Archive | avril 2021

Sa dernière chance, Armel Job

Le mois belge se termine pour moi en beauté avec le dernier roman d’Armel Job qui nous emmène à Liège et Verviers, dans les méandres d’un fait divers a priori banal. Mais ce qui peut paraître sans grand intérêt prend tout son relief grâce au talent de l’auteur qui excelle à explorer les vies de chacun, les passions et frustrations et tout ce qu’il y a derrière les apparences, petits et grands secrets…

Elise Dubois vit chez sa sœur et son beau-frère, garde leurs quatre enfants et s’occupe du ménage et des repas. Elle dispose d’un appartement au sein de leur villa et peut puiser l’argent de poche dont elle a besoin dans la boite familiale… une situation pour le moins étrange. Elise passe pour une femme fragile, à la limite de la dépression et incapable d’être indépendante. Sa sœur aînée, Marie-Rose, est une gynécologue réputée dans la région, chacun loue son professionnalisme et son empathie. Son mari Edouard Gayet dirige une agence immobilière qui assure de confortables revenus à la famille.

L’équilibre de cette famille atypique est rompu lorsque Elise, qui a trente-neuf ans, décide de s’émanciper. Elle s’inscrit sur un site de rencontre et, laissant les enfants livrés à eux-mêmes, elle se rend à  un premier rendez-vous :  Pierre Fauvol est antiquaire à Liège. D’ordinaire, cet homme qui multiplie les aventures féminines n’a pas besoin d’Internet pour faire des rencontres. Il se présente pourtant à Elise comme un célibataire qui n’a eu qu’un amour dans sa vie, il y a très longtemps …

Le chanoine, collectionneur d’art religieux et client de Pierre Fauvol, observe celui-ci avec curiosité. Il pense que Fauvol est homosexuel et qu’il a décidé de mettre fin à ses « errements » en envisageant le mariage. Mais est-ce bien pour cela que le chanoine espère que la rencontre entre Pierre et Elise portera ses fruits ?

Dans ce roman qui se lit d’une traite, chacun décide de tenter « sa dernière chance » : celle de s’enrichir enfin, de posséder ce qui le rendra heureux, de donner libre cours à ses passions. Certains se trompent, d’autres pas. Tous cachent quelque chose et donnent une image fausse de ce qu’ils sont réellement. L’écriture simple et efficace d’Armel Job nous conduit sur différentes pistes, pour mieux nous perdre ensuite. « Sa dernière chance » est un thriller psychologique calme et provincial, où il n’y a pas de cadavre mais beaucoup de secrets, ainsi qu’une part de lumière pour ceux qui auront saisi leur dernière chance. Un petit régal pour moi, comme ce fut le cas pour « Une drôle de fille » et « Une femme que j’aimais ».

Sa dernière chance, Armel Job, Editions Robert Laffont, Paris, février 2021, 330 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois belge chez Anne Des mots et des notes.

Retour à Montechiarro, Vincent Engel

Pour ce mois belge, j’avais envie de voyager dans le temps et dans l’espace et je me suis donc plongée dans la saga que Vincent Engel a publiée il y a déjà vingt ans.

« Retour à Montechiarro » se déroule principalement en Toscane et évoque plusieurs générations d’une famille en s’appuyant sur des personnages féminins qui aspirent au bonheur. Il faut dire qu’à part le Comte Della Rocca, noble éclairé et bienveillant avec lequel Vincent Engel ouvre son roman, il n’y a pas dans ses descendants et leurs conjoints beaucoup d’hommes recommandables, même si ces derniers existent dans le roman : Sébastien, un jeune photographe belge qui voyage en Italie dans les années vingt, et Ulysse, le libraire de Montechiarro que les fascistes envoient en confinement sur l’île de Lipari (certains découvriront ici ce que signifiait le mot « confinement » sous Mussolini).

Le roman est découpé en trois parties qui correspondent à trois périodes importantes de l’histoire de l’Italie. Nous faisons ainsi connaissance avec le Comte Della Rocca au début du « Risorgimento » en 1849. Nous suivons ensuite sa petite-fille, Agnese, pendant la période mussolinienne de l’entre-deux-guerres, avant de terminer dans les années de plomb, celles des Brigades rouges, en 1978, avec Laetitia, petite-fille d’Agnese. La toile de fond historique est très évocatrice, en particulier pendant les deux premières périodes. Les années soixante-dix sont à mon sens moins réussies.

Le principal défaut de cette saga est que l’ensemble est très noir. Il n’y a aucune période heureuse, sur un siècle et demi d’histoire familiale ! Les choix que font certains personnages, notamment Agnese, m’ont paru manquer de réalisme, peut-être dictés par les nécessités de l’intrigue. Enfin, le tout manque un peu de rythme, certainement en raison de quelques longueurs.

Pour autant, ce roman vaut le détour. C’est une fresque historique intéressante, bien écrite, qui parvient à imposer son univers et à nous plonger dans l’atmosphère de l’époque et du lieu.

 

Retour à Montechiarro, Vincent Engel, Le livre de poche, 2003, 727 p.

 

 

Roman lu dans le cadre du mois belge chez Anne, et du challenge Objectif Pal chez Antigone.

Les somnambules, Gilda Piersanti

 

   J’ai découvert Gilda Piersanti avec « Roma enigma » et « Vengeances romaines » qui font partie d’une série intitulée « Les saisons meurtrières ». L’attrait principal de cette série d’enquêtes, si l’on excepte l’intrigue et les deux policières, tenait pour moi à la façon dont l’auteure évoquait différents aspects politiques et sociaux de la société italienne contemporaine. Et c’est ce que j’ai retrouvé dans « Les somnambules », polar « unique » puisqu’il ne fait pas partie d’une série.

   « Les somnambules », ce sont notamment -car on peut voir une autre signification à ce titre- les trois protagonistes principaux de ce roman : Dario, Massimo et Gabriele, trois hommes occupant une place de choix dans la société : Gabriele est médecin, Massimo a créé une entreprise très prospère, et Dario est Ministre de l’Intérieur ! Tous les trois sont amis depuis longtemps, mais à des degrés divers, car l’intérêt est à la base de leurs relations dictées par Dario qui, sans conteste, mène la danse.  Adolescents, ils évoluaient dans le même milieu et se retrouvaient chaque année au bord de la mer où leur famille avait une résidence secondaire. Et c’est là qu’est survenu un événement dramatique qui a marqué leur vie à tout jamais et dont ils étaient responsables. Un crime resté impuni, qu’ils ont enfoui dans leurs souvenirs et qu’ils pensaient bien, vingt-cinq ans plus tard, ne jamais voir ressurgir.

   Je ne vous dévoile rien de plus que ce que la quatrième de couverture révèle au lecteur et, même si j’ai regretté au début de ma lecture de savoir que ce crime impuni était central dans le roman, je me suis vite rendu compte que je l’aurais deviné très rapidement et que cela ne gênait en rien le suspense mis en place par l’auteure. En effet, l’essentiel du roman repose sur la fuite en avant qui va mener les trois hommes et leur famille respective dans un engrenage irréversible. Le suspense est maintenu jusqu’aux dernières pages et l’on suit avec plaisir et horreur les protagonistes dans une descente aux enfers autour des manipulations les plus noires et cyniques. Il y a aussi quelques personnages féminins intéressants, comme Flora, Alice et surtout Valentina, dont le rôle s’avère décisif.  

   Gilda Piersanti, franco-italienne qui vit à Paris et écrit en français depuis longtemps, est une fine observatrice de la société italienne dont elle évoque les excès. Ici, on navigue dans des milieux aisés romains où la réussite sociale est primordiale. L’auteure est également scénariste et cela se sent dans ses polars qui sont assez visuels et comportent un bon nombre de dialogues et de rebondissements qui nous embarquent pour plusieurs heures de lecture. Enfin, j’ai particulièrement apprécié les analyses psychologiques assez fouillées qui permettent de donner beaucoup d’épaisseur aux personnages et d’évoquer des questions comme le pouvoir et la relation d’emprise psychologique. « Les somnambules », comme les autres romans de Gilda Piersanti, est donc un polar intéressant à plus d’un titre !

 

Les somnambules, Gilda Piersanti, éditions Le Passage, collection Ligne noire, mars 2021, 320 pages.

 

Participation au challenge Polars et thrillers 2020-21 chez Sharon.

Masse critique Babelio

La femme de Gilles, Madeleine Bourdouxhe

Pour ce nouveau mois belge, dont je vous invite à parcourir régulièrement le récapitulatif sur le Blog d’Anne « Des mots et des notes », j’ai choisi de commencer par un classique, « La femme de Gilles ». Paru en 1937, chez Gallimard, ce roman a fait la renommée de son auteur, Madeleine Bourdouxhe (1906-1996), écrivain belge peu prolifique mais de grande qualité.

Elisa aime passionnément Gilles et chaque minute de sa journée lui est consacrée, qu’il s’agisse du ménage comme de l’entretien du jardin, de la préparation des repas ou des soins apportées à leurs petites jumelles. Elisa se trouve figée dans « un vertige de tendresse » et dans l’attente de l’être aimé. Son corps est « anéanti de douceur, fondu de langueur ».

Le roman se déroule dans le quartier ouvrier d’une petite ville belge. Gilles travaille dans les hauts-fourneaux, comme une grande partie des habitants, tandis qu’Elisa s’occupe du foyer et des enfants. L’amour qui les unit est fort, sensuel et partagé. Le couple goûte également un bonheur familial tendre et paisible. Elisa est heureuse, entièrement occupée par son amour. Aussi, lorsque son mari rentre accompagné de sa belle-soeur, Victorine, Elisa les incite à aller au cinéma ensemble. Fatiguée par une deuxième grossesse, Elisa est heureuse que Gilles ait une occasion de se distraire avec sa jeune soeur.

Découvrant peu après que Gilles aime Victorine, Elisa est terrassée par la douleur. Elle ne montre rien pourtant, elle cherche à s’habituer à cette idée et préfère penser à l’avenir. Femme amoureuse et réfléchie, elle décide de la conduite à tenir.

« Quoi qu’il arrivât, quoi qu’il fût arrivé, il ne fallait pas faire d’éclat. Seulement veiller, et n’agir qu’en de petits actes subtils, et garder intact cet amour autour de lui, et auquel il reviendrait : elle l’aimait, on n’échappe pas à un tel amour… »

Elisa est fière, déterminée, optimiste, forte de tout l’amour engrangé jusqu’alors, mais elle est aussi naïve jusqu’à la candeur. Gilles est quant à lui follement amoureux de Victorine, mais la belle est inconstante et l’amour de Gilles ne sera plus que douleur… Quelle voie choisira alors Elisa pour regagner l’amour de Gilles ?

Madeleine Bourdouxhe nous propose une belle écriture, pure, simple et pudique, tendre et pleine d’émotions, tout comme l’héroïne du roman. Cette limpidité cache des sentiments bien plus complexes et s’il est bien question d’amour pur et de jalousie, « La femme de Gilles » est loin de se limiter à cela. Tout l’art de l’auteur est ici de nous emmener en une centaine de pages du bonheur à la tragédie, dans un rythme parfait, au gré d’une histoire simple, presque banale, mais dont le traitement et la profondeur sont remarquables.

« La femme de Gilles » est aussi le roman d’une époque, celle de la première moitié du XX ème siècle mais il est intemporel et peut être transposé dans le présent. L’héroïne n’est pas une femme soumise ; éprise d’absolu, elle s’oublie mais n’est jamais dominée par son mari. Le roman n’est donc pas seulement la dénonciation du sacrifice d’Elisa mais il s’attache aussi à disséquer l’amour, ses multiples facettes et les conséquences tragiques qu’il peut avoir sur nos vies. D’une grande richesse, « La femme de Gilles » se prête à plusieurs lectures et interprétations. C’est un classique de la littérature belge francophone, à ne pas manquer. Voilà qui commence bien ce mois belge !

Coup de cœur 2021 !

La femme de Gilles, Madeleine Bourdouxhe, Labor, collection Espaces Nord, 2005 / ou chez Actes Sud, Babel, 2010.

Participation au mois belge d’Anne et au challenge Objectif Pal chez Antigone.