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La femme de Gilles, Madeleine Bourdouxhe

Pour ce nouveau mois belge, dont je vous invite à parcourir régulièrement le récapitulatif sur le Blog d’Anne « Des mots et des notes », j’ai choisi de commencer par un classique, « La femme de Gilles ». Paru en 1937, chez Gallimard, ce roman a fait la renommée de son auteur, Madeleine Bourdouxhe (1906-1996), écrivain belge peu prolifique mais de grande qualité.

Elisa aime passionnément Gilles et chaque minute de sa journée lui est consacrée, qu’il s’agisse du ménage comme de l’entretien du jardin, de la préparation des repas ou des soins apportées à leurs petites jumelles. Elisa se trouve figée dans « un vertige de tendresse » et dans l’attente de l’être aimé. Son corps est « anéanti de douceur, fondu de langueur ».

Le roman se déroule dans le quartier ouvrier d’une petite ville belge. Gilles travaille dans les hauts-fourneaux, comme une grande partie des habitants, tandis qu’Elisa s’occupe du foyer et des enfants. L’amour qui les unit est fort, sensuel et partagé. Le couple goûte également un bonheur familial tendre et paisible. Elisa est heureuse, entièrement occupée par son amour. Aussi, lorsque son mari rentre accompagné de sa belle-soeur, Victorine, Elisa les incite à aller au cinéma ensemble. Fatiguée par une deuxième grossesse, Elisa est heureuse que Gilles ait une occasion de se distraire avec sa jeune soeur.

Découvrant peu après que Gilles aime Victorine, Elisa est terrassée par la douleur. Elle ne montre rien pourtant, elle cherche à s’habituer à cette idée et préfère penser à l’avenir. Femme amoureuse et réfléchie, elle décide de la conduite à tenir.

« Quoi qu’il arrivât, quoi qu’il fût arrivé, il ne fallait pas faire d’éclat. Seulement veiller, et n’agir qu’en de petits actes subtils, et garder intact cet amour autour de lui, et auquel il reviendrait : elle l’aimait, on n’échappe pas à un tel amour… »

Elisa est fière, déterminée, optimiste, forte de tout l’amour engrangé jusqu’alors, mais elle est aussi naïve jusqu’à la candeur. Gilles est quant à lui follement amoureux de Victorine, mais la belle est inconstante et l’amour de Gilles ne sera plus que douleur… Quelle voie choisira alors Elisa pour regagner l’amour de Gilles ?

Madeleine Bourdouxhe nous propose une belle écriture, pure, simple et pudique, tendre et pleine d’émotions, tout comme l’héroïne du roman. Cette limpidité cache des sentiments bien plus complexes et s’il est bien question d’amour pur et de jalousie, « La femme de Gilles » est loin de se limiter à cela. Tout l’art de l’auteur est ici de nous emmener en une centaine de pages du bonheur à la tragédie, dans un rythme parfait, au gré d’une histoire simple, presque banale, mais dont le traitement et la profondeur sont remarquables.

« La femme de Gilles » est aussi le roman d’une époque, celle de la première moitié du XX ème siècle mais il est intemporel et peut être transposé dans le présent. L’héroïne n’est pas une femme soumise ; éprise d’absolu, elle s’oublie mais n’est jamais dominée par son mari. Le roman n’est donc pas seulement la dénonciation du sacrifice d’Elisa mais il s’attache aussi à disséquer l’amour, ses multiples facettes et les conséquences tragiques qu’il peut avoir sur nos vies. D’une grande richesse, « La femme de Gilles » se prête à plusieurs lectures et interprétations. C’est un classique de la littérature belge francophone, à ne pas manquer. Voilà qui commence bien ce mois belge !

Coup de cœur 2021 !

La femme de Gilles, Madeleine Bourdouxhe, Labor, collection Espaces Nord, 2005 / ou chez Actes Sud, Babel, 2010.

Participation au mois belge d’Anne et au challenge Objectif Pal chez Antigone.