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Dans les brumes de Capelans, Olivier Norek

Pour son huitième polar, Olivier Norek renoue avec le personnage de Victor Coste dont la nouvelle mission est classée « secret défense ». Et c’est sur l’île de Saint-Pierre-et-Miquelon, à des milliers de kilomètres de la Métropole, que Coste est chargé d’accueillir des témoins protégés, dans une résidence surveillée qui est une véritable forteresse. Mais alors que le policier reçoit habituellement des repentis ou des « balances », soit « les pires ordures de la criminalité organisée », la nouvelle protégée de Coste est une jeune fille qui a été victime pendant dix ans d’un prédateur de la pire espèce.

La mission de Coste est de faire parler Anna afin de retrouver son ravisseur ainsi que d’autres victimes qui se trouvent en danger de mort. Bénéficiant de critiques dithyrambiques, le roman de Norek ne pas déçue comme c’est souvent le cas lorsqu’un livre est encensé. Addictif, détaillé et précis -c’est un ancien flic qui écrit-, le roman nous plonge dans l’atmosphère bien particulière d’un petit bout de France lointain, envahi par des brumes opaques pendant trois semaines du début de l’été. Les héros, antihéros par excellence, ont des profils psychologiques difficiles à décrypter et le premier rebondissement m’a vraiment surprise. Un excellent polar !

Dans les brumes de Capelans, Olivier Norek, éditions Michel Lafon, avril 2022, 429 p.

Toutes les vagues de l’océan, Victor del Arbol

Quand Gonzalo Gil apprend le suicide de sa soeur Laura, il ne ressent pas plus d’émotion que s’il s’agissait de la mort d’une inconnue. Sa mère non plus, de même que Luis, l’ex-mari de Laura, une indifférence qui n’est pas commune. Quant à la police, dont Laura faisait partie, elle classe rapidement l’affaire, prenant le suicide de Laura comme une preuve de sa culpabilité : un certain Zinoviev, meurtrier de Roberto, le fils de Laura, a en effet été tué après avoir été longuement torturé. Quel meilleur mobile que l’enlèvement et l’assassinat froid et cruel d’un enfant de six ans, dont le corps flotte à plat ventre, donnant ainsi le ton ce que vont être les presque sept cents pages suivantes ?

Nous passons de Barcelone en 2002 à Moscou en 1933. Elias Gil arrive en URSS pour parfaire ses connaissances d’ingénieur. Ce jeune communiste espagnol a obtenu une bourse et il est accompagné d’étudiants internationaux qui sont dans le même cas que lui. Leur enthousiasme idéaliste face à la grandeur soviétique va aussitôt se heurter aux méthodes staliniennes : les jeunes hommes se retrouvent dans un train de déportés en route vers la Sibérie orientale et vers un destin cruel sur l’île de Nazino.

Qui est vraiment Elias Gil ? Quel rapport a-t-il avec la mort de Laura et de son fils ? Qu’est devenue Anna, la fille d’Irina, qu’Elias s’était juré de protéger ? Peu à peu, les éléments du puzzle s’imbriquent et nous révèlent de sombres secrets familiaux qui s’inscrivent dans les heures plus plus noires de l’histoire européenne du XX ème siècle.

Victor del Arbol nous promène ainsi avec talent de l’URSS de Staline à la guerre civile espagnole. Il nous dévoile les dessous d’un régime qui a cédé à la folie d’un dirigeant, en pourchassant ses ennemis jusque parmi ses plus fidèles défenseurs, puis qui s’est fourvoyé dans le pacte germano-soviétique. Il nous emmène ensuite dans les excès tout aussi criminels de l’Espagne franquiste, nous montrant les abjections auxquelles peut conduire la nature humaine quand elle érige une frontière trop mince entre le bien et le mal et bascule avec une facilité déconcertante du mauvais côté, mais aussi quand elle est acculée face à la menace. La lancinante question se pose à chaque fois qu’une situation historique extrême est évoquée : qu’aurions-nous fait à leur place ?

Et puis il y a la Barcelone des années 2000 en proie à des corruptions en tous genres, centre des trafics les plus odieux et des mafias les plus violentes, comme la Matriochka à laquelle Zinoviev obéissait peut-être… Avec de réelles surprises quant à ceux qui tirent les ficelles. Enfin, il y a ces personnages que l’on aime puis que l’on déteste, et dont on ne sait plus finalement qui ils sont : quel brio dans la manipulation, dans les retournements de situations, dans les rebondissements !

« Toutes les vagues de l’océan » est un pavé de 680 pages difficile à lâcher. L’auteur fait preuve d’une réelle virtuosité dans la construction du roman, dans la qualité de l’évocation historique, la richesse de l’intrigue ainsi que le soin apporté à l’écriture. Je n’ai qu’un regret : l’avoir terminé et ne pas pouvoir prolonger ma lecture !

Coup de coeur 2021 !

« Toutes les vagues de l’océan », Victor del Arbol, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, Babel Noir n° 169, janvier 2017, 680 p.

Lu dans le cadre du challenge Pavé de l’été chez Brizes, du challenge polars et thrillers chez Sharon et du challenge Objectif Pal chez Antigone.

Les somnambules, Gilda Piersanti

 

   J’ai découvert Gilda Piersanti avec « Roma enigma » et « Vengeances romaines » qui font partie d’une série intitulée « Les saisons meurtrières ». L’attrait principal de cette série d’enquêtes, si l’on excepte l’intrigue et les deux policières, tenait pour moi à la façon dont l’auteure évoquait différents aspects politiques et sociaux de la société italienne contemporaine. Et c’est ce que j’ai retrouvé dans « Les somnambules », polar « unique » puisqu’il ne fait pas partie d’une série.

   « Les somnambules », ce sont notamment -car on peut voir une autre signification à ce titre- les trois protagonistes principaux de ce roman : Dario, Massimo et Gabriele, trois hommes occupant une place de choix dans la société : Gabriele est médecin, Massimo a créé une entreprise très prospère, et Dario est Ministre de l’Intérieur ! Tous les trois sont amis depuis longtemps, mais à des degrés divers, car l’intérêt est à la base de leurs relations dictées par Dario qui, sans conteste, mène la danse.  Adolescents, ils évoluaient dans le même milieu et se retrouvaient chaque année au bord de la mer où leur famille avait une résidence secondaire. Et c’est là qu’est survenu un événement dramatique qui a marqué leur vie à tout jamais et dont ils étaient responsables. Un crime resté impuni, qu’ils ont enfoui dans leurs souvenirs et qu’ils pensaient bien, vingt-cinq ans plus tard, ne jamais voir ressurgir.

   Je ne vous dévoile rien de plus que ce que la quatrième de couverture révèle au lecteur et, même si j’ai regretté au début de ma lecture de savoir que ce crime impuni était central dans le roman, je me suis vite rendu compte que je l’aurais deviné très rapidement et que cela ne gênait en rien le suspense mis en place par l’auteure. En effet, l’essentiel du roman repose sur la fuite en avant qui va mener les trois hommes et leur famille respective dans un engrenage irréversible. Le suspense est maintenu jusqu’aux dernières pages et l’on suit avec plaisir et horreur les protagonistes dans une descente aux enfers autour des manipulations les plus noires et cyniques. Il y a aussi quelques personnages féminins intéressants, comme Flora, Alice et surtout Valentina, dont le rôle s’avère décisif.  

   Gilda Piersanti, franco-italienne qui vit à Paris et écrit en français depuis longtemps, est une fine observatrice de la société italienne dont elle évoque les excès. Ici, on navigue dans des milieux aisés romains où la réussite sociale est primordiale. L’auteure est également scénariste et cela se sent dans ses polars qui sont assez visuels et comportent un bon nombre de dialogues et de rebondissements qui nous embarquent pour plusieurs heures de lecture. Enfin, j’ai particulièrement apprécié les analyses psychologiques assez fouillées qui permettent de donner beaucoup d’épaisseur aux personnages et d’évoquer des questions comme le pouvoir et la relation d’emprise psychologique. « Les somnambules », comme les autres romans de Gilda Piersanti, est donc un polar intéressant à plus d’un titre !

 

Les somnambules, Gilda Piersanti, éditions Le Passage, collection Ligne noire, mars 2021, 320 pages.

 

Participation au challenge Polars et thrillers 2020-21 chez Sharon.

Masse critique Babelio

Les protégés de Sainte Kinga, Marc Voltenauer

Après avoir voyagé en Suède avec « L’aigle de sang », j’ai pris beaucoup de plaisir à retrouver l’inspecteur Auer en Suisse, évoluant entre son bureau de Lausanne et ses magnifiques montagnes de Gryon. Car c’est quand même de ce cadre qu’il tire une partie de sa spécificité. Et puis, la Suède, c’est bien mais, après la vague des polars nordiques qui déferlent depuis des années, j’avais un peu envie d’autre chose. Et justement, cette fois, c’est dans la vallée du Rhône, entre Monthey et Martigny, que se déroule l’action et plus précisément dans les mines de sel de Bex.  

L’inspecteur Auer est en effet appelé en urgence suite à une prise d’otage qui se déroule dans ces mines toujours en activité et exploitées également par le tourisme local pour leur intérêt historique. L’affaire est sérieuse et parmi les otages se trouvent les élèves d’une classe de la région en visite pédagogique. L’homme qui les retient est déguisé en Charlot et il faudra pas mal de temps à l’équipe de l’inspecteur Auer pour l’identifier.  

Parallèlement à cette affaire, l’auteur opère quelques retours en arrière sur les traces d’Aaron Salzberg, un jeune homme qui en 1826 a quitté la Pologne pour venir travailler dans les mines de sel de Bex. Son exil tournera à la tragédie et comme vous vous en doutez, aura un rapport avec la délicate prise d’otages en cours.  

Ce quatrième volet des enquêtes de l’inspecteur Auer nous offre presque 550 pages d’un suspense parfaitement mené, dans un cadre original et passionnant. Outre l’intrigue, qui nous conduit aussi sur les traces d’un mouvement politique extrémiste et multiplie habilement les péripéties, nous assistons à une véritable enquête historique qu’a menée l’auteur sur ce patrimoine unique : il y a là un énorme travail de recherche qui est adroitement intégré au roman, pour notre plus grand intérêt.  Une lecture prenante, passionnante et qui ajoute à l’intérêt historique des questions bien actuelles.

Avec « Les protégés de Sainte Kinga », Marc Voltenauer confirme, s’il en était besoin, son talent et s’installe désormais parmi les grands noms du polar suisse, voire européen. A noter la sortie en poche du tome précédent, « L’aigle de sang ».

Les protégés de Sainte Kinga, Marc Voltenauer, Editions Slatkine et Cie, 2020, 542 p.

la tentation du pardon, Donna Leon

Le commissaire Brunetti reçoit une collègue de sa femme qui s’inquiète pour son fils adolescent et espère de Brunetti qu’il puisse enquêter aux abords du lycée et mettre un frein au trafic de drogue qui, d’après les rumeurs, semble y sévir. Quelques jours après, le père du jeune homme est retrouvé en pleine nuit, gravement blessé au pied d’un pont. Brunetti ne croit pas aux coïncidences et commence son enquête…

J’ai été un peu déçue par ce roman : Donna Leon s’essoufflerait-elle ? Il y a une assez grande inertie dans ce nouvel épisode ; on sait que les enquêtes de Brunetti sont lentes et que l’intrigue n’est pas ce qui attire principalement les lecteurs assidus, mais cette fois, je me suis un peu ennuyée. Bien sûr, les ingrédients qui font le charme des enquêtes du commissaire Brunetti sont toujours présents, notamment la ville de Venise qui est le véritable personnage principal des romans de Donna Leon. Mais la critique de problèmes sociaux ou politiques, ou la mise en avant de questions d’actualité comme les dérives du tourisme de masse, font ici place à la dénonciation d’une une escroquerie certes intelligente, mais banale pour le lecteur.

Il est vrai qu’au 27 ème tome, il peut devenir difficile de se renouveler. Le fait que le volume précédent ait été un excellent opus joue sans doute également. Si vous êtes un inconditionnel de Donna Leon, vous lirez sans doute « La tentation du pardon », surtout depuis qu’il est sorti en format de poche. Sinon, je vous conseille plutôt l’excellent « Les disparus de la lagune », son précédent ouvrage. Je ne sais pas si Donna Leon poursuit son œuvre : peut-être le prochain épisode se déroulera-t-il dans une Venise désertée par les touristes ? On suivra bien sûr, quand même …

La tentation du pardon, Donna Leon, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gabriella Zimmermann, Editions Points, collection Policiers, 312  p.

 

Lu dans le cadre du challenge polars et thrillers chez Sharon.

Dégels, Julia Phillips

 

Pour cette première lecture du mois américain, j’ai choisi un roman qui se déroule en Russie, et plus précisément au Kamtchatka, cette péninsule lointaine et mystérieuse de l’Extrême-Orient russe qui n’est pas très souvent évoqué dans la fiction. C’est la couverture qui m’a attirée, ainsi que la quatrième de couverture qui fait référence à « la lignée de Laura Kasischke et d’Alice Munro, où l’émotion se mêle au suspense ».

Sophia et Alyona sont sœurs. Elles vivent à Pétropavlosk, une ville du sud de la péninsule du Kamtchatka. Nous sommes en août et les deux petites filles se promènent au bord de l’eau le long de la baie, tandis que leur maman travaille. Elles sont pourtant prévenues des dangers, mais lorsqu’un inconnu, blessé à la cheville, leur demande de l’aide, elle ne se méfient pas. Elles ne réapparaîtront plus et malgré les appels à l’aide de leur mère, la police ne fait qu’une enquête rapide, avant de conclure à une probable noyade.

Dans une autre famille, c’est une jeune fille de dix-huit ans qui a disparu, il y a déjà quelques années. Lilia n’était pas considérée comme une fille sérieuse et les rumeurs sur son compte ont sans doute contribué à écourter l’enquête : elle serait partie vers la ville, peut-être Moscou, en tout cas vers un avenir meilleur, ce que tout le monde feint de croire pour se rassurer.

Douze mois de l’année et douze chapitres qui explorent la vie quotidienne de familles banales, de femmes qui gravitent autour de ces deux familles et qui vivent, chacune à leur façon, ces disparitions : voici un premier roman d’une jeune auteure américaine qui, passionnée par la Russie, a reçu une bourse pour aller passer un an dans cette terre du bout du monde, et qui nous fait découvrir la vie de ces habitants de l’ancienne Union Soviétique, oubliés du miracle économique et qui cherchent à préserver leur identité, leurs spécificités culturelles.

Dans ce roman au suspense diffus mais toujours présent, ce n’est pas l’intrigue qui compte mais la façon dont les femmes vivent ces disparitions. L’auteure explore la douleur des mères des enfants disparus, insistant sur le rôle de l’entourage et même le mal qu’il peut faire inconsciemment, en voulant simplement aider. Et autour d’elles, c’est toute une région qui souffre, s’interroge et n’ose plus laisser ses enfants libres alors que rode peut-être un tueur…

 

Dégels, Julia Phillips, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, J’ai lu n°12810, juillet 2020, 379 p.

 

 

Participation au mois américain chez Martine et au challenge polars et thrillers chez Sharon.

 

 

Bleu calypso, Charles Aubert, finaliste du Prix Nouvelles Voix du Polar 2020.

 

Niels est fabricant de leurres pour la pêche et le « bleu calypso » est son dernier-né. Fruit d’une longue expérience dans la pêche, sculpté à la main à partir d’une petite pièce de cèdre, le « bleu calypso » est une vraie réussite pour pêcher le loup, un poisson que Niels s’empresse de remettre à l’eau car sa passion est la pêche, seulement la pêche, à la différence du Vieux Bob, son voisin, excellent pêcheur lui aussi mais également fin cuisinier ; les deux hommes partagent parfois un délicieux « dos de loup rôti au beurre d’agrumes », mais plus souvent ils prennent ensemble une bonne bière, tout en échangeant de rares paroles. Vieux Bob n’est pas bavard.

Niels vit de la vente des leurres qu’il fabrique. Il a peu de besoins depuis qu’il s’est installé dans cette cabane au bord de l’étang, près du canal du Rhône à Sète. Il préfère profiter de la vie plutôt que de mener celle qui emprisonne la plupart de ses concitoyens. Sa routine quotidienne est toutefois bouleversée lorsqu’il découvre un cadavre dont le visage affleure dans l’étang. Elle l’est encore davantage lorsqu’il voit débarquer Lizzie, une journaliste hyperactive, qui est en réalité la fille du Vieux Bob. Parce qu’il avait une fille, celui-là ?

Niels se rend bien compte qu’il vit retranché du monde. D’ailleurs, il ne sait même pas qu’un premier cadavre a été découvert quelques jours avant sur un chemin des environs. Très vite, les gendarmes locaux arrivent, dirigés par le capitaine Malkovitch, de la section de recherches de Montpellier. L’enquête démarre et Niels, sans alibi, se retrouve aussitôt suspect.

Premier roman de Charles Aubert, « Bleu calypso » est très réussi. Dès le premier chapitre, j’ai été « ferrée », et pourtant ce n’était pas gagné puisque celui-ci évoque les leurres et la pêche. Mais l’auteur sait très bien happer notre attention et finalement, certains paragraphes consacrés à des techniques de pêche se sont révélés très intéressants, tout comme la façon dont l’auteur plante ses personnages qui m’ont intriguée d’entrée de jeu.

S’il m’a passionnée en ce qui concerne l’enquête, c’est l’atmosphère, la psychologie des personnages et l’écriture qui sont les points forts de « Bleu calypso ». J’ai particulièrement apprécié la description des éléments et certaines métaphores inattendues qui permettent à l’auteur de se forger un style bien à lui. Il y a également beaucoup d’humanité dans ce polar qui évite les détails sanguinolents pour se concentrer sur la psychologie des protagonistes et dans lequel, de temps en temps, l’auteur donne discrètement son avis sur notre monde, son organisation et ce qui pourrait aller mieux : il y a des éléments autobiographiques dans « Bleu calypso », Charles Aubert, comme son personnage, ayant abandonné un travail bien rémunéré dans une grande ville pour se consacrer à une activité manuelle, dans une maison située au bord de l’eau…

J’ai donc dévoré ce roman d’une traite, tout en ralentissant afin de savourer certains passages très beaux, notamment lorsqu’un orage déverse des quantités d’eau sur l’étang et la mer. Je me suis promis de me procurer rapidement le deuxième roman de Charles Auber, « Rouge tango », tout en espérant que l’auteur reçoive le prix Nouvelles Voix du polar dans sa catégorie !

 

Coup de cœur 2020 !

 

Bleu calypso, Charles Aubert, Pocket n° 17724, décembre 2019, 331 p.

1793, Niklas Natt Och Dag, finaliste du Prix Nouvelles Voix du Polar 2020.

 

Dépaysement total avec ce roman policier historique qui nous transporte dans la Suède de la fin du 18 ème siècle. Si le pays reçoit des nouvelles des « Lumières » qui progressent en France, de ses excès et frayeurs, il se trouve quant à lui dans l’obscurité la plus totale : les bas quartiers de Stockholm vivent dans le dénuement, la violence, la vermine et connaissent même l’esclavage au sein des filatures. Bourgeois et nobles viennent ajouter la corruption à ce tableau peu reluisant et toutes les classes sociales se retrouvent unies dans une passion pour l’alcool qui corrompt les raisonnements et abrège les vies.

Mickel Cardell est un « boudin ». Il a servi dans l’artillerie durant la guerre de Russie du roi Gustav. Au cours d’une bataille, il a perdu son bras, ce qui lui a sauvé la vie et fait perdre son innocence, après qu’il eût compris pour quel homme il se battait. C’est Cardell que quelques enfants viennent chercher pour repêcher un cadavre flottant dans les eaux putrides du lac de Fatburen. Une fois ce travail accompli, Cardell appelle la garde nationale et Cécil Winge arrive sur les lieux. Cet homme de loi, encore jeune mais atteint de tuberculose, est épuisé. Bien que sa santé l’abandonne, il se laisse convaincre par le chef de la police de mener l’enquête lorsqu’il apprend que les sévices qui marquent le cadavre ont été pratiqués du vivant de celui-ci, à plusieurs mois d’écart. Winge sait qu’il ne peut enquêter seul et il parvient à convaincre Cardell de faire équipe avec lui dans cette enquête qui mènera ces deux hommes peu assortis des bas-fonds de Stockholm aux palais de l’aristocratie.

« 1793 » est un polar passionnant, extrêmement bien documenté et très bien écrit, qui arrive à nous faire ressentir l’atmosphère de la capitale suédoise pendant cette période dominée par la violence et l’horreur. Sa construction en trois parties qui d’abord remontent le temps, nous permet de comprendre peu à peu les relations entre les protagonistes de l’affaire. Le polar se termine sur une quatrième partie qui voit le dénouement de l’enquête.

« 1793 » se trouve en concurrence avec « Sur le toit de l’enfer » d’Ilaria Tuti pour le Prix Nouvelles Voix du Polar 2020 dans la catégorie « Polar étranger ». Les deux romans sont excellents tous les deux, mais très différents, et mon choix sera dicté clairement, en ce qui me concerne, par une simple question de goût.

 

1793, Niklas Natt Och Dag, traduit du suédois par Rémi Cassaigne, Pocket n° 17372, mars 2020, 521 p.

 

 

 

Sur le toit de l’enfer, Ilaria Tuti, finaliste du Prix Nouvelles Voix du polar 2020.

Voici ma deuxième chronique dans le cadre du prix Nouvelles Voix du polar des éditions Pocket. Il s’agit cette fois du premier des deux romans finalistes que j’ai lus dans la catégorie « Polar étranger ». Encore une fois, le niveau est élevé !

 

Dans une vallée sauvage et sombre des montagnes du nord de l’Italie, aux confins de l’Autriche, là où les hommes ont gardé l’habitude de l’isolement et le goût du secret, un crime odieux vient d’être commis dans les bois. Un cadavre sans yeux, nu, est découvert par un randonneur. Il est aussitôt identifié, puisqu’il s’agit d’un habitant du village qui avait disparu depuis deux jours.

C’est la commissaire Battaglia qui fait les premières constatations et démarre l’enquête. A ses côtés, Massimo Marini, jeune inspecteur qui arrive de la ville, soucieux de bien faire mais attentif à ne pas se laisser marcher sur les pieds. C’est par son regard que nous faisons connaissance avec sa chef, Teresa Battaglia, profiler d’une soixantaine d’années qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne l’accueille pas aimablement…

En effet, Teresa ne s’embarrasse pas de conventions. Ce qui compte est l’efficacité et elle utilise son expérience et sa mémoire des anciennes affaires pour se faire une idée du profil psychologique de l’assassin ; ou plutôt de celui que l’on recherche et qu’elle considère comme une victime également car, pour elle, il faut avoir subi beaucoup pour en arriver à de telles extrémités. En tout cas, ce dont Teresa Battaglia est sûre, c’est que celui qui a commis le crime recommencera. Il faut donc le retrouver au plus vite afin d’éviter de nouvelles victimes.

L’enquête s’annonce difficile, par le caractère des gens de la montagne qui aident peu les enquêteurs et par le fait que le meurtrier n’a pas recours au même mode opératoire lors de ses différents crimes. Mais Teresa Battaglia ne s’en laisse pas compter. Elle se bat farouchement d’autant qu’elle a affaire à un nouvel ennemi, puisqu’elle est victime de plus en plus souvent de pertes de mémoires et de courts moments pendant lesquels elle se sent désorientée. Autant d’éléments qui lui font penser à une maladie qui s’installe, ce qui serait un drame pour elle qui ne vit que pour son métier.

Avec ce premier polar, Ilaria Tuti a déjà inscrit son nom parmi les maîtres du polar italien. Le succès est bien mérité. L’atmosphère de ce village de bout de vallée est très bien rendue -il ressemble à celui dont l’auteure est originaire-. Et j’ai beaucoup aimé le personnage de Battaglia qui, sous ses airs bourrus, est en fait une femme sensible et humaine qui cherche à comprendre l’assassin et progresse ainsi rapidement dans son enquête. Avec en toile de fond, la problématique du syndrome de privation affective sur les nouveaux-nés. Une question d’actualité, qui m’a fait frémir quand j’ai pensé à un article lu en mai dernier, relatif à des nouveaux-nés issus de la GPA qui attendaient leurs futurs parents dans des berceaux bien alignés d’un hôtel ukrainien, soignés mais sans aucun amour, et bloqués là par les effets du confinement…

Bref, j’aime quand un polar fait référence à une question d’actualité ou à un fait historique, quand l’horreur du crime s’explique d’une façon ou d’un autre et nous ouvre les yeux sur une problématique. Très bonne lecture donc. Je lirai avec plaisir le second volet des enquêtes de Teresa Battaglia qui est déjà sorti.

 

Sur le toit de l’enfer, Ilaria Tuti, traduit de l’italien par Johan-Frédérik Hel Guedj, Editions Pocket n°17644, janvier 2020, 430 p.

 

 

L’empathie, d’Antoine Renand, finaliste du Prix Nouvelles Voix du polar 2020.

 

Comme je vous le disais hier, je participe au jury du prix Nouvelles Voix du polar des éditions Pocket. Voici mon avis sur le premier des deux romans finalistes que j’ai lus dans la catégorie « Polar français » :

 

Une jeune infirmière de vingt-huit ans, Déborah Joubert, se retrouve au 2ème district de police judiciaire, la « Brigade du viol », après avoir été sauvagement agressée dans l’ascenseur de son immeuble par un individu portant un casque de moto. Marion Mesny, et son collègue Anthony Rauch, surnommé La Poire, écoutent attentivement la jeune femme avant de se lancer dans une enquête urgente, convaincus d’avoir affaire à un violeur en série qui ne tardera pas à recommencer.

Si les deux enquêteurs sont des spécialistes dans ce domaine, ils se trouvent aussi face à un ennemi de taille : celui qu’ils surnomment « le lézard » a différents modes opératoires, mais la plupart du temps, il pénètre dans les appartements parisiens, quel que soit l’étage, en escaladant les façades les plus lisses. Redoutablement puissant et intelligent, Alpha -c’est cette fois le nom que lui-même s’est donné- est la haine incarnée et il ne recule devant rien pour assouvir ses pulsions. Marion et Anthony vont l’apprendre à leurs dépens. Mais les deux enquêteurs ne sont pas n’importe qui et en plus, ils entretiennent une relation amicale forte et atypique… Impossible d’en dire plus sans risquer de dévoiler des éléments essentiels !

« L’empathie » est un polar très efficace, véritable page-turner qui menace votre sommeil -et pas seulement parce que vous n’arriverez pas à le lâcher. La construction permet de s’intéresser à chacun des personnages en particulier, avec beaucoup de psychologie, et d’explorer son passé et les secrets qu’ils recèle, même si cela occasionne quelques répétitions. A cette nuance près, c’est donc remarquable pour un premier roman.

Pour le reste, il y a des viols et des sévices sexuels en tous genres, accompagnés de descriptions violentes et crues. Beaucoup trop pour moi en tout cas, ce qui a fini par me dégoûter. J’ai trouvé cela vraiment dommage car le polar aurait pu être aussi prenant et bien ficelé si les scènes avaient été davantage suggérées que racontées froidement comme dans un rapport policier. Âmes sensibles donc, s’abstenir, et pour les autres, dont je fais pourtant partie, il vaut mieux être prévenue !

Ah, j’oubliais le titre, il est bien trouvé, car si l’empathie tarde à arriver, il y en a quand même dans cet univers glauque et « noirissime », histoire de souffler un peu de temps en temps…

 

L’empathie, Antoine Renand, Pocket n°17640, février 2020, 489 p.