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Elsa Morante, une vie pour la littérature, René de Ceccatty

 

Sa vie, c’était la littérature. Elsa Morante ne voulait pas que l’on s’intéresse à elle : celle qui n’avait que peu de relations avec la presse considérait les biographies comme « une suite de potins ».  René de Ceccatty, auteur, éditeur, critique et traducteur brillant et prolifique nous offre une somme biographique qui est bien loin de la vision qu’avait Elsa Morante de cet exercice, puisqu’aux éléments biographiques concernant la grande auteure italienne, il ajoute ceux de ses amis proches -qu’elle avait nombreux – ainsi qu’une analyse de ses principales œuvres, poèmes, nouvelles et romans. Au total, c’est un véritable panorama du monde culturel italien d’après-guerre où l’on croise Pasolini, Visconti, Zeffirelli, Leonor Fini, Anna Magnani et tant d’autres …

René de Ceccatty fait la part des choses entre la mythologie personnelle et la réalité, ce qui est d’autant plus difficile qu’Elsa Morante avait un imaginaire très développé, aux contours flous. Il est vrai que le mensonge familial prévalait, notamment concernant son père, car selon la « légende maternelle » le père apparent et le père biologique d’Elsa Morante différaient. Cet élément constitue l’un des fondements de l’imaginaire d’Elsa Morante. L’ascendance juive de sa mère est également un élément fondamental de son œuvre, tout comme l’intérêt fort qu’elle avait pour l’homosexualité masculine. Elle disait aimer s’entourer d’homosexuels pour être la seule femme du groupe.

Elsa Morante est précoce. Dès l’enfance, elle écrit des poésies et des comptines. Elle termine l’école secondaire mais n’entame pas d’études supérieures et rencontre Alberto Moravia, autodidacte lui aussi, qui était déjà célèbre pour avoir publié « Les indifférents » quelques années auparavant. Elsa rédige alors de nombreuses nouvelles dont beaucoup se distinguent par leur atmosphère onirique et fantastique : une narration très poétique, fondée sur de nombreuses images.

C’est le caractère passionné d’Elsa Morante qui a séduit Moravia. Une admiration réciproque lie les deux auteurs, ainsi qu’une grande complicité intellectuelle. Mais Morante a beaucoup de défauts, comme le souligne René de Ceccatty : elle est manipulatrice, mythomane, parfois hystérique. En femme indépendante qui ne veut se lier à personne, elle entretient plusieurs liaisons. Morante et Moravia se marient pourtant en 1941 puis s’enfuient de Rome après la chute de Mussolini et le renforcement de la répression allemande contre les juifs. Ils vivront ensuite à Rome et effectueront ensemble de nombreux voyages.

En fin connaisseur de la littérature italienne, De Ceccatty ne se limite pas aux éléments biographiques. Il s’attache à décrire et expliquer le style littéraire d’Elsa Morante, son évolution, et l’aisance que l’auteure éprouve dans la nouvelle, plus que dans le roman. Il nous propose ainsi une analyse de « Mensonges et sortilèges », s’étend sur les liens existants entre ce roman et d’autres œuvres, comme celle de Tomasi di Lampedusa, de Goliarda Sapienza, et même de Stendhal, ou celles qui appartiennent au Nouveau roman français. De Ceccatty passe également en revue ce que ce roman doit aux auteurs français du XIXème siècle, parmi lesquels Balzac, aux auteurs russes ainsi qu’aux grands romans anglais familiaux.

Il nous raconte aussi raconte la conception de « L’île d’Arturo », « le plus grand livre d’Elsa Morante » qu’il classe dans le registre du « réalisme magique » et que Pasolini, devenu ami du couple et particulièrement de Moravia, a éreinté sans que Morante ne lui en tienne rigueur. En 1974, « La storia » connaît un grand succès auprès du public, phénomène éditorial sans précédent en Italie depuis la publication du « Guépard » en 1958. Cela trouble l’image d’Elsa Morante auprès des intellectuels italiens : paru dans les « années de plomb », après les premiers assassinats des Brigades rouges, le roman apparait décalé, il est celui d’une autre réalité historique. Mais Elsa Morante vivait depuis toujours en dehors de la réalité…

Biographe également de Moravia, René de Ceccatty s’intéresse bien sûr au rôle que ce dernier a joué dans l’œuvre de Morante, parce qu’il lui a offert la possibilité d’écrire sans devoir travailler, l’a aidée à publier chez Einaudi et à obtenir le Prix Viareggio. Après la séparation douloureuse, Moravia et Morante garderont d’ailleurs une amitié distante et Moravia restera toujours protecteur vis-à-vis de celle qui fut son épouse jusqu’au bout, par fidélité à son engagement.

De Ceccatty insiste sur la totale liberté de pensée qui caractérisait Elsa Morante. Elle n’engagea pas de combat féministe et, précise-t-il, « c’est bien malgré elle qu’elle devint une icône du féminisme » parce que pour elle, le combat se situait tout simplement ailleurs. Elle réservait son empathie aux faibles, aux victimes, aux malheureux, à tous ceux qui souffrent, hommes ou femmes.

Sur le plan personnel, Morante n’apparaît pas facile à vivre : « Elle a toujours le dernier mot et balaie toute objection d’un regard affligé et sarcastique ». Elle ne cherche pas à partager ses idées, elle n’est pas militante, à part quelques conférences données contre le nucléaire, et s’avère peu tolérante. Elle fait souvent preuve d’une « relative misanthropie ».

Je n’ai retenu ici que quelques éléments d’une biographie d’une grande richesse qui dresse le portrait d’une auteure de grand talent dont la vie personnelle fut plutôt sombre. Son caractère entier et passionné lui a sans doute valu beaucoup de déconvenues, et si on la pardonne de certains excès, c’est parce qu’elle était tout entière tournée vers la littérature, vers l’imaginaire et la poésie. De quoi avoir envie de lire -ou relire- ses plus grands romans et c’est d’ailleurs ce que je vous conseille de faire tout d’abord, si vous décidez de lire cette biographie. Quant aux passionnés d’Elsa Morante ou de la période concernée, la biographie de René de Ceccatty, la première en langue française, est tout simplement incontournable !

Coup de coeur 2019

Elsa Morante, une vie pour la littérature, René de Ceccatty, Tallandier, Paris, mars 2018, 426 p.

 

Lu dans le cadre du challenge objectif Pal chez Antigone et du mois italien chez Martine.

 

Paul Verlaine, un inédit en français de Stefan Zweig

Paul Verlaine de Stefan ZweigAprès avoir lu la magnifique biographie que Stefan Zweig a dédié a Marie-Antoinette, j’ai découvert que les éditions « Le Castor Astral » venaient de publier un inédit du grand auteur autrichien ! Il s’agit d’une monographie sur Paul Verlaine qui, aussi surprenant que cela puisse paraître, n‘avait encore jamais été traduite en français.

Zweig s’est toujours beaucoup intéressé à la poésie et très jeune, il a traduit en langue allemande des vers de Rimbaud et Baudelaire. En 1902, à la demande de son éditeur allemand, il supervise et préface une anthologie des meilleures traductions de Verlaine. Zweig y signe également les traductions de trois poèmes de Verlaine. Cette anthologie est un succès en Allemagne et contribue à faire connaître dans ce pays le grand poète français.

Au cours de ces années, Zweig rassemble beaucoup d’éléments biographiques sur Verlaine, allant même jusqu’à boire de l’absinthe dans le café parisien où Verlaine avait ses habitudes ! Alors, lorsque son éditeur allemand lui commande un livre sur l’œuvre et la vie de Verlaine, Zweig s’attelle aussitôt à la tâche et la monographie sera publiée début 1905.

Le texte que Zweig nous propose ici nous montre Verlaine comme un poète faible, écrasé par le poids d’un destin auquel il est incapable de faire face. Zweig voit en Verlaine un homme aussi dénué de résistance que sa poésie est, au contraire, empreinte de grandeur et de force, et au total, de sublime !

« Ainsi a-t-il produit une poésie des origines, pure expression de l’humanité, simplicité de la plainte, humilité, balbutiement, colère et reproche, sonorités primitives sous une forme sublime, les pleurs silencieux de l’enfant battu, l’appel craintif de l’égaré, le tendre cri de l’oiseau solitaire dans la lumière déclinante du soir » (p26).

Zweig insiste également sur la sincérité du grand poète français, un sentiment si exacerbé qu’il confine à l’impudeur. Zweig interprète ce trait de caractère comme le fruit de la « personnalité féminine, fragile et on ne peut plus négative » de Verlaine (p45).

En reconnaissant les faiblesses de Verlaine, Stefan Zweig fait de lui un antihéros dénué de grandeur et de courage. Mais il lui attribue la plus belle des qualités, qui consiste à posséder « le symbole de l’humanité la plus pure, une magnifique force poétique dans un réceptacle fragile » (p98).

On ressent dans le texte de Zweig tout l’amour et l’admiration qu’il portait à Verlaine, et aussi toute la fougue de la jeunesse. Il est vrai qu’il s’agit là du tout premier essai biographique que Zweig a écrit, à l’âge de vingt-trois ans seulement.

Le recueil présente en outre une biographie de Verlaine rédigée par Zweig en 1922 pour servir d’introduction à l’édition allemande des  « Œuvres complètes » de Verlaine. Le tout est complété par un article sur Rimbaud, et se conclut par trois poèmes écrits par Stefan Zweig lui-même.

Un ouvrage indispensable à tout lecteur amoureux de Zweig ou de Verlaine !

 

Paul Verlaine, Stefan Zweig, traduit de l’allemand par Corinna Gepner, Edition Le Castor Astral, collection « Les Inattendus », Paris, avril 2015, 160 p.

 

 

Livre lu dans le cadre du challenge Un classique par mois.

Challenge un classique par mois

Je remercie tout particulièrement les éditions Le Castor Astral de m’avoir envoyé cet ouvrage.

Marie-Antoinette, de Stefan Zweig

Marie Antoinette Stephan ZweigLa biographie est une des facettes les plus brillantes du talent de Stefan Zweig. Si ses nouvelles et romans nous enchantent, voilà un domaine où il excelle tout particulièrement, et la biographie qu’il consacra en 1932 à Marie-Antoinette est un vrai régal, que je placerai parmi mes coups de cœur de l’année 2015.

Nous connaissons Marie-Antoinette pour en avoir entendu parler en cours d’histoire, et parce qu’elle fait partie de notre mémoire collective. Mais qu’en avons-nous retenu, si ne n’est beaucoup de lieux communs méprisants qui s’attachent encore aujourd’hui à la figure historique de « l’Autrichienne » ?

Dans « Marie-Antoinette », Stefan Zweig dresse un portrait équilibré et très humain de la Reine de France. Certes, il insiste tout d’abord sur le caractère léger et étourdi de celle qui n’était qu’une enfant quand elle arriva à Versailles. Marie-Antoinette ne pensait alors qu’à s’amuser, ne s’intéressant à rien d’autre qu’aux robes et aux bals, mais elle avait des circonstances atténuantes, en tout premier lieu le caractère et l’attitude de son mari, le futur Louis XVI, comme le montre justement l’auteur en insistant sur cette première période qui est essentielle pour comprendre le comportement de Marie-Antoinette et, partant, l’attitude des Français à son égard :

« (…) par-delà le destin, la maladresse, le malheur privé, les suites d’une misère conjugale pénètrent dans le domaine de l’Histoire universelle : la destruction de l’autorité royale, en vérité, n’a pas commencé avec la Prise de la Bastille, mais à Versailles ».

Pour autant, Stefan Zweig met en lumière la force de caractère de la Reine, fondé sur une droiture et une honnêteté à toute épreuve, ainsi qu’un grand courage qu’elle développe principalement lorsque les évènements se déchaînent. Marie-Antoinette se révèle alors la digne fille de l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse. Mais c’est le Roi qui dirige, ce qui consiste pour lui à ne rien faire, ne prendre surtout aucune décision, et à de nombreuses reprises, Marie-Antoinette, si elle avait pu suivre son instinct, aurait trouvé des solutions à la situation dangereuse dans laquelle elle et sa famille se trouvaient, d’abord aux Tuileries, puis au Temple.

Malheureusement, elle ne peut échapper à un destin terrible : cette fille d’impératrice, pourtant née dans une cour, mal mariée à un homme apathique qui ne pense qu’à manger et chasser, a souffert de l’étiquette impitoyable de Versailles. Elle a été la victime d’une escroquerie d’une incroyable audace, l’affaire du collier, et a vu sa réputation peu à peu mise à mal, puis détruite par les multiples libelles et fascicules -presse à sensation de l’époque-, qui circulaient alors.

Lorsque la Révolution se déclenche, la Cour abandonne la famille royale. La plupart des aristocrates émigrent en Angleterre, en Belgique ou en Allemagne. Les monarques européens ne viennent pas non plus au secours de la royauté française, excepté le roi de Suède qui meurt rapidement. Le neveu de Marie-Antoinette lui-même, monté sur le trône autrichien, ne prête aucune attention à sa tante en difficulté –encore moins quand elle sera destituée-, ni même l’ambassadeur d’Autriche en France réfugié à Bruxelles, le Comte de Mercy, qui avait pourtant promis à l’impératrice Marie-Thérèse de veiller sur sa fille.

Après des années de réclusion et d’angoisses, c’est une femme prématurément vieillie, à qui l’on a retiré son fils, le Dauphin, et que l’on a accusé des crimes les plus odieux envers cet enfant, qui montera sur l’échafaud, avec une dignité et un courage admirables. Elle avait pour tort d’être une représentante de l’Ancien Régime, convaincue au plus profond d’elle-même de la légitimité de la monarchie de droit divin. En tant que telle, elle vivait en dehors de la réalité du plus grand nombre et n’avait jamais prêté la moindre attention aux bourgeois, ni a fortiori au peuple, préférant gaspiller l’argent du Royaume pour son petit Trianon. Là était son erreur, mais elle ne fut pas la débauchée et la traîtresse que l’on a longtemps dénoncée.

J’ai beaucoup aimé le regard que l’auteur porte sur la politique de cette époque, qui m’a rappelé un professeur qui nous enseignait l’histoire diplomatique en partant des faits privés qui se déroulaient au sein des cours européennes de l’Ancien Régime. Mettant l’accent sur les faiblesses du Roi Louis XVI, sur les ennemis de Marie-Antoinette, que deviendront par exemple les frères du Roi, Zweig ne s’y est pas trompé :

« C’est presque toujours un destin secret qui règle le sort des choses visibles et publiques ; presque tous les évènements mondiaux sont le reflet de conflits intimes. Un des grands secrets de l’Histoire est de donner à des faits infimes des conséquences incalculables ; « (p40)

La description que Zweig fait de la Cour de Versailles, à travers le portrait de Louis XVI, n’est pas sans rappeler d’autres périodes historiques, parfois beaucoup plus récentes :

« C’est encore un Louis qui est roi, certes, mais il n’a rien d’un souverain, ce n’est qu’un piteux esclave des femmes, dépourvu d’intérêt ; lui aussi réunit à la Cour évêques, ministres, maréchaux, architectes, poètes, musiciens, mais pas plus qu’il n’est un Louis XIV, ce ne sont des Bossuet, des Turenne, des Richelieu, des Mansart, Des Colbert, des Racine et des Corneille ; c’est une bande d’intrigants, de gens soupes et avides de places, qui ne veulent que jouir au lieu de créer, que profiter en parasites de ce qui existe au lieu d’insuffler aux choses la vie et l’énergie (…) ce ne sont plus les hauts faits qui l’emportent, mais la cabale, ce n’est plus le mérite qui compte, mais la protection ; (…) la parole prime l’action, l’apparence la réalité. Ces hommes, enfermés dans un cadre étroit, ne jouent plus qu’entre eux et pour eux-mêmes, avec beaucoup de grâce et sans aucun but, leurs rôles de roi, de prêtre, de maréchal ; tous ont oublié la France, la réalité, ils ne pensent qu’à eux-mêmes, à leur carrière, à leurs plaisirs ». (p44 et 45).

Bien plus qu’une simple biographie de Marie-Antoinette, Stephan Zweig nous offre une véritable leçon d’histoire, en dénonçant le fait d’apprécier  les paroles, les faits et les actes d’alors, à l’aune de la mentalité contemporaine. Ainsi, si Marie-Antoinette espère à un certain moment la défaite de la France dans une guerre contre les puissances étrangères, c’est parce qu’en 1791, l’idée de nation, de patrie, n’en n’est qu’à ses balbutiements (elles ne prendront corps qu’au XIXème siècle). Marie-Antoinette réagit donc logiquement en pur produit de l’Ancien Régime, du XVIIIème siècle, et en tant que membre de la Royauté de droit divin.

Stefan Zweig développe de fines analyses historiques et politiques, mais pas seulement. Ce qui frappe dans cette biographie est la richesse des observations psychologiques, concernant ce couple royal si mal assorti. Et la belle écriture classique de Stefan Zweig, à la fois fluide et riche, qui est la marque des grands auteurs ! Autant d’éléments qui font de cette biographie, jamais ennuyeuse, et au contraire par moments prenante comme un thriller historique, bien que l’on en connaisse le dénouement, un grand moment de lecture !

 

Coup de cœur !

Quelques citations :

Sur Marie-Antoinette à la Cour de Versailles :

« Sa faute, sa faute indéniable, est d’avoir abordé avec une frivolité sans pareille la tâche la plus lourde de l’Histoire, avec un cœur léger le conflit le plus dur du siècle. Faute incontestable, disons-nous et cependant pardonnable, car la tentation était telle que même un être mieux trempé lui aurait à peine résisté » (p106).

(…) « ce nouveau style qui porte le nom de Louis XVI aussi injustement que l’Amérique celui d’Americ Vespuce. Il devrait avoir pour marraine cette femme délicate, élégante, remuante, s’appeler style Marie-Antoinette, car rien dans sa grâce fragile ne rappelle Louis XVI, cet homme lourd, aux goûts communs ; » (p120).

« Chacun sait que comme intelligence, force d’âme et honnêteté, la reine est cent fois supérieure à ces créatures mesquines qui forment sa société quotidienne. Mais ce qui décide des rapports entre les êtres, c’est l’habileté et non la force, la supériorité de la volonté et non celle de l’esprit ». (p138).

Sur l’affaire du collier :

« On ne saurait trop le dire, Marie-Antoinette, dans toutes les tractations fantastiques de l’affaire du Collier, a été tout à fait innocente ; mais qu’une pareille escroquerie ait pu être osée sous son nom, et qu’on y ait cru, c’est là du point de vue de l’Histoire sa grande faute » (p205).

Sur le procès et le jugement :

« la question était délicate : qu’on reconnaisse que le cardinal a, pour le moins, manqué de respect à la souveraine, et Marie-Antoinette sera dédommagée de l’abus qu’on a fait de son nom, mais si on l’acquitte purement et simplement, ce jugement entraînera la condamnation morale de la reine » (p211).

« ce n’est pas une question privée qu’on vide ici, c’est une question politique ; il s’agit de savoir si le Parlement français considère encore la reine comme « sacrée » et intangible ou si elle est soumise aux lois, comme n’importe quel citoyen français ». (p211)

« Marie-Antoinette, dont l‘intuition est toujours plus forte que la réflexion, a vu immédiatement ce que cette défaite avait d’irréparable ; pour la première fois, depuis qu’elle porte la couronne, elle s’est heurtée à une puissance plus forte que sa volonté » p213).

« Indécis comme toujours, il choisit le moyen terme, qui en politique, est toujours le pire. Le roi a perdu sans retour l’occasion de prendre une décision qui pouvait être considérable. Une nouvelle époque a commencé avec le jugement du Parlement contre la reine. » (p213).

« en réalité, en favorisant l’évasion de la criminelle (Mme de la Motte), c’était le tour le plus perfide, le plus sournois, que le clan des conjurés pouvait jouer à Marie-Antoinette. Car non seulement cette fuite donne libre cours aux insinuations sur une entente entre la reine et la voleuse, mais d’autre part la condamnée peut, de Londres, s’ériger en accusatrice, faire imprimer impunément les mensonges et les calomnies les plus effrontés (…) ». (p215).

Sur la responsabilité de Marie-Antoinette :

« Du premier jour jusqu’au dernier, Marie-Antoinette n’a vu dans la Révolution qu’une vague de boue immonde, soulevée par les instincts les plus bas et les plus vulgaires de l’humanité ; elle n’a rien compris au droit historique, à la volonté constructive de ce mouvement parce qu’elle était décidée à ne comprendre et à ne défendre que son propre droit royal ». (p239).

« (…) cet entêtement à ne pas vouloir comprendre, c’est là la faute historique de Marie-Antoinette. »(p239)

 

Marie-Antoinette, Stefan Zweig, traduit de l’allemand par Alzir Hella, Le livre de poche n°14669, édition 19, septembre 2013, Paris,  258 p.

 

livre lu dans le cadre du challenge Histoire chez Lynnae , du challenge Destination PAL chez Liligalipette et du challenge Un classique par mois chez Stephie

Challengehistoireessai1

Destination PAL

 

Manet, le secret, de Sophie Chauveau

manet le secret Décidément, Sophie Chauveau nous régale de biographies romancées de grands artistes, des peintres principalement, malgré une incursion très réussie dans l’univers des philosophes des Lumières chez Diderot. J’avais particulièrement apprécié sa trilogie qui se déroulait à Florence pendant la Renaissance et explorait les univers de Fra Filippo Lippi, Sandro Botticelli et Leonardo Da Vinci. Alors quand j’ai vu que la dernière opération Masse critique de Babelio proposait le dernier ouvrage de Sophie Chauveau, j’ai sauté sur l’occasion et j’ai donc reçu le récent « Manet le secret » qui ne m’a pas déçue.

Edouard Manet, génie précurseur, chef de file -contre son gré- des impressionnistes, est en effet un personnage fascinant, un homme élégant au caractère mélancolique. Né dans un milieu bourgeois, il s’oppose à son père qui veut qu’il « fasse son droit » et préfère s’engager dans la marine pour échapper à un destin monotone. De retour en France, il se lance dans la peinture, mais continue à mener une vie bourgeoise au sein de sa famille. Il tombe bientôt éperdument amoureux de la jeune pianiste hollandaise engagée par sa mère pour enseigner la musique à la famille. Une liaison débute, cachée soigneusement à ses parents, puis révélée à sa mère quand il ne pourra plus faire autrement.

Le ton est donné : comme le démontre Sophie Chauveau, la vie de Manet s’article toujours autour d’un « entre-deux ». Au Salon officiel, seules certaines de ses œuvres sont admises, et pas à chaque fois. Vivant en bourgeois, il se montre respectueux des convenances, mais pas tout à fait. Le jugement que ses contemporains portent sur son œuvre est longtemps ambigu, sa situation financière est incertaine. Il aime la peinture en plein air, mais pas que cela : il aime aussi s’attacher aux regards et à ce qu’ils transmettent.

Manet, « le secret », car il a longtemps suscité l’incompréhension, d’où sont nés le scandale et le rejet : les rires autour du « Bain » (« Le déjeuner sur l’herbe »), de l’ « Olympia », dont le réalisme et la sincérité choquent. Manet est célèbre pour certaines de ses couleurs qui ont déclenché moqueries et réprobation : le noir d’ « Olympia », le vert du « Balcon » ou le bleu d’ « Argenteuil ». Comme tout novateur, il choque.

 

déjeuner sur l'herbe

Le Bain ou Le déjeuner sur l’herbe

olympia de Manet

Olympia

  Argenteuil de Mnaet

Argenteuil

 

Et en même temps, Manet se veut classique. Il n’aime pas faire partie d’une école, être embrigadé. Il a d’abord repoussé le réalisme de Zola. Il refuse ensuite d’être considéré comme un impressionniste, se sentant plus proche des poètes symbolistes. Oui, il est un classique qui allie tradition et modernité. Encore l’entre-deux !

Le secret, c’est aussi celui qui régit sa vie privée. Suzanne qu’il n’épouse qu’après la mort de son père. Léon, un fils élevé au sein de la famille, mais jamais reconnu, sacrifié par respect des convenances. Son grand amour pour Berthe Morisot, leur enfant perdu, enfin, ses nombreuses maîtresses…

Comme d’habitude, le roman de Sophie Chauveau se lit d’une traite et nous donne envie d’en savoir davantage sur cette période. On croise en effet dans le livre de nombreux artistes, critiques d’art, amis de Manet : Pissarro, Sisley, Degas, Cézanne, Antonin Proust, Baudelaire, Mallarmé… et bien sûr Berthe Morisot. Je n’émettrai qu’une critique à l’encontre de l’objet-livre lui-même : quel dommage que les principales œuvres de Manet évoquées ici ne soient pas illustrées dans un encart central, ce qui oblige le lecteur à se reporter à une encyclopédie ou à Internet et à interrompre sa lecture !

 

Manet, Le secret, Sophie Chauveau, Editions Télémaque, novembre 2014, 382 p.

 

Je remercie Babelio et les Editions Télémaque de m’avoir envoyé « Manet le secret ».

masse critique Babelio

Livre lu dans la cadre du challenge Histoire chez Lynnae

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