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Mauprat, de George Sand

 

 

Quand j’ai acheté ce Folio en librairie, il y a plusieurs années déjà, le titre ne me rappelait rien. « La mare au diable », « La petite Fadette » ou encore « Consuelo« , oui bien sûr, mais « Mauprat », il me semble bien ne jamais l’avoir entendu auparavant. Et c’est une agréable découverte car « Mauprat » est un roman tout à la fois captivant, émouvant et enrichissant. Mauprat est le nom de la famille qui est au centre de ce roman. Il s’agit, comme les décrit la quatrième de couverture, « de petits seigneurs berrichons, incultes et cruels, qui ne seraient pas déplacés dans un roman de Sade et perpétuent au dix-neuvième siècle les pires usages du monde féodal ».

La famille Mauprat est en réalité divisée en deux branches : les Coupe-Jarret , la branche aînée qui, c’est un euphémisme de le dire, a mal tourné, et les Casse-tête, sages et justes, disciples de l’esprit des Lumières. Le narrateur, Bernard Mauprat, dernier héritier des Coupe-Jarret, est un homme âgé qui revient sur sa vie, longue et agitée. L’histoire débute alors qu’il a dix-sept ans et vit avec ses horribles oncles, les Mauprat Coupe-Jarret, depuis qu’il a perdu ses parents à l’âge de sept ans. Son oncle Hubert Mauprat, de la branche cadette des Casse-tête, avait essayé de le recueillir quelques années avant, afin de l’enlever des mains de ces infâmes bandits, mais en vain.

Nous sommes dans le Berry, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, peu avant la révolution française. La fille d’Hubert Mauprat, enlevée par ses infâmes oncles, est amenée par ceux-ci à Bernard Mauprat, afin qu’il fasse preuve de sa virilité. Mais Bernard, bien qu’élevé par ses oncles, ne partage pas leur penchant pour la violence, les exactions et autres crimes qu’ils commettent régulièrement, et tombe amoureux d’Edmée. Il s’évade avec elle de l’affreuse demeure de la Roche-Mauprat, après lui avoir fait promettre qu’elle n’appartiendrait jamais à aucun autre que lui-même. Bernard ramène Edmée chez son père, qui installe Bernard chez lui et l’adopte enfin.

Commence alors une longue période pendant laquelle Bernard vit aux côtés d’Edmée. Celle-ci exige que Bernard s’instruise, ce qu’il fait avec l’abbé Aubert, ami de la famille. Edmée promet à Bernard de l’épouser lorsqu’il sera devenu un gentilhomme cultivé et apte à vivre en société, c’est-à-dire tout d’abord, à s’y comporter de façon mesurée. Mais les doutes assaillent Bernard. Il s’impatiente et craint qu’Edmée ne change d’avis ou ne soit pas sincère, d’autant que celle-ci est depuis longtemps promise à M. de la Marche. Bernard s’ouvre parfois à Edmée, ce qui est l’occasion d’échanges passionnés mettant à l’épreuve les sentiments exacerbés des deux cousins. C’est d’ailleurs suite à l’un de ces épisodes qui représentent pour lui une torture, que Bernard décide de s’engager auprès du Marquis de La Fayette, et de partir combattre pour l’indépendance de l’Amérique. Bernard ne rentrera que six ans plus tard en France. Et c’est alors qu’un événement grave viendra tout remettre en question, au moment même où tout se présentait pour le mieux, Edmée ayant en effet attendu Bernard pendant ces longues années.

Je ne vous en dirai pas plus pour préserver la fin de l’intrigue, dont on suit les rebondissements avec intérêt. En effet, je me suis très vite attachée aux personnages de Bernard et Edmée, comme à Patience, Hubert et Marcasse. « Mauprat » est un roman très riche, aux multiples facettes, que J.P Lacassagne caractérise ainsi dans sa préface : « un roman indéfinissable, dense et captivant que l’on a pu lire comme un roman d’aventures, un roman d’éducation, un roman d’amour, le premier des grands romans champêtres ou des grands romans sociaux » .

En effet, le roman se veut parfois romantique, -et c’est là que se situent à mon avis les quelques longueurs, avant le voyage en Amérique notamment-, parfois aventurier, avec un château effrayant, une évasion,des poursuites à cheval et des moines peu recommandables qui fréquentent une auberge sordide. C’est aussi un roman social, lorsque Edmée devise avec ses amis proches et refait le monde, ou lorsque Patience développe des idées égalitaristes. On y retrouve d’ailleurs l’influence de Jean-Jacques Rousseau, que George Sand cite à plusieurs reprises, puisque le philosophe est particulièrement admiré d’Edmée. Celle-ci a d’ailleurs beaucoup apprécié « La nouvelle Héloïse » et s’emploie à développer les qualités que Rousseau aime chez une femme : « elle aimait à reconnaître avec lui que le plus grand charme d’une femme est dans l’attention intelligente et modeste qu’elle donne aux discours graves ». Enfin, c’est un roman d’éducation qui comporte de très belles pages sur l’intérêt de la culture, comme lors de l’initiation de Patience à la poésie.

Vous l’aurez compris, une très belle lecture que je vous conseille, et qui donne envie de se replonger plus souvent dans les classiques.

Mauprat, George Sand, Folio classique n°1311, Paris, 1981, 476 p.

 

Participation au challenge Objectif Pal chez Antigone

Madame Orpha, Marie Gevers

Voilà le troisième roman de Marie Gevers que je lis et le charme opère toujours. Nous retrouvons l’auteure, jeune fille de de douze ans, la maison de Missembourg, le jardin et l’étang, celui-là même dont nous avons fait la connaissance dans « Vie et mort d’un étang ». Mais cette fois, la nature n’est pas au centre de l’histoire, même si elle est toujours présente dans les descriptions de Marie Gevers.

Madame Orpha est l’héroïne malgré elle des réflexions de Marie Gevers. Au centre d’un scandale qui alimente les rumeurs du bourg flamand, madame Orpha est la jeune épouse du receveur du village. Elle abandonne son mari pour Louis, le jardinier des parents de la narratrice. Un sort les aurait liés, dit-on au village. En effet, comment expliquer autrement cet amour fou qui les réunit et brise en même temps d’autres destins, en particulier celui du receveur ?

C’est cet amour adultère, source des médisances qui anima tout le village pendant une année entière, que Marie Gevers retrace, par petites touches, en nous dispensant ses souvenirs de petite fille, au gré de leurs fluctuations dans sa mémoire. « Madame Orpha » est ainsi un roman d’initiation, à l’amour d’abord, mais aussi à la mort que la jeune Marie rencontre pour la première fois.

Comme dans d’autres œuvres de l’auteure, la nature est omniprésente, et l’amour de Mme Orpha et de Louis s’y inscrit comme un élément fondateur du monde. Parmi les thèmes chers à l’auteure, on retrouve celui des phénomènes météorologiques et de l’eau qui fait partie intégrante de cette nature flamande. Chez Marie Gevers, les sensations sont toujours plus importantes que les concepts intellectuels et la nature joue un rôle central dans les perceptions des sens.

Les réflexions de la jeune fille sur son quotidien nous renseignent sur le fonctionnement des campagnes flamandes dans cette première moitié du XXème siècle. On y apprend également que le bilinguisme de Marie Gevers a eu d’importantes conséquences sur son écriture. Elle parlait flamand phonétiquement, écrit-elle, « à la manière d’une illettrée » et cela donnait lieu à quelque chose d’éminemment poétique qui a influencé sa vision du monde. Marie Gevers disait combiner « une intelligence française et une sensibilité flamande ».

Marie Gevers nous plonge dans son univers de rêveries, de mots simples qui, presque magiquement, se muent en poésie. Encore une fois, le mois belge m’a donné la joie d’une lecture rafraichissante qui puise dans les grands mythes de notre monde.

Madame Orpha, ou la sérénade de mai, Marie Gevers, Editions Labor, Collection Espaces Nord, Loverval, 2005, 266 p. 

 

Livre lu dans le cadre du mois belge chez Anne et du challenge Dames de lettres chez George.

 

Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, Selma Lagerlöf.

le-merveilleux-voyage-de-nils-holgersson-a-travers-la-suede-jeunesseNée en 1858 en Suède, Selma Lagerlöf, institutrice, est passée à la postérité grâce à ce roman d’initiation devenu un classique de la littérature pour la jeunesse. L’auteure l’avait écrit en réponse à une commande de l’ école publique suédoise, afin de faire connaître la géographie de la Suède aux écoliers du pays. Le livre remporta un concours qui récompensait alors le meilleur livre de lecture pour les écoles. Fait moins connu, Selma Lagerlöf fut aussi la première femme à remporter le Prix Nobel de littérature, en 1909.

Le héros est un jeune garçon qui ne sait « que dormir, manger et faire des bêtises » et notamment tyranniser les animaux de la ferme de ses parents. Un dimanche, alors que ses parents sont au temple, Nils aperçoit un lutin et décide de lui jouer un mauvais tour. Le lutin se venge aussitôt et transforme le garçon en un petit lutin également, doté de la capacité de parler avec les animaux. Nils se rend bien vite compte que les animaux de la ferme savent où habite le lutin qui lui a jeté ce sort, mais refusent d’aider le garçon qui a été si méchant avec chacun d’eux.

C’est alors que passe dans le ciel un groupe d’oies sauvages, en migration vers le Nord. Un jeune jars de la ferme ne résiste pas à l’appel et décide de les accompagner dans leur voyage. Au moment où le jars réussit à s’envoler, Nils oublie sa petite taille et s’accroche au cou du jars pour l’empêcher de partir. Il est emporté dans les airs et quitte ainsi sa Scanie natale pour un voyage qui dure plus de huit mois : toutes sortes de péripéties attendent le jeune garçon et l’amènent à devenir meilleur, à se dépasser et à comprendre qu’il n’a jusqu’alors été que méchant et égoïste. Le roman est certes un peu moralisateur, mais le jeune Nils comprend par lui-même, grâce à l’observation et à l’expérience qu’il tire de ce long périple.

Selma Lagerlöf nous emporte dans un beau voyage au charme désuet, mélangeant le fantastique au roman d’initiation. De la Scanie jusqu’en Laponie, nous découvrons les paysages suédois, les animaux sauvages qui les peuplent et quelques légendes de ces contrées nordiques. Je n’ai qu’un regret : n’avoir pas lu le texte intégral, ce qui n’est précisé nulle part dans cette édition Jeunesse. Je me suis vite rendu compte que le récit était incomplet. La présente édition n’est en effet qu’une version réduite des aventures de Nils Holgersson.

Le fait est important, car cette édition est destinée aux jeunes de onze ans et plus. D’une part, le sujet est très éloigné de ce que lisent les plus de onze ans et risque donc de ne pas leur plaire et d’autre part, le vocabulaire facile et la simplicité de l’intrigue conviennent davantage à des enfants de classes primaires. L’indication de l’âge au dos du roman me semble donc largement sur-évaluée. Quant à moi, je ne résiste pas à inscrire dans ma liste d’envies l’édition intégrale publiée chez Actes Sud :

 

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Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, Selma Lagerlöf, traduit du suédois par Agneta Ségol et Pascale Brick-Aida, illustrations de Michel Boucher, Flammarion jeunesse, Paris, 2010, 132 p, à partir de 11 ans.

 

Livre lu dans le cadre du challenge Objectif PAL chez Antigone, du challenge Femmes de lettres chez George et du challenge nordique chez Marjorie.

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Fanny, Marius, César, de Pagnol

L’été est l’occasion de se (re)plonger dans l’œuvre de Marcel Pagnol : même si vous ne partez pas, -ou du moins pas dans le sud-, la magie opère rapidement et avec un peu d’imagination, vous entendrez les cigales et l’accent provençal. Pour se rappeler cette ambiance, rien de tel que de commencer par les films et notamment les deux premiers volets de la trilogie marseillaise, « Marius » et « Fanny« , revisités par Daniel Auteuil. Ce sont ces deux films qui m’ont donné envie de relire Pagnol dont je ne connaissais surtout les romans, notamment « Jean de Florette » et « Manon des sources », ainsi que les œuvres autobiographiques, « Le temps des amours », et « Le temps des secrets ».

Marius pagnol J’ai donc choisi de commencer par le théâtre de Pagnol, et après « Topaze », j’ai lu avec un grand plaisir la Trilogie marseillaise, « Marius », « Fanny » et « César ». Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire, je n’en dévoilerai que quelques éléments : nous sommes à Marseille sur le Vieux Port. César, patron du bar de la Marine, est aidé par son fils Marius, âgé de vingt-deux ans. Parmi leurs clients, les plus fidèles sont Panisse, maitre-voilier du Vieux Port, la cinquantaine élégante et aisée, Escartefigue, du même âge, capitaine du ferry-boat qui traverse quotidiennement le Vieux Port et M. Brun, jeune vérificateur des douanes originaire de Lyon, ainsi que Piqueoiseau, un mendiant. Les personnages féminins sont Honorine, belle marchande de poisson de quarante-cinq ans et sa fille, Fanny, dix-huit ans, qui tient un étal de coquillages tout proche du bar de la Marine.

Marius et Fanny se connaissent depuis leur enfance et leur amitié s’est transformée en un amour que Fanny cherche à faire éclater au grand jour. En effet, Marius ne donne pas libre cours à ce sentiment, car il rêve de partir à bord d’un grand voilier pour découvrir les îles sous le vent et d’autres destinations lointaines. Il attend en secret qu’une place se libère sur le voilier « La Malaisie », et se tient prêt à embarquer dès qu’on viendra le chercher.

Fanny décide quant à elle de provoquer le destin et attise la jalousie de Marius en acceptant de rencontrer Maître Panisse, riche veuf qui la courtise et voudrait l’épouser. Face au danger, Marius cède et renonce à l’appel du grand large, en tombant finalement dans les bras de Fanny. César et Honorine ne se doutent d’abord de rien, puis Honorine découvre, en rentrant plus tôt que prévu d’une visite chez sa sœur, Fanny et Marius endormis ensemble. Les parents se mettent aussitôt d’accord pour marier les deux amoureux …

Le deuxième volet, « Fanny » reprend l’histoire exactement où Pagnol l’avait laissée dans « Marius ». Dans « César », troisième partie, l’action se déroule vingt ans plus tard. Pagnol a écrit ce dernier volet directement pour le cinéma, avant d’en adapter le scénario pour le théâtre. Malheureusement, on attend toujours la version cinématographique moderne de Daniel Auteuil de ce troisième opus. Le faible succès des deux premiers volets a dissuadé les producteurs de le suivre, ce que je trouve vraiment dommage, car certains jeunes ont aimé Marius et Fanny et ne sont pas prêts à découvrir la suite dans la version cinématographique originale en noir et blanc beaucoup trop datée.

Fanny et Marius

 

Reste donc le texte qui est un vrai régal. Certes, j’avais encore dans les oreilles l’accent marseillais qui ne m’a pas quitté pendant cette lecture, me donnant l’impression bizarre que je lisais « avé l’accent ». Mais le vrai plaisir est à puiser dans le texte de Pagnol, parfois si drôle, parfois très tendre. J’ai vraiment ri à plusieurs reprises. Un excellent moment de lecture, à conseiller à tous !

 

Fanny

 

César pagnol

 

 

Marius, de Marcel Pagnol, pièce en quatre actes, Editions de Fallois, collection de poche Fortunio, n°7, Paris, 2004.

Fanny, de Marcel Pagnol, pièce en trois actes et quatre tableaux, Editions de Fallois, collection de poche Fortunio, n°8, Paris, 2004.

César, film réalisé en 1936, Marcel Pagnol, Editions de Fallois, collection de poche Fortunio, n°9, Paris, 2004.

 

Topaze, de Marcel Pagnol, une pièce à l’ironie mordante !

Topaze PagnolJe profite de l’été pour revenir sur quelques classiques qui sentent bon la Provence et le soleil. Pagnol est de ceux-ci et j’ai choisi de relire -et de revoir- en particulier quelques pièces de théâtre de cet auteur qui m’a à nouveau enthousiasmée.

Topaze est une comédie en quatre actes de Marcel Pagnol, qui a été représentée pour la première fois à Paris, au Théâtre des variétés en 1928. Le premier acte se déroule dans une salle de classe du pensionnat où Topaze est professeur. C’est une classe à l’ancienne, décorée de cartes de géographie et de maximes illustrant le cours de morale. Topaze est à l’image des lieux, avec ses vêtements usés et misérables, tout comme le matériel de classe qui traîne dans un coin. Le seul élève présent n’échappe pas à cette description (« son cou d’oiseau mal nourri ») et il est, le pauvre, en train de subir la dictée de Topaze.

Amoureux de l’orthographe malgré lui, dit-il, Topaze veut rendre service à sa collègue, Mademoiselle Ernestine, qui est aussi la fille du directeur, en corrigeant les devoirs de ses élèves. Ernestine, jeune enseignante futée sinon courageuse, a si bien manœuvré qu’elle amène Topaze à la supplier de lui laisser ce travail, après avoir révélé indirectement ce qu’il ressentait pour elle.

Le directeur arrive, d’excellente humeur en raison de l’arrivée d’un nouvel élève, et annonce à Topaze que l’inspecteur d’académie lui décerne « moralement » les Palmes académiques dont Topaze rêve depuis longtemps. Méprisant et moqueur, M. Muche ajoute : « moralement, c’est peut-être encore plus beau ». Topaze ne se démonte pas. Mais suite à son refus de mettre une bonne note à un élève qui ne la méritait pas, et dont les riches parents faisaient pression sur le pensionnat, le professeur trop zélé est renvoyé par M. Muche, et se voit obligé de rechercher des leçons particulières.

C’est ainsi qu’il se retrouve chez Mme Suzy Courtois, mère d’un élève à qui il doit donner des leçons. Le début du deuxième acte met en scène Mme Courtois et le conseiller municipal, Castel-Bénac , dont elle est la maîtresse. Pagnol nous dévoile les activités malhonnêtes, avec Roger de Berville, prête-nom qui n’hésite pas à se servir de sa prétendue probité pour souligner l’intérêt qu’il y a à traiter avec lui. Les deux amants complices ne se privent d’ailleurs pas de lui faire la morale, quelques instants après avoir passé en revue leurs propres malversations !

Alors que Castel-Bénac et sa maîtresse se plaignent de la perte des valeurs, et principalement de l’honnêteté, ainsi que du fait qu’ils ne trouvent personne pour participer à leurs « activités », Suzy Courtois pense à Topaze qui, lui semble-t-il, est amoureux d’elle. Il lui sera donc facile de le manipuler, d’autant que Topaze vient de perdre sa place à la pension Muche.

Le conseiller et sa maîtresse ont donc recours à la flatterie pour essayer de décider Topaze à les aider, en remplaçant le prête-nom qui leur a fait défaut. Mais suite à une conversation avec ce dernier, Topaze découvre la vraie nature des activités de Castel-Bénac. Suzy Courtois s’empresse alors de lui mentir pour faire pression sur lui.

Acte 3, nous sommes dans un bureau moderne. Topaze, désormais associé avec Castel-Bénac, est devenu directeur de l’agence. Il a entretemps découvert que Suzy Courtois se moquait de lui, mais il est pris au piège, car complice… Il se sent d’ailleurs surveillé par la police et il prend peur suite à la parution d’un article dans le quotidien bien-nommé « La conscience publique ». Peu après, la police arrive, mais … ce n’est pas pour Topaze. Puis c’est le tour du « vénérable vieillard », venu faire chanter Topaze qui, une fois encore , a bien du mal à comprendre ce que l’on attend de lui. Arrive enfin M. Muche, le directeur de la pension qui, impressionné par le succès de son ancien professeur, a décidé de lui offrir la présidence de la distribution des prix. M. Muche est aussi venu accorder la main de sa fille à Topaze qui ne demandait plus rien, mais qui est devenu un bon parti. Et qui, finalement, oublie ce qui lui restait de probité, après avoir reçu, -honneur suprême pour lui-, les palmes académiques, en cadeau d’adieu de Castel-Bénac.

« Jusqu’ici j’ignorais absolument bien des choses que j’entrevois… la vie n’est peut-être pas ce que je croyais. C’est peut-être vous qui avez raison après tout… ».

Dans l’acte 4, Topaze savoure enfin sa vengeance, en prenant les deux complices à leur propre piège. Il s’empare de l’agence dont il est devenu directeur, le bail étant à son nom, et décide de travailler à son compte en ne laissant qu’une petite commission à Castel-Bénac. La dispute éclate alors entre ce dernier et sa complice, Suzy Courtois. Topaze a décidemment beaucoup appris…

Cette pièce de Marcel Pagnol est une comédie pleine d’humour, un humour parfois grinçant qui n’hésite pas à souligner le cynisme dans lequel tout homme est prêt à basculer, dès qu’un profit conséquent est en vue. Ainsi, Monsieur Muche, considère l’élève qui lui rapportera beaucoup d’argent comme « un sujet d’élite ». De la même façon, le conseiller municipal s’émeut du sort des malheureux balayeurs. Tout le comique vient ici de la façon dont Marcel Pagnol joue sur les mots, notamment « probité et honnêteté », auxquels les protagonistes ne prêtent pas tous la même signification. Topaze se trouve au milieu de ce petit monde qui transige beaucoup avec la morale et dont il apparait isolé, de par une naïveté et une honnêteté qui confinent parfois au ridicule. Il découvre tout un monde dont il ignorait l’existence et les codes, et qui ne fonctionne que tendu vers un objectif accepté par tous ceux qui y prennent part : profiter de l’occasion et s’enrichir le plus possible.

Outre la corruption et le cynisme d’une classe politique locale, Marcel Pagnol dénonce également le respect que l’on éprouve parfois face à ceux qui ont gagné de l’argent, sans même se demander quelles méthodes ils ont utilisées pour y parvenir. Au passage, et même s’il a dédié Topaze à son maître d’école, «en signe de reconnaissance et de respectueuse affection », il égratigne également les enseignants, à la fois victimes et complices indirects. Une excellente lecture, pleine de bons mots, à l’ironie parfois percutante !

Topaze

« Pourtant l’argent ne fait pas le bonheur !

Suzy

« Non, mais il l’achète à ceux qui le font ! »

 

Topaze, Marcel Pagnol, Editions de Fallois, Collection Fortunio, Paris, 2004, 241 p.

 

 

 

La comtesse des digues, Marie Gevers

La contesse des diguesSuzanne, jeune flamande francophone, est élevée par son père dans le Weert, au pays de l’Escaut. Depuis plus de cinq ans, elle a pris l’habitude de seconder puis de remplacer son père malade, dans sa tâche de « dyckgraef », ou « comte des digues » : un travail qui consiste en une surveillance étroite des digues, afin d’empêcher toute incursion de la mer dans les polders. Suzanne s’en acquitte avec assiduité et même amour, elle qui affectionne tant les longues promenades dans la nature dont elle observe les changements avec une attention teintée d’admiration.

Le roman s’ouvre sur la mort du père de Suzanne. La jeune fille se retrouve seule, propriétaire de fermes, de schorres et d’oseraies, et elle envisage finalement de se marier car c’est la seule opportunité qui s’offre alors à une jeune bourgeoise. Parmi les prétendants, Monne le Brasseur représente un choix raisonnable pour Suzanne. Mais le cœur de la jeune fille penche pour le beau Triphon, avec qui elle s’entend à merveille. Triphon était le vannier de son père, mais, comme le lui fait remarquer sa tante, Triphon ne mangeait pas à la table de son père, mais dans la cuisine. La différence de statut social est marquée et Suzanne hésite, puis se laisse convaincre par les conventions. Il y a aussi Max Larix, venu de la ville pour prendre possession d’un schorre, terrain irrigué et protégé par des digues, qu’on lui a légué. Max aime, lui aussi, les longues promenades dans la nature.

Suzanne, qui se considère avant tout comme la petite fiancée de l’Escaut, est pourtant à la recherche de l’amour, le vrai : elle craint qu’on ne l’aime pour ses biens, peur que lui a transmise sa grand-mère qui pointait les intentions cachées au sein de toute action. Suzanne voudrait laisser libre cours à sa volonté, mais elle n’y arrive pas toujours et elle ne voit pas clair en elle. Son indépendance d’esprit marque toutefois l’opposition naissante aux générations précédentes qui privilégiaient les mariages d’intérêt.

Suzanne finit par tremper sa main dans « l’eau qui ne gèle jamais », coutume locale qui promet aux filles un mariage dans l’année. Et c’est en effet au terme d’une année que Suzanne trouve sa voie, aussi bien dans le domaine des sentiments qu’en ce qui concerne son destin professionnel, elle qui est la plus apte à protéger les digues des assauts de la mer. Deviendra-t-elle « Comtesse des digues » ? Le beau Triphon rentrera-t-il d’Angleterre pour épouser Suzanne ? Pourquoi Max Larix l’émeut-elle tant ?

Marie Gevers nous livre, pour ce premier roman écrit en 1929, un beau récit qui suit le cycle des saisons et s’inscrit ainsi dans le cycle de la vie. On sait que l’auteure a été éduquée à la maison : on lui dictait quotidiennement un passage des « Aventures de Télémaque », de Fénelon, élément autobiographique que l’on retrouve dans « La comtesse des digues ». Marie Gevers tire également ses connaissances de l’observation de la nature et de la botanique, plus précisément au sein du domaine de Missembourg qu’elle évoque dans le très beau « Vie et mort d’un étang ».

« La comtesse des digues » est un roman moderne, voire intemporel, par les thèmes qu’il évoque, la nature, les différences sociales, la naissance et la reconnaissance de l’amour. Marie Gevers parvient à capter notre attention en évoquant la magie des paysages qu’elle aime, le travail de l’osier, l’atmosphère humide du fleuve et des polders. Elle maintient également le suspense quant au choix de Suzanne, à l’amour que lui portent peut-être Triphon et Max. En ce sens, Je recommanderai donc plutôt « La comtesse des digues » que « Vie et mort d’un étang » que j’ai découvert l’année dernière au cours du mois belge 2015 et que j’avais pourtant beaucoup apprécié malgré les longues pages consacrées à l’étang et à la vie qui s’y déroule. Marie Gevers est, de toute façon, une auteure classique incontournable !

 

 

La comtesse des digues, Marie Gevers, éditions Labor, collection Espace Nord, Bruxelles, 2004, 170 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois belge d’Anne et Mina, vendredi 8 avril, lecture d’un classique.

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« Ô mon George, ma belle maîtresse… »

 

o mon George ma belle maitresseC’est en ces termes qu’Alfred de Musset s’adressait à George Sand dans l’une des lettres qu’il lui envoya en 1834, au cours d’une relation brève et mouvementée, mais qui compta beaucoup et laissa des traces dans la vie, comme dans l’écriture des deux amants.

George Sand et Alfred de Musset se rencontrent en 1833, alors qu’ils sont âgés respectivement de vingt-neuf et vingt-trois ans. Ils ne se quittent plus et, comme l’écrit Martine Reid dans sa préface à la correspondance des deux amants, « ensemble, ils écrivent, se lisent leurs textes, s’inspirent mutuellement ». Après quelques mois, ils partent pour Venise, où ils sont, chacun leur tour, malades. Ils sont aussi infidèles. Alfred de Musset quitte Venise seul en mars 1834 et c’est alors que débute vraiment l’échange épistolaire entre les deux écrivains, si l’on excepte quelques lettres de 1833 et début 1834.

La correspondance rassemblée dans ce petit recueil évoque essentiellement les sentiments amoureux et les différents aspects qu’ils revêtent au fil des jours : tour à tour amour passion, amour fraternel, et même amour filial, amitié amoureuse et amitié profonde. La jalousie de Musset, bien que rarement exprimée dans ses lettres, est toujours sous-jacente. Par ailleurs, l’ensemble donne à voir des sentiments exacerbés, tout particulièrement de la part de Musset qui était alors très jeune.

L’attachement pourtant profond de George Sand ne résistera pas à la jalousie de Musset. George Sand se défendra de se jeter totalement dans cette liaison orageuse et finalement impossible à vivre, préférant l’amour, plus équilibré, que lui porte Pietro Pagello, jeune médecin italien rencontré à Venise.

De très belles pages romantiques qui nous replongent avec délice dans un autre temps !

 

Ô mon George, ma belle maîtresse, Alfred de Musset, George Sand, Folio n°5127, Gallimard, Paris, 2010, 143 p.

 

Lu dans le cadre du mois Venise du challenge Il viaggio chez Eimelle, du challenge vénitien, et du challenge un classique par mois chez Stephie.

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Challenge un classique par mois

Le printemps romain de Mrs Stone, Tennessee Williams

Le printemps romain de Mrs Stone

Pour ma dernière participation au mois américain de Titine, j’ai choisi de relire un court roman classique de Tennessee Williams. Auteur connu pour ses pièces de théâtre, « Un tramway nommé désir » et « La chatte sur un toit brulant », Tennessee Williams fut aussi romancier. C’est en 1950 qu’il publie « Le printemps romain de Mrs stone », excellent roman psychologique qui met en scène une ancienne actrice américaine encore très belle, qui s’interroge sur son passé et sa carrière d’actrice, mais aussi son avenir, dans cette Rome mondaine où elle s’est installée après la mort de son mari.

Riche héritière, elle traîne son ennui entre ses nouveaux amis italiens, quelques expatriés américains qu’elle rencontre de temps à autres, et enfin, le beau Paolo qu’elle a rencontré grâce à la Contessa, une aristocrate italienne qui arrondit ses fins de mois en présentant à de riches héritières comme Mrs Stone, de jeunes gigolos italiens sans le sou. L’amour est-il possible entre ces deux personnages que tout oppose ?

Tennessee Williams décrit à merveille le désir de cette femme vieillissante qui part « à la dérive » et l’immoralité de relations fondées sur l’argent, où personne ne trouve son compte finalement. « Le printemps romain de Mrs Stone » ne durera qu’une saison, avant de l’entraîner vers l’inexorable hiver de l’amour qu’elle redoutait tant.

 

Le printemps romain de Mrs Stone, Tennessee Williams, traduit de l’américain par Jacques et Jean Tournier, Editions 10/18, Paris, 1985, 176 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois américain chez Titine et du Challenge Un classique par mois chez Stephie.

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Challenge un classique par mois

Vie et mort d’un étang, de Marie Gevers

vie et mort d'un étangPour terminer ce mois belge en beauté, j’ai choisi un classique de la littérature francophone de Belgique que l’on doit à Marie Gevers, « Vie et mort d’un étang ».

Marie Gevers est née en 1883 près d’Anvers et a vécu toute son enfance dans le domaine de Missembourg où la grande maison familiale se niche dans un beau jardin agrémenté d’un étang. Elle ne quitte ce domaine que pour suivre le catéchisme à l’école, car c’est sa mère qui lui enseigne le français, l’histoire et la géographie, tandis qu’un instituteur vient lui donner des cours de mathématiques. Marie se passionne très tôt pour la lecture. Elle écrit des vers et se dédie véritablement à l’écriture après son mariage. De cette enfance au sein d’une famille nombreuse –elle est la dernière après cinq garçons-, Marie Gevers garde un souvenir radieux qu’elle évoque dans ce court roman qui, comme son nom l’indique, est centré sur la pièce d’eau familière qu’elle décrit au rythme des saisons.

De cette nature, Marie Gevers observe tout finement : les plantes, les animaux qui peuplent l’étang, les phénomènes météorologiques, les odeurs de la terre et de la nature. Elle guette l’algue responsable de la peste des eaux et la feuillaison des frênes, poursuit le grillon qui s’introduit dans la cuisine, admire les vers luisants et le reflet des ondes mouvantes que l’eau dessine sur le plafond de la cuisine.

L’eau est partout, au centre de tout. Personnage principal de ce roman, l’étang a accompagné toute l’enfance de Marie Gevers qui nous le présente dans tous ses aspects changeants, cet étang qui fut le compagnon de ces années de bonheur familial. Ce qui est étonnant dans ce roman est que je ne me suis jamais ennuyée, alors que je suis loin d’être passionnée de botanique, et que mon intérêt pour la nature se limite finalement à l’admiration de beaux paysages et de quelques animaux auxquels je suis sensible. Marie Gevers parvient à conférer aux plaisirs simples une dimension poétique incroyable qui nous ramène à l’essentiel.

« Mais la plus délicieuse de ces petites amphibies végétales est la menthe. Elle offre des trésors de parfum à qui la froisse… O menthe, la fraîche et l’amère, la vivifiante et la vite fanée ! C’est elle qui devait un jour me révéler l’accomplissement de ma destinée féminine, car un matin que je pêchais le gardon, les pieds dans les touffes aromatiques, l’odeur de la menthe m’atteignit soudain jusqu’au cœur. Je compris alors, à mon trouble même, qu’une semence humaine avait pris racine en moi… »

On retrouve la même poésie dans la deuxième partie du livre, pourtant très différente : « La cave » est un journal des sombres journées qu’a passées Marie, bien des années plus tard, en 1944, cachée avec les siens dans la cave de la grande maison familiale. Une expérience douloureuse, amplifiée par la peur de la mort qu’elle surmonte en faisant appel à ses souvenirs et en organisant ses journées autour de tâches très simples qui lui apportent la sérénité.

« Je crois au contraire que l’immense beauté de cette nuit d’avril m’offre un secours. Je regarde le dernier quartier de la lune avec un vague sourire : « je lui ressemble, me disais-je, ma vie est aux trois-quarts finie, mais cela n’empêche pas les rossignols de chanter »… Ils chantent, ils chantent pendant que, rentrée dans ma cave, je m’endors, et que par le hublot ouvert, le parfum de la nuit pénètre avec leurs clameurs ».

Une très belle lecture donc, fondée sur des souvenirs d’harmonie et de sérénité familiale, que Marie Gevers nous communique grâce à une écriture d’une grande sensibilité.

 

Vie et mort d’un étang, Marie Gevers, Editions Luc Pire, collection Espaces Nord, Bruxelles, 2009, 281 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois belge d’Anne et Mina

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Senso, de Camillo Boito

 

sensoCamillo Boito est né en 1836 à Rome et mort en 1914 à Milan. Architecte et écrivain, il n’a écrit que quelques nouvelles, ainsi que des essais concernant les arts et la restauration du patrimoine. Son frère, Arrigo Boito, fut une des figures de proue de la “Scapigliatura” milanaise, courant qui s’oppose à la culture officielle et se tourne vers l’expression de la folie, du macabre, et du morbide. Nous sommes au début du processus d’unification italienne, entre 1860 et 1888, à la transition entre le romantisme, le vérisme et le décadentisme. Ces auteurs rêvent à un accord parfait entre les trois arts qu’ils affectionnent, poésie, musique et peinture.

Camillo Boito n’est connu que pour sa nouvelle « Senso », court récit qui a été adapté au cinéma par Luchino Visconti en 1954. En un peu moins de soixante pages, la Comtesse Livia confie à son « carnet secret » une aventure vécue seize ans auparavant, alors qu’elle n’avait que vingt-trois ans et était mariée depuis peu à un vieux et digne représentant de la noblesse tyrolienne, mariage qu’elle avait cyniquement choisi, pour des motifs peu louables et  contre l’avis de sa famille.

Le récit commence à Venise où la belle Livia promène sa vanité et parade au milieu d’une cour d’officiers et de fonctionnaires, parmi lesquels elle remarque le beau Remigio. Celui-ci n’hésite pas à séduire la Comtesse, en pénétrant dans la « sirène » -large vasque entourée de parois de bois- dans laquelle elle se baigne nue le matin. Ainsi commence une liaison en apparence follement romantique, mais qui devient très vite pour la jeune femme inexpérimentée un piège sordide dont elle se vengera avec une cruauté ne souffrant aucun remord !

« Senso » est une magnifique nouvelle où le romantisme et le cynisme atteignent des sommets. L’écriture est précise et concise, et excelle à placer le lecteur à plusieurs reprises au centre d’un tableau vénitien dont il imagine sans peine les couleurs, les ombres et les reflets de l’eau omniprésente. La scène dans laquelle Remigio apparaît dans l’eau de la « sirène » est d’une grande beauté, à l’opposé de ce que deviendront les sentiments des amants quelques mois plus tard…

Senso, carnet secret de la Comtesse Livia, Camillo Boito, traduit de l’italien par Jacques Parsi, Actes Sud, Babel, Paris, 1994, 61p.

 

Lecture faite dans le cadre du challenge Il Viaggio, du challenge Italie 2015, du Challenge vénitien et du challenge Un classique par mois.

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