Archive | janvier 2021

Napoli mon amour, Alessio Forgione

Premier coup de cœur de l’année avec ce roman italien qui a connu un beau succès à sa sortie en 2018 de l’autre côté des Alpes : « Napoli mon amour » est le premier roman d’Alessio Forgione, jeune auteur qui, depuis, a publié un second roman qui était en lice pour le prix Strega 2020, l’équivalent de notre prix Goncourt.

Le protagoniste de « Napoli mon amour » est un jeune Italien de trente ans qui vit toujours chez ses parents à Naples. Titulaire de deux diplômes universitaires, Amoresano recherche un travail depuis des années. Il vit désormais sur les économies qu’il a réalisées en étant marin pendant six ans. Il raconte son quotidien qui s’enlise, entre la recherche d’un emploi, les soirées dans les bars napolitains avec son ami Russo qui vit les mêmes difficultés que lui, et sa passion pour le foot et plus particulièrement pour l’équipe de Naples.

Un soir, plus désespéré que d’habitude, Amoresano décide d’en finir avec la vie et d’abord, de dépenser l’argent qu’il lui reste. Mais il rencontre une jeune fille très belle qui lui redonne espoir. Il se présente comme écrivain, ce qui n’est pas tout à fait faux puisqu’il a déjà écrit quelques nouvelles. Lola est plus jeune que lui et n’a donc pas les mêmes aspirations, elle en est encore à l’âge où tout est possible et où l’on découvre le monde. L’horizon d’Amoresano se dégage mais cela ne dure pas :  euro après euro, il compte les dépenses qui s’accumulent et qui bientôt le mèneront au point de rupture, quand il ne pourra même plus offrir un verre à Lola …

« Napoli mon amour » est un roman d’initiation qui décrit la réalité que doivent affronter beaucoup de jeunes Italiens. Le chômage des jeunes est un des thèmes principaux du roman, avec ses deux corollaires, l’obligation de vivre chez ses parents et l’expatriation des jeunes diplômés qui, comme le héros, cherchent tout simplement une place dans le monde. L’auteur sollicite notre empathie pour toute une génération qui souffre de ne pouvoir s’insérer dans la vie économique du pays, malgré son sérieux et sa préparation et qui oscille entre détermination et résignation.

Le roman d’Alessio Forgione est en grande partie autobiographique, l’auteur travaillait en effet dans un pub à Londres lorsqu’il l’a rédigé.  L’écriture est maitrisée : simple mais précise, fluide, parfois dynamique ou plus lente en fonction des fluctuations de l’humeur du personnage. Alessio Forgione ne verse jamais dans les stéréotypes et le Naples que vous découvrirez n’est ni enchanteur, ni haut en couleur mais ce n’est pas non plus le pire endroit sur terre, malgré la pluie qui arrose les journées sans but du héros. C’est une ville qui ressemble à toutes les villes européennes et les jeunes y ont les mêmes préoccupations et les mêmes loisirs qu’ailleurs. Et il y a quand même la bulle d’oxygène que représentent pour Amoresano et Russo les séances de plongée dans les eaux limpides de l’île de Procida. Le narrateur aime et déteste Naples, il ne peut la quitter, comme la protagoniste du film de Resnais, « Hiroshima mon amour ».

« Napoli mon amour » n’est pas que la dénonciation des difficultés de toute une génération. L’amour de la littérature se révèle en filigranes tout au long du roman, apparaissant ainsi comme une sorte de remède et d’espoir. « Napoli mon amour » fait partie de ces lectures qui résonnent en nous longtemps et qui sont la marque des auteurs talentueux. A découvrir.

Coup de cœur 2021 !

Napoli mon amour, Alessio Forgione, traduit de l’italien par Lise Caillat, Editions Denoël et d’ailleurs, janvier 2021, 272  p.

Efface toute trace, François Vallejo

A la réouverture des librairies, je me suis précipitée pour faire un plein, craignant que l’épisode funeste ne se répète et me laisse sans stock, ce qui n’est pourtant pas près de se produire ! J’ai eu tout de suite l’œil attiré par la couverture rouge et noire des éditions Viviane Hamy et par le nom de François Vallejo, qui m’ont rappelé l’excellent « Hôtel Waldheim » que j’avais tant apprécié il y a deux ans. Un très bon choix que je n’ai finalement pas eu le temps de lire tout de suite, mais avec lequel je me suis régalée :

L’auteur change totalement de lieu, d’époque, et de genre pour nous proposer… le rapport d’un expert en art contemporain ! Dit comme cela, ce n’est guère engageant, et pourtant… On n’a pas le temps de s’ennuyer car on apprend vite que ledit expert a été missionné par un groupe de collectionneurs anonymes qui craignent pour leur vie, depuis que trois décès violents ont eu lieu à Hong-Kong, New-York et Paris et qu’il est apparu dans les milieux initiés que les victimes ont en commun d’être fortunées, bien qu’à des degrés très divers, et surtout, d’avoir collectionné des œuvres d’art contemporain. Notre expert mettra peu à peu en évidence le fait que tous avaient acquis au moins une œuvre d’un artiste inconnu, un certain jv (initiales avec lesquelles il signe en minuscules).

« Le mystère entretenu par un pseudo, l’art de ne pas montrer son visage, sous un chapeau, une casquette, des lunettes noires, visent, chez la plupart des artistes, à amplifier leur notoriété ; chez jv, la dissimulation semble sincère, le devoir de reconnaissance étouffé ».

Qui est ce mystérieux jv ? Connaissait-il les victimes ? Quel art pratique-t-il ? François Vallejo nous propose ainsi un « thriller artistique », écrit avec toute la distance administrative que la rédaction d’un rapport exige. Pourtant le narrateur, au fil de sa rédaction froide et nuancée, commence à se laisser aller à une certaine ironie… et c’est ainsi qu’il nous emporte dans un roman original et très prenant.

En chemin, l’auteur évoque de nombreux thèmes liés à l’art contemporain comme la modernité de l’art collaboratif poussé à l’extrême ou le rôle de l’art moralisateur, la question de ce qui fait un chef-d’œuvre de nos jours, et tant d’autres. Les références à Banksy et à d’autres artistes moins connus du grand public sont nombreuses et ne séduiront pas que les connaisseurs, mais aussi les néophytes comme moi. « Efface toute trace » est un roman intelligent qui m’a fait passer un excellent moment !

Efface toute trace, François Vallejo, Editions Viviane Hamy, septembre 2020, 294 p.

Bonne année à tous !

Depuis trois ans, j’ai pris l’habitude d’émettre quelques souhaits pour la nouvelle année. En 2019, j’espérais que les librairies indépendantes renaissent et que les centres-ville redeviennent les lieux de rencontre animés qu’ils étaient encore il y a quelques années. Je voulais aussi que tout aille moins vite, afin que l’on puisse profiter de nos lectures, comme du reste, et approfondir, réfléchir, au lieu de papillonner !

L’année dernière, je souhaitais que 2020 soit l’occasion pour tous de faire attention aux personnes âgées, en imaginant simplement les difficultés qu’elles rencontraient dans la vie quotidienne, et notamment l’isolement, suite à la généralisation de l’économie numérique. Il suffisait pour cela d’observer ce qui se passait autour de soi.

Ces objectifs restent d’actualité et la crise que nous avons vécue n’a fait que souligner la nécessité de changer certaines choses à notre façon de vivre. Parfois, la crise a même accentué ce qui n’allait pas. Je pense notamment au fait que certaines entreprises ait accéléré leur transition vers une économie toujours plus numérique, mais toujours moins au service des usagers ou des consommateurs. Autour de moi, certaines personnes en ont fait les frais, et là encore, c’est pour les personnes âgées que cela a été le plus difficile : de petits bureaux de poste fermés, qui ont obligé les usagers à se déplacer jusqu’à un bureau plus grand en ville, pour un simple envoi, et faire la queue dehors, dans le froid, debout. Des boutiques de téléphonie où il faut prendre rendez-vous des jours à l’avance pour régler un simple problème… tout cela pour s’entendre dire qu’il faut téléphoner soi-même à un service client qui ne répond jamais. Les exemples de ce type abondent…

Je n’entrerai pas dans les détails de ce qu’ont vécu nos concitoyens les plus âgés pendant cette crise, nous le savons tous, si nous sommes un tant soit peu informés. Il en va de même pour les commerces et l’épisode, qui aurait pu être comique s’il n’était aussi triste, de la fermeture des librairies doit nous faire réfléchir. Et puis bien sûr les restaurants, les cafés, les cinémas, les théâtres… Il y a évidemment tant d’autres choses à améliorer, à commencer par notre système hospitalier et par l’attention que l’on doit porter au personnel de ce secteur, mais je ne m’aventurerai pas sur ce terrain qui n’est pas de ma compétence.

Je me limiterai à espérer que le monde redevienne ce qu’il était avant dans les domaines plus légers de la vie sociale : sortir, aller au restaurant, rencontrer des amis, voir notre famille, voyager. En espérant que nous privilégierons des destinations moins lointaines, mais que l’on connaît mal ou pas du tout. Souvenez-vous des nombreux reportages de l’été dernier, dans lesquels nous avons découvert des paysages magnifiques et autant d’idées de vacances, dans notre propre pays.

Et pour que cela soit possible, nous avons tous un rôle à jouer, en nous vaccinant par exemple pour nous protéger tout en protégeant les autres. En continuant à faire attention aux autres. Et pour le reste, pourquoi ne pas adopter une démarche responsable dans notre consommation ? Acheter français, belge, suisse, portugais… en tout cas européen, à chaque fois que cela est possible; alors, certes, c’est plus cher, mais l’on peut alors acheter moins, beaucoup moins, et mieux.

Cette crise nous aura montré en tout cas le grand pouvoir des livres. Nous n’avions pas besoin de cela et nous en étions déjà convaincus, me direz-vous. Oui, les livres sont pour nous un refuge, un divertissement, une aide, un enseignement… et nous ne pouvons pas vivre sans eux. Nous continuerons 2021 avec eux, et ce sera, assurément, une excellente année !