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La mer ne baigne pas Naples, Anna Maria Ortese

C’est un recueil de nouvelles et de reportages, paru en 1953 en Italie puis pour la première fois en France en 1993. Il vient d’être réédité en 2020 chez Gallimard, dans une édition augmentée de deux textes inédits servant de préface et de postface, pour notre plus grand intérêt car Anna Maria Ortese figure parmi les principales représentantes de la littérature italienne du XXème siècle.

la mer ne baigne pas naples

L’ouvrage réunit donc deux nouvelles de facture classique, suivies de trois textes proches du reportage mais à la valeur littéraire incontestable. L’ensemble témoigne en effet d’une grande puissance d’évocation, d’abord qualifiée de néo-réaliste, mais la préface et la postface ajoutées à l’édition de 2020 donne un nouvel éclairage à ces textes, révélant une auteure bouleversée par le réel au point de ne pas le supporter.

Certes, le pessimisme et la noirceur sont bien présents dans cet ouvrage et la première nouvelle donne le ton : « Une paire de lunettes » nous présente une fillette presque aveugle qui vit dans un typique « basso », rez-de-chaussée étriqué et sombre des quartiers pauvres de Naples. L’enfant chausse ses premières lunettes, offertes par une tante qui insiste lourdement sur le prix indécent que cela lui coûte, et elle découvre enfin le monde qui l’entoure : elle se met aussitôt à pleurer…

« La ville involontaire » ressort plutôt du reportage et décrit les « Granili », un édifice de 300 mètres de long, qui abrite toute la misère humaine. Ce n’est pas seulement « ce que l’on peut appeler un relogement provisoire de sans-abri, mais bien plutôt la démonstration, en termes clinique et juridique, de la déchéance d’une race », celle qui tolère un tel quartier où survivent les « larves d’une vie dans laquelle existaient le vent et le soleil » et qui ne « conservent de ces biens qu’un vague souvenir ». Le lecteur a vite compris que « la mer ne baigne pas Naples », de la même façon que « le Christ s’est arrêté à Eboli ».

Anna Maria Ortese va plus loin dans le dernier reportage qui est particulièrement intéressant : « Le silence de la raison » évoque les intellectuels napolitains que Ortese rencontre dans les beaux quartiers de Chiaia. Elle livre une description critique de leurs rapports, dénonce l’hypocrisie de ces progressistes, remet en question leur engagement révolutionnaire. Ce texte est à l’origine de la polémique sur le recueil, d’autant que les vrais noms des auteurs concernés sont conservés : on y croise entre autres, Luigi Compagnone, Raffaele La Capria, Vasco Pratolini, des écrivains qui avaient participé, avec Anna Maria Ortese, à la revue « Sud » entre 1945 et 1947.

L’écriture de Anna Maria Ortese est en effet sans concession. Elle est précise et ciselée, voire méticuleuse quand il s’agit par exemple des Granili. Elle est également parfois « exaltée », « fébrile » et presque hallucinée, comme l’auteure la qualifie elle-même dans la nouvelle préface. D’ailleurs, elle y insiste sur l’écriture : « peu de gens parviennent à comprendre comment l’écriture renferme la seule clé de lecture d’un texte, et la trace de son éventuelle vérité ». Et elle nous donne d’importantes clés : … « je me demande si La mer était vraiment un livre « contre Naples ». Je me demande où je me suis trompée, si je me suis trompée en l’écrivant et de quelle façon il faudrait aujourd’hui le lire. » Je vous laisse découvrir la suite. A vous de juger.

Coup de cœur 2021

La mer ne baigne pas Naples, Anna Maria Ortese, traduit de l’italien par Louis Bonalumi, Gallimard, Paris, juin 2020, 193 p.

La farce, Domenico Starnone

Après l’excellent « Les liens », je retrouve avec joie Domenico Starnone dont le talent ne se dément pas même si ce nouveau roman est moins percutant que le précédent. Pour autant, il « résonne » en moi depuis plusieurs jours et sollicite sans cesse ma réflexion vers de nouvelles interprétations. Voilà ce que j’appelle de la littérature et Domenico Starnone est, à mon avis, l’un des plus grands écrivains italiens contemporains.

la farce domenico starnone


« La farce » est à prendre au sens propre, mais je ne vous la raconterai pas bien sûr, tandis que métaphoriquement, elle sous-tend tout le roman.  La trame est simple : le narrateur, Daniele, est appelé au secours par sa fille Betta pour venir chez elle à Naples s’occuper de son fils Mario car elle doit se rendre avec son mari à un colloque de mathématiques en Sardaigne. Daniele hésite parce qu’il a une commande pour illustrer une nouvelle de Henry James et parce que rester seul avec un enfant de quatre ans pendant quelques jour lui paraît au-dessus de ses forces. A soixante-dix ans, il se remet difficilement d’une opération, mais conscient de son peu d’empressement en tant que père et grand-père, il accepte et se rend à Naples.

On l’imagine bien, ces quelques jours ne seront pas de tout repos pour Daniele. C’est un homme distrait, envers les autres notamment et même dans l’amour qu’il porte à sa fille, il l’admet lui-même. Daniele a été un artiste ambitieux, dont le travail a compté, mais il commence à s’interroger sur l’opportunité d’arrêter de dessiner. A ces questions existentielles, s’ajoute le fait qu’il déteste Naples, tout comme l’appartement de Betta qui n’est autre que celui dans lequel il a été élevé. Un endroit pour lui plein de fantômes, comme la nouvelle d’Henry James, « The jolly corner », sur laquelle il doit travailler et qui évoque un homme qui « retourne dans une vieille maison qu’il possède à New York et y retrouve un fantôme, le fantôme de celui qu’il aurait été s’il n’était pas devenu homme d’affaires ».

Daniele se rend compte qu’il s’est attribué à tort « la capacité de faire ce qui n’avait jamais été fait ». Les promesses de son enfance se sont engluées dans l’âge adulte et dans la concurrence avec d’autres artistes plus compétents que lui. Il est donc proche de ce petit Mario à qui ses parents font croire, en s’extasiant devant son intelligence, que le monde sera un jour à ses pieds. L’enfant est en effet brillant mais il s’abreuve des compliments qu’il reçoit ; il est en outre un petit génie domestique, capable de presque tout faire dans la maison, mais il est également capricieux, parfois incontrôlable et ne pense qu’à jouer, comme tout enfant de son âge, ce que Daniele, tout à son travail, a tendance à oublier. Il s’en mordra les doigts d’ailleurs…

« La farce » souligne l’importance des souvenirs qui hantent nos vies. C’est une satire de la vieillesse et de l’enfance qui pointe leurs points communs : elles connaissent les deux extrêmes de l’ambition, sa naissance et les espoirs qu’elle procure, et la désillusion amère dans laquelle elle s’évanouit. Les thèmes que Domenico Starnone met en avant sont nombreux et l’on retrouve ceux qui sont chers à Elena Ferrante, comme la dualité de la ville de Naples et celle du dialecte napolitain. L’auteur est soupçonné « d’être » Elena Ferrante et je dois dire que quelques pages m’ont laissée bouche bée, tant j’ai cru entendre la voix d’Elena Ferrante. Ainsi, l’imposture sociale chère à l’écrivaine napolitaine est un des éléments du malaise ressenti par le grand-père.

L’événement central du roman, la farce, amène Daniele à se découvrir « sans qualités et vide » : il constate amèrement que les compliments de l’enfance n’ont pas tenu leurs promesses et que son petit-fils devra affronter les mêmes désillusions. Le roman se termine par un « appendice » qui est un journal illustré -par Dario Maglionico- reprenant les principaux moments du séjour à Naples de Daniele et il apporte plusieurs clés de lecture, notamment dans le parallèle qu’il établit avec la nouvelle d’Henry James.


« La farce » est un duel entre un grand-père et son petit-fils qui se lit d’une traite et qui se prolonge par de nombreuses réflexions, sur l’art aussi notamment, et sur tant d’autre sujets que je n’ai pas pu évoquer ici. Divertissant et enrichissant !

La farce, Domenico Starnone, traduit de l’italien par Dominique Vittoz, Fayard, avril 2021, 229 p.

« Les liens » est désormais disponible en poche

les liens poche

Voyage au royaume de Naples, Dominique Vivant Denon

Peu avant mon voyage à Naples, et pour changer des nombreux guides que j’ai consultés, je me suis plongée dans un ouvrage écrit en 1778 par Dominique Vivant Denon. Né en 1747, ce dernier est connu pour avoir été le premier directeur du Musée du Louvre. Il fut aussi graveur, diplomate et écrivain. Il est l’auteur, entre autres, de récits de voyages en Italie ainsi qu’en Egypte. Il connaissait bien Naples où il avait passé plusieurs années en tant que secrétaire d’ambassade.

Après une rapide évocation des premiers jours de son « Voyage au royaume de Naples », de Marseille en Toscane, d’abord en bateau puis à pied, l’auteur nous invite à visiter la grande cité parthénopéenne de l’époque. La rue de Tolède, grande artère commerçante actuelle, est alors le lieu de résidence de la noblesse. En arrivant sur le port, nous découvrons le Castel dell’Ovo. La rade de Naples nous est présentée comme le plus grand port de l’univers. Il y a aussi à Naples « la plus belle chartreuse de l’univers ».

On note la « grande affluence », la « vivacité », les « embarras » car, « de toutes les villes de l’univers, Naples est celle où il y a le plus de voitures ». L’auteur critique le ridicule des obélisques, mais aussi le but incertain que poursuivent les voyageurs. Il souligne la paresse des napolitains et la jalousie qui les anime, mais il évoque aussi la légèreté et la gaieté qui les caractérisent. Il nous parle des crèches napolitaines, nous décrit le culte des morts. 

Enfin, Dominique Vivant Denon nous emmène à la découverte des environs de Naples, au pied du Vésuve, à Pompéi, Herculanum, puis dans les îles, et notamment sur l’île de Caprée -l’actuelle Capri-, et dans les mystérieux Champs Phlégréens.  Il dit de Caserta : « Je trouvai ce lieu fort triste ». Il termine son itinéraire en descendant de Naples à Reggio de Calabre, en passant par la Pouille, puis il se rend en Sicile, avant de rentrer en bateau à Naples.  Voilà un ouvrage passionnant, riche en références à l’antiquité romaine et aux auteurs latins, qui nous fait voyager dans l’espace et dans le temps.

 

Voyage au royaume de Naples, Dominique Vivant Denon, Préface de Pierre Rosenberg, Editions Perrin, 1997, 309 p.

 

Participation au challenge objectif Pal chez Antigone.

La vie mensongère des adultes, Elena Ferrante

 

Le nouveau roman d’Elena Ferrante était très attendu en Italie et, quand il est sorti en novembre 2019, il a donné lieu à de longues files dans les librairies. La première page avait été divulguée quelques semaines auparavant et l’incipit très fort suscitait la curiosité des lecteurs :

« Deux ans avant de quitter la maison, mon père dit à ma mère que j’étais très laide. La phrase fut prononcée dans un murmure, dans l’appartement que mes parents avaient acheté au Rione Alto, sur les hauteurs de San Giacomo dei Capri, juste après leur mariage. Tout — la ville de Naples, la lumière bleue d’un mois de février glacial, ces mots — s’est figé. Moi, en revanche, je me suis enfuie et je fuis encore à travers ces lignes qui sont censées être mon histoire mais qui en réalité ne sont rien, ne m’appartiennent pas, ne sont ni un début, ni une fin, juste un enchevêtrement dont personne, pas même l’auteur de ces lignes, ne sait s’il contient la trame d’un récit ou s’il ne s’agit seulement que d’une douleur désordonnée et sans rédemption. »

 

L’héroïne du roman, Giovanna, est une adolescente qui vit dans une famille intellectuelle installée sur les hauteurs du Vomero, un quartier résidentiel de Naples.  Elle découvre que son père a une sœur, Vittoria, dont il refuse de parler et qui vit dans les quartiers populaires de Naples dont il est originaire. Giovanna veut connaître sa tante, comprendre pourquoi son père l’a comparé à elle au détour d’une conversation qu’elle a surprise, comprendre aussi pourquoi il lui a caché son existence pendant toute son enfance.

C’est ainsi qu’à l’aube de l’adolescence, Giovanna découvre les mensonges continuels des adultes et plus particulièrement ceux de son père qui vit en permanence dans l’hypocrisie. Le roman raconte le cheminement de la jeune fille confrontée à  un milieu différent du sien et une façon d’être plus spontanée : elle cherche alors à s’affirmer, se construire face à sa famille mais cela passe par une volonté de destruction qui l’amène à se complaire dans une certaine vulgarité.

Au fil de l’histoire, on rencontre un bracelet, objet fétiche qui devient le fil rouge, le témoin que les membres de la famille détiennent tour à tour et qui est chargé de significations. Les personnages sont des intellectuels de la classe moyenne et des hommes et femmes des classes populaires qui parlent en dialecte napolitain. Les deux mondes, haut et bas de la ville, vivent côte à côte mais pas ensemble, et Giovanna qui refuse cela, devient le trait d’union entre eux.

Le nouveau roman d’Elena Ferrante ne met pas le doigt sur des questions politiques et sociales comme le faisait la saga de « L’amie prodigieuse » si ce n’est en pointant du doigt les intellectuels italiens de gauche et leurs travers. Mais avant tout, c’est un roman d’initiation qui explore les liens familiaux, leur poids, la difficulté des relations homme-femme surtout à l’adolescence et au début de l’âge adulte. Et puis, comme dans « L’amie prodigieuse », on retrouve une héroïne qui tente de concilier les deux faces de son identité.

On retrouve également la personnification de la ville de Naples qui s’incarne dans les menteurs de la ville haute, élégants et cultivés et dans ceux de la ville basse qui se revendiquent d’instincts triviaux et ringards. Un roman intéressant, mais qui m’a un peu laissée sur ma faim : il m’a semblé que la fin du roman appelait indéniablement une suite. Alors, retrouverons-nous Giovanna dans un second tome ? Le roman prendrait alors tout son sens, mais là aussi, l’auteure laisse planer le mystère…

 

La vie mensongère des adultes, Elena Ferrante, traduit de l’italien par Elsa Damien, Gallimard, sortie prévue le 9 juin 2020, 416 p.

 

Ainsi s’achève le mois italien chez Martine.

 

L’été du commissaire Ricciardi, Maurizio De Giovanni.

 

Le roman de Maurizio De Giovanni a plus que rempli sa mission : me transporter à Naples, loin de notre quotidien un peu angoissant. Pourtant, la situation n’est pas non plus des meilleures en ce début des années trente dans la grande ville parthénopéenne : la chaleur est étouffante, le peuple vaque difficilement à ses occupations pour pouvoir manger, le fascisme s’installe peu à peu.

Le commissaire Ricciardi voit toujours des « choses » : son don malheureux lui impose en effet de voir les morts assassinés ou décédés d’une mort violente, au moment de leur passage de vie à trépas. Et c’est le cas de la Duchesse de Camprino que l’on vient de retrouver dans son palais napolitain, la tête percée d’une balle silencieuse mais fatale. Personne n’a rien entendu, d’une part parce qu’un coussin maintenu contre le visage de la victime a atténué le bruit de la détonation, mais aussi parce qu’une grande fête populaire battait son plein dans le quartier.

L’enquête s’oriente aussitôt vers Capece, un journaliste connu qui était l’amant de la Duchesse : celle-ci vivait en effet de façon indépendante, sans se préoccuper de son époux, le vieux Duc de Camprino, malade et alité depuis longtemps. Ricciardi se met aussitôt au travail, aidé du brigadier Maione qui, fâché contre sa femme, entame un régime, se privant ainsi des plats délicieux de celle-ci.

Ricciardi a quant à lui la surprise de rencontrer la très belle Livia Lucani qui lui annonce qu’elle vient passer de longues vacances à Naples, dans le seul but de faire plus ample connaissance avec lui. Mais le commissaire reste attiré par la douce Enrica Colombo qu’il continue à contempler chaque soir par la fenêtre. Jusqu’à ce qu’il se rende compte que la famille Colombo reçoit un jeune homme qui se comporte comme un prétendant…

Tome après tome -il s’agit ici du troisième-, la série des enquêtes du commissaire Ricciardi est la certitude d’une lecture agréable et prenante et d’un voyage dépaysant à Naples dans une période historique troublée. Outre l’enquête en elle-même, les interrogations du commissaire Ricciardi sur sa vie sentimentale prennent ici de l’importance : il ira jusqu’à remettre en question la décision qu’il avait prise de ne pas imposer à une femme la malédiction dont il est l’objet. Il y a enfin l’aspect historique avec la montée du fascisme que l’on sent plus présent que dans les tomes précédents. La recette de Maurizio de Giovanni fait donc appel à de multiples ingrédients, une intrigue policière, des éléments historiques et sociaux, un peu de fantastique, de l’humour, des sentiments, le tout servi par un style fluide et une construction dynamique. Mes prochains achats, sans aucun doute, seront « L’automne du commissaire Ricciardi » et « L’hiver du commissaire Ricciardi ». C’est donc par une excellente lecture que je début le mois italien !

 

L’été du commissaire Ricciardi, Maurizio De Giovanni, traduit de l’italien par Odile Rousseau, Rivages/Noir, 2014, 405 p.   

 

Lu dans le cadre du Mois italien chez Martine, du challenge Polars et thrillers chez Sharon, du challenge Objectif Pal chez Antigone.

 

 

 

Dictionnaire insolite de Naples, Maria Franchini

 

Naples est une ville que l’on adore ou que l’on déteste : les sentiments que l’on éprouve à son égard sont à son image, ils ne supportent pas la demi-mesure. La ville est en effet tout à la fois superbe, sale, d’une infinie richesse culturelle, bruyante, animée, polluée, baignée par une baie magnifique, striée de rues sordides, desservie par un métro qui est une œuvre d’art et qui brille de propreté, caractérisée par une gastronomie délicieuse et un peuple gai, vif, accueillant et tant d’autres choses encore…

Si comme moi Naples vous passionne, je vous conseille ce « Dictionnaire insolite de Naples » concocté par Maria Franchini. Il regorge d’informations culturelles, historiques, culinaires et d’anecdotes sur la cité parthénopéenne. Vous apprendrez ainsi que la pizza Magherita n’a pas été inventée en l’honneur de la reine Marguerite de Savoie, comme on le dit généralement, mais qu’elle lui a été simplement offerte : la Margherita existait depuis longtemps et tirait son nom de sa forme initiale, en pétales de fleurs. Vous saurez ce que veut dire « faire les Saints-Sépulchres », ce qu’étaient les « jeux isolympiques », pourquoi il y a moins de femmes battues au sud qu’au nord de l’Italie, que « klaxonner » en napolitain se dit « Sunà » qui veut dire « jouer d’un instrument » … ce qui explique beaucoup !

Pour ce qui est du domaine littéraire, j’ai appris que Maria Orsini Natale est l’auteure d’un roman devenu classique qui avait manqué de peu le fameux prix Strega. Il serait passé inaperçu en France, peut-être en raison d’un titre malheureux en français, « La main à la pâte », une anecdote qui m’a tout de suite donné envie de m’intéresser à ce roman napolitain (vous le connaissez ?) que Maria Franchini présente comme « une saga captivante tissée dans un canevas empreint d’humanité et de sensualité. En toile de fond, l’histoire du Sud de 1849 à 1940 ».

Voilà une lecture à la fois divertissante et enrichissante que je vous recommande tout particulièrement, que vous envisagiez un voyage à Naples ou non : ce petit dictionnaire vous fera voyager de toute façon.

Dictionnaire insolite de Naples, Maria Franchini, Cosmopole, Paris, 2015, 158 p.

 

Participation au mois italien chez Martine et au challenge Objectif Pal chez Antigone

Le printemps du commissaire Ricciardi, Maurizio de Giovanni.

 

Une femme âgée que tout le monde aimait pour les bienfaits qu’elle prodiguait est assassinée chez elle. Une jeune femme détestée de tout le voisinage, qui la traite de « putain » pour la seule raison qu’elle vit seule avec son fils et qu’elle est exceptionnellement belle, se fait taillader le visage.

Le commissaire Ricciardi, aidé du brigadier Maione, se lance dans l’enquête et découvre très vite que la vieille femme était en réalité cartomancienne et, accessoirement, usurière. Elle manipulait tout le monde et n’était pas la bonne âme présentée d’abord par la concierge, loin s’en faut. Mais peu importe, la vérité doit être faite et le commissaire Ricciardi s’y attelle avec passion. Quant au brigadier Maione, il porte une attention toute particulière à la belle jeune femme défigurée…

Voilà pour l’intrigue, mais là n’est pas l’intérêt des romans policiers de Maurizio de Giovanni, en tout cas pour ce qui concerne la série consacrée au commissaire Ricciardi, cet homme jeune, beau, profond, qui ne laisse apparaître aucune émotion, et qui a un don particulier : il voit la « Chose » c’est-à-dire la mort, puisqu’il distingue et entend les fantômes qui n’ont pas encore trouvé le repos ; ceux des victimes assassinées. Un zeste de fantastique donc, qui confère au personnage principal une aura énigmatique, sombre et mélancolique.

Mais c’est autre chose qui donne aux enquêtes du commissaire Ricciardi toute leur saveur : l’écriture d’abord, la structure -l’auteur introduit les différents personnages, assez nombreux, en de courts paragraphes qui se succèdent. Et surtout la description des personnages eux-mêmes, jamais stéréotypés et pourtant tellement bien caractérisés qu’on les visualise sans effort. Et puis il y a Naples, dont l’auteur aime à décrire les odeurs, les mouvements de l’air, l’influence de la période -ici le printemps- sur les habitants. Les senteurs florales voisinent ainsi avec des effluves plus répugnants qui s’élèvent des quartiers pauvres de la ville.

On apprend beaucoup sur l’histoire de la ville : que la via Toledo nommée ainsi par les Espagnols fut pour quelques temps rebaptisée via Roma, que le Surrogato était un ersatz de café que les Napolitains buvaient pendant la période fasciste, que Naples comptait plusieurs écrivaines populaires en ce début des années trente…

C’est donc d’une traite que j’ai dévoré « Le printemps du commissaire Ricciardi » et je ne pense pas que j’attendrai le prochain mois italien pour poursuivre la série !

 

Le printemps du commissaire Ricciardi, Maurizio de Giovanni, traduit de l’italien par Odile Rousseau, Editions Rivages/Noir, 2013, 427 p.

 

Participation au mois italien chez Martine, au challenge Objectif Pal chez Antigone et au challenge Polars et thrillers chez Sharon :

L’amour harcelant, Elena Ferrante

 

Amalia, la soixantaine, se noie la nuit de l’anniversaire de sa fille, Délia. On la retrouve avec pour seul vêtement un soutien-gorge, neuf et d’une marque de luxe, alors que ce n’est pas son habitude de porter ce genre de lingerie. La noyade est suspecte : est-elle le fruit d’un accident ou d’un suicide ? Peut-être même d’un meurtre ? Délia commence une enquête méticuleuse qui va l’amener à fouiller dans ses souvenirs d’enfance, sur les traces d’une mère séductrice qui, peut-être, menait une double vie. Se dessine alors un rapport mère-fille très ambigu, à la fois glaçant et passionné, allant de l’empathie ponctuelle à la haine profonde, sur fond de violences familiales.

« L’amour harcelant » démarre comme un roman policier, mais ce n’en n’est pas un. L’ambigüité est partout, dans le genre littéraire, mais aussi dans les personnages, parfois grotesques, toujours surréalistes. Sous l’œil précis de la narratrice, qui ne nous épargne pas les détails obscènes de ce que j’appellerai plutôt son cheminement que son enquête, nous évoluons dans une atmosphère assez sinistre.

Elena Ferrante nous offre des descriptions détaillées de Naples, par exemple du quartier du Vomero, où tout paraît sale et négligé, et donc très éloigné de la réalité. Tout ce qui concerne Naples et le passé de Délia est visiblement douloureux. La figure du père elle-même est sordide. Dans les moments les plus sombres, la narratrice, Délia, recourt au dialecte, ce napolitain qu’elle ne veut pourtant plus parler. L’écriture est très littéraire, rien n’est laissé au hasard, mais elle est aussi très animale car elle fait appel à tous les sens.

Au total, « L’amour harcelant » (à mon sens « l’amour meurtri », comme traduction de « L’amore molesto », aurait été plus évocateur) est un roman cruel, négatif et ambigu, que je n’ai pas aimé. Ceci dit, j’ai été ravie de l’avoir lu, car il m’a aidé à comprendre en profondeur la saga d’Elena Ferrante, « L’amie prodigieuse », qu’elle a écrit vingt ans plus tard. Tous les thèmes de « L’amie prodigieuse » étaient déjà présents dans « L’amour harcelant » :  la peur de l’abandon, le rapport ambivalent à la mère, la sensualité, un certain dégoût pour le dialecte, la ville de Naples. Ils seront développés et présentés de façon plus objective et équilibrée dans la saga qui a rendu célèbre Elena Ferrante dans le monde entier.

L’amour harcelant, Elena Ferrante, traduit de l’italien par Jean-Noël Schifano, Collection Du monde entier, Gallimard, Paris,1995, 192 p.

 

Livre lu dans le cadre du Challenge Il viaggio chez Martine et du Challenge Objectif Pal chez Antigone.

 

Mai, le mois italien.

Nous passons de la Belgique à l’Italie pour participer, comme chaque année, au mois italien organisé par Martine. Certes, je suis un peu en retard cette année, mais pour rien au monde je ne manquerai ce rendez-vous ! J’ai juste un peu trop pris au pied de la lettre l’idée du farniente…
J’étais si bien sur mon yacht. Pas envie de me lever pour rédiger ce billet…
Oui, j’exagère un tout petit peu. Et je ne peux même pas me déculpabiliser en invoquant la chaleur ambiante… Tans pis, j’assume : j’ai préféré lire plutôt que rédiger ce billet (désolée Martine).
Pourtant, le programme que Martine nous propose est alléchant : il ne concerne pas seulement les livres, mais aussi le cinéma, la télévision, la cuisine, les voyages et beaucoup d’autres choses encore… il y en aura donc pour tous les goûts et je compte bien participer, même si je n’ai pas encore vraiment défini quand et comment.  Ce sera donc la surprise, pour vous comme pour moi…
… quand j’aurais quitté ma terrasse fleurie (ben oui, je suis rentrée chez moi : il y avait du vent à Portofino et le yacht tanguait trop…)
Quoi qu’il en soit, voici les rendez-vous que nous propose Martine :

 

 

-Mercredi 2 mai : Jour des enfants : un album ou une BD.
-Jeudi 3 mai : Lancement des « jeuditalie » : lecture libre.
-Samedi 5 mai : A tavola ! Une recette en partage.
-Dimanche 6 mai : Al cinema : un film à nous recommander.
-Mardi 8 mai : La saga « L’Amie prodigieuse » d’Elena Ferrante. Tomes 1, 2, 3 ou 4.
-Du mercredi 9 au lundi 14 mai : Lectures au choix en lien (si possible) avec le Salon International du livre de Turin (où se trouvera Martine) et dont la France est l’invitée d’honneur cette année. D’où la possibilité de présenter des romans écrits par des écrivains français sur l’Italie ou dont l’action est en lien avec l’Italie, ou des romans italiens d’auteurs italiens traduits en français. Et plus particulièrement, nos romans « coup de coeur » !
-Mardi 15 mai : Voyage ! Voyage ! Les plus belles photos souvenirs, anecdotes, lieux de nos voyages en Italie.
-Mercredi 16 mai : Jour des enfants : un album ou une BD.
-Jeudi 17 mai : Jeuditalie : jeudipolar, un roman policier ou thriller.
-Samedi 19 : A tavola : une recette à partager.
-Dimanche 20 mai : Al cinema : un film à nous conseiller.
-Du lundi 21 au dimanche 27 mai : Tour d’horizons des régions en lectures, films, séries TV, théâtre, musique, photos, cuisine…
-Lundi 21 et/ou mardi 22 : Région Nord : Venise, Florence, Milan…
-Mercredi 23 : Région Sud : Naples, la Calabre, les Pouilles…
-Jeudi 24 et/ou vendredi 25 : les îles Sardaigne, Sicile…
-Samedi 26 et dimanche 27 mai : Week-end à Rome.
-Lundi 28 mai : Une bonne nouvelle ou un recueil.
-Mardi 29 mai : Littérature classique (du 15e au 19e).
-Mercredi 30 mai : Jour des enfants : un album ou une BD.
-Jeudi 31 mai : Parce qu’en Italie (comme ailleurs!), tout finit toujours par des chansons : Jeuditalie en musique !
Néanmoins, si aucune chronique n’est (encore) écrite, j’ai pas mal lu ces derniers jours, notamment:
 A Presto !

L’enfant perdue, Elena Ferrante.

C’est aujourd’hui que le quatrième tome de la saga d’Elena Ferrante sort en français chez Gallimard ! Je l’ai lu l’été dernier en italien et je vous livre quelques réflexions nées de ma lecture. Vous pouvez lire cette chronique sans crainte, puisque je ne divulgue absolument rien de l’intrigue !

Pour rappel, Elena et Lila sont deux amies d’enfance, nées en 1944 dans un quartier populaire de Naples. Au début de « L’amie prodigieuse », le premier tome, Lila, âgée de soixante-six ans, a disparu. Nous sommes en 2010 et Elena commence à raconter l’amitié naissante entre les deux petites filles. Elle cherche une explication à la disparition de son amie et poursuit sa narration au cours des trois volumes suivants.

Dans « Le nouveau nom », puis « Celle qui fuit et celle qui reste », Elena parvient, grâce à sa brillante scolarité, à s’extraire de son milieu modeste et à intégrer la prestigieuse école normale de Pise. Elle devient écrivain, vit dans le nord de l’Italie puis épouse Pietro, un universitaire, et s’installe avec lui à Florence, où ils ont deux filles, Dede et Elsa. Quant à Lila, elle abandonne très vite l’école et, après un mariage raté avec Stefano, dont elle a un fils, elle travaille durement dans une fabrique de mortadelle où elle est exploitée, mais arrive à s’en sortir grâce à son caractère combatif. Elle s’installe ensuite avec Enzo et monte avec lui une entreprise informatique florissante et n’hésite pas à refuser de céder à la mafia contre sa protection.

Ce quatrième volume enfin traduit en français sous le titre de « L’enfant perdue » débute dans les années soixante-dix. Elena, qui vient de quitter Pietro, part à Montpellier avec Nino, son grand amour de toujours, pour participer à un colloque universitaire… je ne vous en dévoilerai pas davantage puisque le roman vient de paraître !

 

De ce dernier tome, j’ai retenu une citation qui me paraît emblématique :

« Solo nei romanzi brutti la gente pensa sempre la cosa giusta, dice sempre la cosa giusta, ogni effetto ha la sua causa, ci sono quelli simpatici e quelli antipatici, quelli buoni e quelli cattivi, tutto alla fine ti consola ». (Storia della bambina perduta, p. 429 edizione originale). 

« Ce n’est que dans les mauvais romans que les gens pensent toujours la bonne chose, disent toujours la bonne chose, chaque effet a sa cause, il y a les gentils et les désagréables, les bons et les méchants, tout cela finit par te réconforter ». (L’enfant perdue p.429 édition originale.)

 

Là se trouve la clé de toute la narration. Les personnages évoluent, ils ne sont jamais blancs ni noirs, et le lecteur évolue également au rythme de l’auteur :  avez-vous toujours aimé l’une des deux amies et détesté l’autre ? C’est possible, mais moi non. Au contraire, mes sentiments ont beaucoup évolué au fil de la narration ; c’est en tout cas ce que j’ai ressenti (vous me direz ce que vous en pensez).

Ainsi, Elena, qui me plaisait beaucoup au cours des deux premiers volumes, m’est-elle apparue comme davantage égoïste par la suite. Elle néglige souvent ses enfants, et les fait systématiquement passer après l’amour et après son travail. Inversement, Lila, qui j’avais d’abord perçue comme dure, jalouse, souvent centrée sur elle-même, m’est apparue sous un jour complètement différent dans ce quatrième tome. En réalité, chacune fait de son mieux, et selon les périodes de sa vie, y parvient plus ou moins bien. Le point commun étant qu’elles s’en sortent, sont fortes et indépendantes et que l’auteur ne porte jamais de jugement de valeur sur leurs erreurs.

Ainsi, l’amitié n’est ni décriée, ni sur-valorisée. Elle est centrale, tout simplement :

« Ogni rapporto intenso tra essere umani è pieno di tagliole e se si vuole che duri, bisogna imparare a schivarle ; »

« Chaque relation intense entre êtres humains est pleine de pièges et si vous voulez qu’elle dure, vous devez apprendre à les éviter ; « 

 

Au-delà du récit de l’amitié de Lila et Elena, toute l’histoire de l’Italie contemporaine défile dans ce quatrième tome, de l’enlèvement d’Aldo Moro à la période berlusconienne, en passant par l’opération « mains propres » du début des années quatre-vingt-dix, et par la faillite du communisme et du socialisme italiens. Chacun des personnages se trouve impliqué politiquement, d’une façon ou d’une autre.

On apprend beaucoup aussi sur la culture politique italienne, qui paraît proche de la nôtre mais qui peut être très différente ; c’est le cas du communisme à l’italienne, très différent du communisme français que nous avons connu dans les années soixante-dix et quatre-vingt. En Italie, les communistes étaient alors des intellectuels de haut niveau, engagés pour les travailleurs, mais restant toutefois entre eux :  la famille Airota en est un bon exemple. Ils n’accepteront jamais totalement Elena. Fille du peuple, c’est un peu une « nouvelle intellectuelle », elle ne peut rivaliser, puisqu’elle n’a pas hérité des codes intellectuels de cette classe supérieure d’une façon traditionnelle, c’est-à-dire par transmission directe.

Dans « L’enfant perdue », j’ai aussi beaucoup aimé la passion studieuse de Lila pour Naples, que j’ai vue comme un regret d’Elena pour ce qu’elle n’avait pas fait elle-même. Je me suis demandé longtemps, dans la dernière partie, comment Elena Ferrante allait mettre un terme à son récit. J’étais tellement prise dans l’histoire, habituée à vivre aux côtés des personnages, que j’aurais aimé qu’elle ne se termine jamais. Je me suis même demandée si Lila avait vraiment existé ou si elle n’était qu’une métaphore de ce que la vie d’Elena aurait pu être si elle n’avait pas étudié, si elle n’avait pas poursuivi ce destin intellectuel qui était le sien…

La saga d’Elena Ferrante est aussi une réflexion sur le livre et la littérature. Elena se penche sur ses propres écrits. Elle mesure la distance entre elle-même et le monde qui l’entoure et le doute l’assaille inévitablement : la littérature est-elle vraiment en mesure de raconter le monde ?

 

Coup de cœur pour toute la saga !

 

L’enfant perdue, Elena Ferrante, traduit de l’italien par Elsa Damien, Gallimard, Collection Du monde entier, Paris, janvier 2018, 560 p.

 

Livre lu en VO dans le cadre du challenge Il viaggio chez Martine, du challenge Leggere in italiano.