Archives de tags | nature

Blanc, Sylvain Tesson

« Blanc » ne m’a pas emportée comme tant de romans de Sylvain Tesson l’ont fait. Et pourtant, tout y est : le périple, -cette fois une traversée des Alpes à ski de Menton à Trieste-, la nature et ses beautés, les références littéraires et historiques et cette belle écriture classique, qui porte tantôt la précision du géographe, tantôt l’émotion onirique du poète devant une nature qui le domine.

Alors pourquoi la recette a moins bien fonctionné pour moi ? Il y avait cette sensation de répétition trop présente, l’arrivée au refuge et le repos chaque jour tant attendu, la menace des avalanches, ainsi que le découpage en de nombreux chapitres très courts correspondant à un jour et une étape.

Certainement aussi, le fait que l’aventure ait été réalisée sur quatre années, de 2018 à 2021, pour des raisons bien compréhensibles, ce qui retire au lecteur l’impression d’être dans une traversée au long cours, avec des protagonistes coupés de la civilisation. Pour autant, « Blanc » est un très bon récit de voyage et je ne pouvais pas ne pas en parler. Peut-être ai-je simplement lu trop de livres de cet auteur, qui reste quand même parmi mes préférés…

Blanc, Sylvain Tesson, Gallimard, collection Blanche, septembre 2022, 235 p.

Ces montagnes à jamais, Joe Wilkins

 

ces montagnes à jamais poche

C’est le premier roman de Joe Wilkins mais l’auteur a aussi écrit de nombreux poèmes ainsi qu’un récit sur son enfance et son adolescence. Originaire du Montana, et plus particulièrement des Bull Mountains où se situe l’intrigue, Joe Wilkins nous offre un texte aux multiples facettes, roman social, western moderne, parsemé d’épisodes de « nature writing », avec deux personnages très forts, Wendell et Guillian, qui n’ont en apparence rien en commun sinon un fort attachement aux lieux.

Wendell Newman est un jeune homme de vingt-quatre ans qui vit dans un mobile-home et s’épuise au travail en tant qu’employé de ranch sur les terres perdues de ses défunts parents. Défunt, ce n’est pas sûr en ce qui concerne son père qui a simplement disparu une dizaine d’années plus tôt, et dont les extraits du journal qui nous sont livrés retracent la fuite éperdue dans les montagnes. Sa mère en revanche, n’a pu supporter la vie difficile qui lui restait, et Wendell travaille pour rembourser les factures médicales qu’elle lui a laissées…

Gillian Houlton est l’assistante du principal d’un collège de Colter, une petite ville des environs de Billings dans le Montana. Très déterminée, son seul but est d’aider les élèves à « faire des choix de vie corrects », même si ceux qui y parviennent sont très peu nombreux. La cinquantaine, elle est la mère d’une adolescente, Maddy, qu’elle élève seule depuis que Kevin est mort lorsque la petite avait six ans.

Il est vrai que le tableau est noir, et il serait faux de dire que le roman n’est pas sombre mais il n’est jamais misérabiliste. D’autant que Wendell se voit confier la garde de Rowdy, le fils de sa cousine qui est incarcérée, et qu’il noue un lien fort avec le jeune garçon qui ne parle pas. Wendell se révèle être protecteur et bon même s’il reste prisonnier de son passé; comme Gillian qui n’arrive pas à oublier son mari Kevin.

Le dénouement viendra lors d’une grande chasse au loup qui se déroule en toute légalité mais qui vient réveiller l’instinct des milices séparatistes dont le père de Wendell est encore le héros. Joe Wilkins fait monter le suspense et nous prend dans cette histoire envoûtante qui décrit également très bien la réalité sociale de cet Etat du Montana, dans les montagnes de l’Amérique profonde, lors des années Obama. Les hommes y sont profondément attachés au territoire, à leurs traditions et à leur mode de vie et ils s’opposent aux agences gouvernementales qui n’ont pas les mêmes objectifs qu’eux. La nature est centrale dans le roman et l’écriture poétique de Joe Wilkins est pour beaucoup dans le succès de « Ces montagnes à jamais ».  Une belle découverte que ce roman qui est paru en mai 2021 en édition de poche, chez Gallmeister également.

 

ces montagnes a jamais

 

« Ces montagnes à jamais », Joe Wilkings, traduit de l’américain par Laura Derajinski, Editions Gallmeister, février 2020, 306 p.

Edition de poche, Gallmesiter, Totem n°186, mai 2021, 288 p.

Herland, Charlotte Perkins Gilman

Pour ma deuxième participation à ce mois américain, j’ai choisi un roman qui se trouvait depuis un an dans ma Pal , « Herland, ou l’incroyable équipée de trois hommes piégés au royaume des femmes ». Publié en 1915 sous forme de feuilleton dans un mensuel que l’auteure éditait elle-même, ce roman n’est paru en livre qu’en 1979, au moment de la redécouverte de l’œuvre de cet auteure prolifique. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des ouvrages ayant le plus influencé le mouvement féministe américain et c’est à ce titre qu’il est intéressant et par ce qu’il révèle en creux de la société du début du vingtième siècle.

 

Trois amis américains participant à une importante expédition scientifique, entendirent parler d’un royaume exclusivement composé de femmes et de bébés filles : cette étrange « terre des femmes » d’où personne n’était jamais revenu vivant, devint leur obsession et ils décidèrent de partir tous les trois à sa découverte. Après une préparation sérieuse, Terry, Jeff et Vandyck, le narrateur, se rendirent aux confins de l’Amazonie, tout en devisant sur ce qu’ils s’attendaient à trouver sur place. Comment, à la lumière de leur savoir, pouvaient-ils concevoir un pays sans hommes ?

Ce pays existait pourtant bel et bien et peu après leur arrivée, les trois amis furent capturés sans violence par des « gardiennes » qui mirent en place une « détention pacifique » que les trois hommes n’avaient jamais imaginée. Le but des femmes étant d’en apprendre le plus possible sur une civilisation qu’elles ne connaissaient pas, elles commencèrent par enseigner leur langue aux trois intrus.

La suite de la détention des hommes se passa en de longues conversations au cours desquelles chacun des deux groupes apprenait à l’autre le fonctionnement de la civilisation à laquelle il appartenait. On découvre alors un peuple de femmes qui se reproduit depuis deux mille ans par parthénogénèse. Peu à peu, les femmes ont édifié une société harmonieuse, sans violence et respectueuse de la nature, à partir d’une conception bienveillante de la maternité et de l’éducation, et fondée sur une entente parfaite entre ses membres.

Un siècle après son écriture, ce texte a certes vieilli, mais par certains côtés seulement. Ainsi, la « sororité » parfaite décrite par l’auteur nous paraît impossible ; comme si les femmes étaient toutes dotées de tolérance et pleines d’attentions les unes pour les autres… mais il est vrai qu’il s’agit d’une utopie ! Il y a également l’eugénisme, caractéristique de cette époque, qui est très présent dans le roman. En effet, les femmes de Herland ont contrôlé les naissances pour éviter la surpopulation qui menaçait leur petit territoire, mais ce faisant, elles ont écarté de la fonction reproductrice les filles qui avaient des problèmes physiques et psychologiques, créant ainsi un peuple homogène de souche aryenne et performant sur tous les plans.

Quoi qu’il en soit, le roman reste très intéressant par ce qu’il révèle de la société américaine de l’époque, puisqu’il met l’accent sur ses nombreuses imperfections quant à la place des femmes, comme sur d’autres travers d’ailleurs. Enfin, s’il y a bien un domaine où ce roman est précurseur, voir prémonitoire, c’est celui de l’écologie, puisque les femmes de « Herland » respectent la nature, en préservent la diversité et ont déjà adopté des techniques de permaculture très développées. Voilà donc un court roman d’anticipation, une utopie qui tient un peu de la fable, qui n’est pas inintéressant et que je recommanderais plus particulièrement à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du féminisme.

 

Herland, ou l’incroyable équipée de trois hommes piégés au royaume des femmes, Charlotte Perkins Gilman, traduit de l’américain par Yolaine Destremau et Olivier Postel-Vinay, Books Editions, mars 2018, 207 p.

ou Pavillons poche Robert Laffont dans une autre traduction, 2019, 288 p.

 

 

Participation au mois américain chez Martine et au Challenge Objectif Pal chez Antigone.

Dégels, Julia Phillips

 

Pour cette première lecture du mois américain, j’ai choisi un roman qui se déroule en Russie, et plus précisément au Kamtchatka, cette péninsule lointaine et mystérieuse de l’Extrême-Orient russe qui n’est pas très souvent évoqué dans la fiction. C’est la couverture qui m’a attirée, ainsi que la quatrième de couverture qui fait référence à « la lignée de Laura Kasischke et d’Alice Munro, où l’émotion se mêle au suspense ».

Sophia et Alyona sont sœurs. Elles vivent à Pétropavlosk, une ville du sud de la péninsule du Kamtchatka. Nous sommes en août et les deux petites filles se promènent au bord de l’eau le long de la baie, tandis que leur maman travaille. Elles sont pourtant prévenues des dangers, mais lorsqu’un inconnu, blessé à la cheville, leur demande de l’aide, elle ne se méfient pas. Elles ne réapparaîtront plus et malgré les appels à l’aide de leur mère, la police ne fait qu’une enquête rapide, avant de conclure à une probable noyade.

Dans une autre famille, c’est une jeune fille de dix-huit ans qui a disparu, il y a déjà quelques années. Lilia n’était pas considérée comme une fille sérieuse et les rumeurs sur son compte ont sans doute contribué à écourter l’enquête : elle serait partie vers la ville, peut-être Moscou, en tout cas vers un avenir meilleur, ce que tout le monde feint de croire pour se rassurer.

Douze mois de l’année et douze chapitres qui explorent la vie quotidienne de familles banales, de femmes qui gravitent autour de ces deux familles et qui vivent, chacune à leur façon, ces disparitions : voici un premier roman d’une jeune auteure américaine qui, passionnée par la Russie, a reçu une bourse pour aller passer un an dans cette terre du bout du monde, et qui nous fait découvrir la vie de ces habitants de l’ancienne Union Soviétique, oubliés du miracle économique et qui cherchent à préserver leur identité, leurs spécificités culturelles.

Dans ce roman au suspense diffus mais toujours présent, ce n’est pas l’intrigue qui compte mais la façon dont les femmes vivent ces disparitions. L’auteure explore la douleur des mères des enfants disparus, insistant sur le rôle de l’entourage et même le mal qu’il peut faire inconsciemment, en voulant simplement aider. Et autour d’elles, c’est toute une région qui souffre, s’interroge et n’ose plus laisser ses enfants libres alors que rode peut-être un tueur…

 

Dégels, Julia Phillips, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, J’ai lu n°12810, juillet 2020, 379 p.

 

 

Participation au mois américain chez Martine et au challenge polars et thrillers chez Sharon.

 

 

Continuer, Laurent Mauvignier

 

C’est avec ce roman de Laurent Mauvignier que j’ai réussi à recommencer à lire. Je cherchais dans ma Pal pourtant bien fournie de quoi relancer l’envie et mon premier critère de choix était un livre pas trop épais, qui serait vite lu, juste pour « repartir », retrouver la concentration. Je me suis arrêtée sur ce roman que je voulais lire depuis longtemps, sans me rendre compte que le titre m’avait sans doute « parlé », en ces temps difficiles.

Samuel et Sybille se trouvent au Kirghizistan, au milieu de montagnes sauvages et magnifiques, avec deux chevaux achetés à leur arrivée dans le pays. Ils sont en train de lever le camp lorsque des voleurs de chevaux arrivent, les menacent et se mettent à les suivre, attendant le juste moment pour agir. Samuel, adolescent dégingandé et hostile, est le fils de Sybille. C’est elle qui a décidé de l’emmener dans cette aventure, pour le sauver de mauvaises fréquentations et du tour dangereux que prenait sa vie. Sa vie à lui, mais sa vie à elle aussi.

C’est un pari que fait Sybille, comme elle en a l’habitude. Elle est courageuse, ou inconsciente comme le pense son ex-mari Benoît, car les défis qu’elle se lance réussissent rarement, surtout depuis une vingtaine d’année. L’étudiante brillante à qui tout souriait a laissé place à une femme qui va d’échec en échec, comme Benoît ne se prive pas de le souligner. Et l’on découvre peu à peu comment Sybille s’est enfoncée, comment elle et son ex-mari ont porté si peu d’attention à Samuel, qui le vivait bien mal. Lors de ce périple, le fils va réapprendre à connaître sa mère malgré lui, mais il lui faudra un électrochoc pour comprendre combien elle l’aime.

Le voyage comme rédemption pour une mère qui ne fut pas assez présente, le dépaysement pour mieux se retrouver, pour faire le point et recentrer Samuel, le fils en perdition, sur l’essentiel. Dit comme cela, c’est assez banal, et d’ailleurs quelques éléments m’ont gênée, notamment dans les personnages dont j’ai trouvé les traits quelque peu forcés. Certes, Sybille est courageuse et déterminée et elle a fait de ce leitmotiv un principe de vie, « continuer », oui, mais presque envers et contre tout.

Le roman de Laurent Mauvignier n’en reste pas moins magnifique par son écriture, par la force évocatrice des descriptions des paysages, par la précision des sentiments, ainsi que par la tension que l’auteur insuffle au récit lorsque ses héros se trouvent en difficulté, comme lors de la traversée des zones marécageuses. « Continuer » est donc un roman que l’on ne peut que recommander et en ce qui me concerne, j’inscris déjà dans ma liste de lectures futures les romans de Mauvignier que vous voudrez bien me conseiller.

 

Continuer, Laurent Mauvignier, Les Editions de Minuit, juillet 2016, 239 p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge Objectif Pal chez Antigone

 

Magnifica, de Maria Rosaria Valentini

 

Ada Maria vit dans un village de l’Apennin entre une mère taciturne et fatiguée, Eufrasia, qui est méprisée par un mari volage, Aniceto, et Pietrino, un petit frère fragile qui n’aime pas l’école. Quand Eufrasia meurt, le frère et la soeur se rapprochent à la faveur d’un amour commun pour leur mère, tandis que leur père en profite pour s’installer chez Teresina, sa maîtresse.

D’une nature solitaire et rêveuse, Pietrino devient fossoyeur communal. Il entretient le cimetière, s’intéresse à l’histoire de ceux qui y demeurent, il jardine, il chérit certaines tombes oubliées … Ada Maria rêve de quitter le village mais ne veut pas abandonner son frère. Proche de la nature, forte malgré sa petite taille, Ada Maria effectue des travaux dans les champs, pour l’un ou l’autre voisin, et aime se promener dans la montagne et la forêt.

Au cours de l’une de ses promenades, elle aperçoit un homme qui ressemble à un vagabond. Elle se rend compte en revenant sur les lieux qu’il s’agit d’un Allemand qui vit caché dans une grotte depuis la fin de la guerre. Rejetant ses préjugés et sa peur, Ada Maria l’apprivoise peu à peu en lui apportant de la nourriture et des vêtements ; une histoire d’amour naît entre eux et Ada Maria se retrouve enceinte…

« Magnifica » nous raconte l’histoire de trois générations de femmes au destin très différent. Le roman explore les différentes facettes de l’amour maternel, qu’il s’agisse de l’amour tacite mais bien présent d’Eufrasia pour ses enfants, de celui d’Ada Maria pour la belle « Magnifica », véritable enfant de l’amour, ou de l’amour par procuration qu’éprouve Teresina pour le fils et la fille de son ancien amant. L’écriture délicate et poétique et la place importante que l’auteure confère à la nature dans le roman lui donnent une certaine intemporalité. De même, le peu de références géographiques confèrent une universalité à l’intrigue. Un très beau roman romantique, mais jamais mièvre, mélancolique et pourtant plein d’espérance, que je vous conseille de déguster tranquillement, en appréciant la douceur des mots.

 

Magnifica, Maria Rosaria Valentini, traduit de l’italien par Lise Caillat, Editions J’ai lu n°12767, septembre 2019, 347 p.

Cent millions d’années et un jour, Jean-Baptiste Andrea

 

Stan est professeur d’université à Paris mais sa carrière n’a jamais décollé. A la cinquantaine, il ne fait pas rêver quand il évoque « nos salaires de misère, nos yeux usés par les lampes blafardes, les conférences que personne n’écoute ». Mais peu importe au fond, c’est parce qu’il aimait les histoires qu’il a choisi d’être paléontologue :

« Si l’on n’est pas capable de croire à une histoire juste parce qu’elle est belle, à quoi bon faire ce métier ? »

Et c’est ce qu’il décide de faire en repensant à ce qu’un vieux concierge italien racontait aux enfants de son immeuble parisien : l’homme disait avoir vu un dragon dont le squelette gisait dans une grotte située au pied d’un glacier et d’où l’on apercevait trois pics. Pas d’autre information, sinon que cela se passait dans les Alpes franco-italiennes. Convaincu de pouvoir faire la découverte qui fera de lui un grand paléontologue, Stan lance une expédition, qui sera aussi l’occasion de retrouver Umberto, un universitaire turinois qui fut son assistant au début de sa carrière.

Les deux hommes sont convenus de se retrouver sur place et Umberto, fidèle au rendez-vous, amène Gio, un guide de montagne originaire des Dolomites. Peter, jeune assistant d’Umberto, se joindra aussi à l’expédition. Les conditions sont bonnes, mais le temps est compté car l’été est court en haute montagne et l’accès difficile par une via ferrata qui gèle très vite leur imposera de redescendre dès les premiers signes de neige.

« Cent millions d’années et un jour » est l’histoire d’une quête, celle d’un homme qui, toute sa vie, a recherché quelque chose qu’il croyait trouver dans les restes fossiles des animaux du passé. Mais au fur et à mesure que le temps s’écoule et que l’urgence s’impose, Stan se penche sur son enfance et nous révèle ce qui lui a toujours manqué. Un très beau roman sur l’amour maternel, sur la violence et sur l’enfance aussi, qui parfois, n’en finit pas de torturer un homme. Sur l’amitié aussi. Sur l’importance de croire à ses rêves surtout.

« Cent millions d’années et un jour » est en outre servi par une belle écriture, poétique et très visuelle qui nous emporte dans cette aventure nostalgique dont le rythme va crescendo pour nous laisser face à une question douloureuse : avons-nous réalisé nos rêves d’enfants ?

« Cent millions d’années et un jour » fait partie des dix excellents romans choisis par 300 blogueurs littéraires pour le troisième Grand Prix des Blogueurs Littéraires qui sera décerné à la mi-décembre. Je lui souhaite bonne chance !

 

Cent millions d’années et un jour, Jean-Baptiste Andrea, Edition L’iconoclaste, août 2019, 309 p.

 

10 ème participation au challenge 1% de la rentrée littéraire chez Sophie.

 

 

 

La panthère des neiges, Sylvain Tesson

 

Sylvain Tesson, qui « tient l’immobilité pour une répétition générale de la mort », n’a pas hésité à bousculer ses certitudes lorsque son ami photographe, Vincent Munier, lui a proposé de l’accompagner pour une nuit d’observation en forêt, à l’affût des blaireaux qu’il voulait photographier. Ce fut pour Tesson une véritable révélation, qui le conduisit à accepter la proposition de Munier de se rendre avec lui au Tibet afin de traquer -pour la photographier- la rarissime panthère des neiges.

Et c’est le récit de ce voyage que Sylvain Tesson publie aujourd’hui, un très joli texte qui exalte « la science de l’affût », long exercice fait d’attente et de patience. Au cours de ces journées glacées, dans un paysage lunaire que l’auteur sait si bien décrire pour nous transporter loin de nos habitudes, Sylvain Tesson s’est construit peu à peu une philosophie de l’attente qui est une « antidote à l’épilepsie de (notre) époque » et qui devient un véritable hymne à la diversité animale et à la nature dans son ensemble. Géographe consacré, il s’était jusqu’alors peu intéressé aux animaux ; le voilà conquis :

« La terre avait été un musée sublime. Par malheur, l’homme n’était pas conservateur. »

Outre la réflexion, le récit de Tesson ne manque pas de poésie, comme lorsqu’il évoque le Mékong et ses cinq mille kilomètres de la source sur les hauts plateaux gelés du Tibet jusqu’au delta du fleuve mythique. Tesson nous fait aussi découvrir le travail de Vincent Munier qu’il considère comme « le plus grand photographe animalier de tous les temps ».

Voilà donc une lecture qui éclairera nos sombres journées d’hiver, qui se dégustera lentement, et qui nous incitera au consentement face au monde et à sa préservation. Mieux que toutes les leçons médiatiques sur l’écologie !

 

Coup de cœur 2019 !

 

La panthère des neiges, Sylvain Tesson, Gallimard, septembre 2019, 168 p.

 

 

7 ème participation au challenge 1% de la rentrée littéraire 2019

 

Aventures en Loire, Bernard Ollivier

 

Bernard Ollivier est cet écrivain voyageur que j’affectionne particulièrement, depuis que j’ai  lu les trois tomes de « La longue marche »,  récit dans lequel il retrace son périple à pied, de la Méditerranée jusqu’à la Chine, sur la Route de la Soie. Je vous parlerai bientôt de « Sur le chemin des ducs » qui raconte la randonnée que Bernard Ollivier a effectuée en Normandie, de Rouen au Mont-Saint-Michel, mais ce récit m’a un peu laissé sur ma faim.

Au contraire, « Aventures en Loire », paru avant « Sur le chemin des ducs », m’a beaucoup plu. Certes, l’exotisme de l’Orient n’y est pas, mais on retrouve certains des  ingrédients qui ont fait le succès de La longue marche, et parmi ceux-ci, l’enthousiasme de l’auteur et l’importance accordée aux rencontres, autant et peut être davantage qu’à la randonnée elle-même.

Bernard Ollivier est parti cette fois d’une des trois sources de la Loire, au pied du mont Gerbier-de-Jonc, pour se rendre, d’abord à pied puis en canoë, jusqu’à Nantes, en suivant la Loire. Le temps est exécrable, en ce mois d’août 2008, mais l’auteur ira jusqu’au bout, bravant une pluie glaciale et  omniprésente, heureusement réchauffé, au propre comme au figuré, par les rencontres amicales faites au fil de l’eau.

En entamant ce périple, l’écrivain voyageur voulait démontrer que « l’aventure ne réside pas seulement dans l’exotisme » et il y parvient fort bien. Il conclut en effet :

« L’important dans le voyage est de perdre volontairement ses repères pour mieux se retrouver. C’est d’aller vers de nouveaux horizons, et ils ne manquent pas dans notre environnement immédiat » (…) « L’aventure est au coin de la rue ; ce n’est pas une question de kilomètres mais de regard »…

L’auteur voulait également prouver que l’hospitalité existe encore dans notre société, et c’est là aussi chose faite. Bernard Ollivier n’a dormi que quatre nuits sous la tente, et a été accueilli chaleureusement pour de nombreuses autres étapes au cours desquelles il a rencontré des Français tournés vers les autres, ravis la plupart du temps de partager leur passion, leur petit coin de paradis installé au bord de la Loire. « Aventures en Loire » est donc un récit optimiste qui donne envie de partir à la découverte des régions françaises, sac au dos, bon pied, bon œil…

 

Aventures en Loire, 1000 km à pied et en canoë, Bernard Ollivier, Libretto, Paris, 2012, 224 p.

 

Participation au challenge « Objectif Pal » chez Antigone.

 

Au loin, Hernan Diaz, Matchs de la rentrée littéraire 2018, #MRL 18 #Rakuten

 

Cet homme gigantesque, véritable force de la nature, est une légende. Même en Alaska, tous en ont entendu parler, sans savoir qui il est réellement. Alors, parce que les hommes sont curieux, mais surtout parce qu’il arrive au terme de son périple, Hakan a décidé de raconter son histoire et c’est le récit de toute une vie qu’il livre aux passagers du baleinier échoué dans les glaces.

Hakan est né en Suède, dans une ferme dont ses parents ne sont pas propriétaires. Lorsque les terres sont épuisées, le père décide d’envoyer ses deux fils en Amérique. Mais à leur arrivée à Portsmouth, où Hakan et Linus doivent monter à bord du bateau qui les emmènera à New York, les deux frères se perdent de vue. Hakan trouve le navire pour New York et embarque, sûr d’y retrouver son frère. Malheureusement, Hakan s’est trompé de bateau et, après de longs mois de traversée, c’est sur la côte ouest des Etats-Unis qu’il débarque. Ce n’est pour lui qu’un contretemps : Hakan est fermement décidé à traverser le continent pour rejoindre Linus qui doit déjà se trouver à New York.

C’est un long périple qu’Hakan entreprend, au cours duquel il fait quelques rencontres, bienveillantes parfois, mais également hostiles. Au cours d’un épisode où il est amené à défendre une caravane d’émigrants, sa légende naît, colportée sur les pistes de la ruée vers l’or, tantôt amplifiée, tantôt déformée. Hakan est connu et reconnu en de nombreux endroits du continent, parfois perçu comme un héros, mais souvent aussi comme un dangereux criminel. Il évite alors les hommes, allant jusqu’à se terrer dans une grotte où il répète chaque jour les mêmes gestes, ceux de la survie. Des décennies passent ainsi …

« Au loin » n’est pas du tout le récit que j’avais imaginé à la lecture de diverses critiques et de la quatrième de couverture. Certes, il démarre très vite et je me suis lancée dans une histoire qui a indéniablement du souffle mais je me suis laissée prendre par le suspense de la recherche de Linus, le grand frère. J’ai donc attendu pendant les deux premiers tiers du roman quelque chose qui n’est jamais venu. J’étais déçue, espérant qu’Hakan allait enfin vivre pour lui-même et être heureux. On m’avait parlé de grands espaces et d’aventures, de personnages truculents : alors, certes il y en a, un peu, mais pourtant, il ne se passe rien pendant de très longues pages.

Et la tristesse s’installe : la solitude encore et toujours, celle d’un homme qui vit terré, comme un animal. Une vie si monotone, alors qu’Hakan avait montré dans ses jeunes années un grand intérêt et de fortes dispositions pour la science lors de sa rencontre avec un jeune naturaliste qui, selon Hakan, savait, comme son frère Linus, « donner un sens au monde ». Tristesse aussi que le destin de cet homme qui aura été un étranger toute sa vie :

« Jamais aucun de ces territoires ne l’avait étreint ni adopté – pas même lorsqu’il avait creusé la terre pour trouver refuge en son sein. Tous ceux qu’il avait rencontrés dans ce pays, y compris les enfants, y étaient plus légitimes que lui. Ici rien n’était sien. Hakan était parti à l’aventure dans ces contrées sauvages avec l’intention de les traverser pour ressortir de l’autre côté. Il y avait renoncé. Mais cela ne voulait pas dire qu’il y avait pour autant trouvé sa place. »

Le rêve américain n’a pas fonctionné pour Hakan, peut-être parce que le personnage est intègre, entier, fidèle à lui-même, et qu’il ne recherche pas le contact avec ses semblables : extrême, Hakan est pourtant à l’image de l’Amérique et de ses grands espaces. C’est sans doute aussi parce que le rêve américain, comme tout rêve d’un « ailleurs » a son revers, parce que celui qui n’est pas chez lui restera toujours un étranger, et que pour certains, cela est insupportable à vivre.

Grand point fort du roman, « Au loin » est servi par une écriture magnifique, à la grande puissance évocatrice, qu’il s’agisse de la lumière, de la chaleur et du froid, de la nature en général.  C’est sans doute grâce à elle que je ne me suis pas ennuyée. Au total, « Au loin » est une réussite, car il s’agit d’un premier roman, mais il comporte néanmoins quelques défauts : le roman est un peu trop démonstratif. L’auteur défend une thèse et en oublie l’histoire. Une intrigue plus fournie aurait été bienvenue, car une écriture, aussi belle soit-elle ne suffit pas !

 

Au loin, Hernan Diaz, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Barbaste, Editions Delcourt, Mai 2018, 334 p.

  

Livre lu dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire Rakuten

Quatrième participation au challenge 1% de la rentrée littéraire