayon ce trésor oublié, j’allais forcément aimer… Et en effet, cela a fonctionné ! Il reste le problème de la chronique : comment parler d’un roman aussi foisonnant, intelligent, créatif, politique, drôle et prenant ?

Commençons par le début, avec le cours de ce professeur de la Sorbonne qui explique sa recherche éperdue de l’ouvrage « Approche de Francis Rissin », sans savoir même s’il existe ou s’il « flottait dans les limbes de la chaîne signifiante, dans les limbes de la zone grise, prisonnier de ce champ d’indécision qui s’ouvre juste après que s’arrête l’Illiade et juste avant que commence l’Odyssée ». Voilà de quoi situer Francis Rissin, toujours entre deux eaux, deux philosophies. Est-il le guerrier valeureux qui se muera en chef pour défendre la France ?  Ou restera-t-il ce héros invisible, attendu trop longtemps ? C’est en tout cas un personnage mystérieux que lecteur s’apprête à chercher pendant un peu plus de 600 pages.

Et ce n’est pas long du tout. Bien vite, l’intrigue s’installe avec l’apparition d’affiches au nom de Francis Rissin dans de petites communes de l’Ain. D’abord indifférente, la population pense bientôt qu’il s’agit de la promotion d’un candidat à de futures élections. Puis le phénomène s’amplifie, les conversations de comptoir vont bon train et les langues se délient. La colère monte peu à peu « devant l’état du pays qui ne ressemble plus à rien de présentable ». Les Français attendent-ils un chef ? Ils sont en tout cas prêts à accueillir celui qui se présentera pour rétablir l’ordre et mettre fin à cette pagaille que tous dénoncent…

Et c’est ainsi que l’auteur nous raconte l’histoire d’un pays qui va mal, au cours de onze chapitres qui nous promènent dans le temps et la géographie, et nous offrent des narrateurs aussi différents qu’un auteur de romans-feuilletons, une patiente en psychiatrie ou… Francis Rissin lui-même, ainsi que des genres narratifs tout aussi variés : extrait de polar, de biographie, journal intime et même évangile ! Le tout avec une virtuosité et une créativité rares. « Francis Rissin » est comme un puzzle qui se met en place lentement sous nos yeux, mais sans jamais révéler l’image qu’il finit par former.

Au total, ce roman que j’ai eu du mal à lâcher est véritablement passionnant ! Il contient de nombreuses références culturelles dont on se demande si elles sont réelles ou fictives, il nous fait voyager dans la France profonde, celle des petites villes et des villages oubliés, et nous rappelle de nombreux épisodes de l’actualité politique française. L’auteur, tantôt cynique, tantôt ironique, ne se prive pas d’étaler les travers des Français. Il se moque en créant un héros prêt à rendre aux Français leur « grande épopée nationale ». Il dénonce aussi les dérives d’un engouement dans lequel ce peuple perdu et passionné est prêt à se jeter éperdument.

Francis Rissin est un héros grec, un chef providentiel, un Dieu aussi : il y a du religieux dans ce personnage. Et tant d’autres choses qu’il faudrait plusieurs pages pour en parler et une deuxième lecture pour en saisir toutes les nuances.

Pour un premier roman, c’est un coup de maître. Et pour moi, un énorme coup de cœur !

 

Francis Rissin, Martin Mongin, Editions Tusitala, Paris-Bruxelles, 2019, 611 p.

 

11 ème participation au challenge 1% de la rentrée littéraire chez Sophie.

Cent millions d’années et un jour, Jean-Baptiste Andrea

 

Stan est professeur d’université à Paris mais sa carrière n’a jamais décollé. A la cinquantaine, il ne fait pas rêver quand il évoque « nos salaires de misère, nos yeux usés par les lampes blafardes, les conférences que personne n’écoute ». Mais peu importe au fond, c’est parce qu’il aimait les histoires qu’il a choisi d’être paléontologue :

« Si l’on n’est pas capable de croire à une histoire juste parce qu’elle est belle, à quoi bon faire ce métier ? »

Et c’est ce qu’il décide de faire en repensant à ce qu’un vieux concierge italien racontait aux enfants de son immeuble parisien : l’homme disait avoir vu un dragon dont le squelette gisait dans une grotte située au pied d’un glacier et d’où l’on apercevait trois pics. Pas d’autre information, sinon que cela se passait dans les Alpes franco-italiennes. Convaincu de pouvoir faire la découverte qui fera de lui un grand paléontologue, Stan lance une expédition, qui sera aussi l’occasion de retrouver Umberto, un universitaire turinois qui fut son assistant au début de sa carrière.

Les deux hommes sont convenus de se retrouver sur place et Umberto, fidèle au rendez-vous, amène Gio, un guide de montagne originaire des Dolomites. Peter, jeune assistant d’Umberto, se joindra aussi à l’expédition. Les conditions sont bonnes, mais le temps est compté car l’été est court en haute montagne et l’accès difficile par une via ferrata qui gèle très vite leur imposera de redescendre dès les premiers signes de neige.

« Cent millions d’années et un jour » est l’histoire d’une quête, celle d’un homme qui, toute sa vie, a recherché quelque chose qu’il croyait trouver dans les restes fossiles des animaux du passé. Mais au fur et à mesure que le temps s’écoule et que l’urgence s’impose, Stan se penche sur son enfance et nous révèle ce qui lui a toujours manqué. Un très beau roman sur l’amour maternel, sur la violence et sur l’enfance aussi, qui parfois, n’en finit pas de torturer un homme. Sur l’amitié aussi. Sur l’importance de croire à ses rêves surtout.

« Cent millions d’années et un jour » est en outre servi par une belle écriture, poétique et très visuelle qui nous emporte dans cette aventure nostalgique dont le rythme va crescendo pour nous laisser face à une question douloureuse : avons-nous réalisé nos rêves d’enfants ?

« Cent millions d’années et un jour » fait partie des dix excellents romans choisis par 300 blogueurs littéraires pour le troisième Grand Prix des Blogueurs Littéraires qui sera décerné à la mi-décembre. Je lui souhaite bonne chance !

 

Cent millions d’années et un jour, Jean-Baptiste Andrea, Edition L’iconoclaste, août 2019, 309 p.

 

10 ème participation au challenge 1% de la rentrée littéraire chez Sophie.