Patrick Modiano est l’un de mes auteurs préférés et donc, pas question de manquer la sortie de son nouveau roman qui s’avère tout à fait « modianesque ». « Encre sympathique » est en effet l’histoire d’un souvenir qui tourmente le narrateur, comme souvent chez Modiano qui, avec ce roman, poursuit son étude des phénomènes de la mémoire et de l’oubli. On retrouve l’atmosphère propre aux livres de l’auteur et ce magnétisme qu’il évoque et qui caractérise d’ailleurs l’effet de son écriture sur beaucoup de ses lecteurs …
« Il y a des blancs dans une vie mais parfois ce qu’on appelle un refrain. Pendant des périodes plus ou moins longues, vous ne l’entendez pas et l’on croirait que vous avez oublié ce refrain. Et puis, un jour, il revient à l’improviste quand vous êtes seul et que rien autour de vous ne peut vous distraire. Il revient, comme les paroles d’une chanson enfantine qui exerce encore son magnétisme ».
Et ce refrain qui revient, ce sont les éléments d’une enquête menée par le narrateur il y a bien longtemps. Lorsqu’il n’avait que vingt ans, le narrateur a travaillé pour une agence qui ressemble fort à celle d’un détective privé. Le patron lui avait alors confié quelques recherches à effectuer sur la disparition d’une certaine Noëlle Lefebvre. Le jeune homme disposait alors de peu d’éléments sur cette femme : son adresse, celle d’un café qu’elle fréquentait régulièrement, ainsi qu’une poste restante au bureau des PTT de son quartier, et enfin le nom de l’homme qui s’était étonné de sa disparition.
Le narrateur se lance alors dans l’enquête avec toute la motivation de son jeune âge, en prenant bien soin d’appliquer les consignes de son patron pour ne pas effrayer les personnes qu’il interroge. C’est ainsi qu’il entre peu à peu dans la vie de Noëlle, même si les découvertes qu’il fait sont infimes. L’enquête se prolonge dans le temps, elle ne dure pas mais réapparaît à différents moments de la vie du narrateur : c’est en réalité une recherche sur lui-même que mène le narrateur. On découvre des décors chers à Patrick Modiano, comme l’Avenue d’Albiny de « Villa triste ».
Dans « Encre sympathique », il est donc question principalement de souvenirs, de mémoire et d’oubli. Mais aussi de mensonges qui parfois deviennent réalité. Car il s’agit d’une réalité oubliée, que notre inconscient a en quelque sorte recyclée et qui subsiste dans notre mémoire comme un mensonge. Peu à peu, les mots de Modiano remontent à la surface des pages comme autant de souvenirs. Ce nouveau roman est comme ceint d’une aura de mystère, l’atmosphère que l’auteur crée avec des mots simples est empreinte de poésie.
Au fur et à mesure que la recherche avance, les éléments deviennent plus flous, plus troubles. Une nouvelle fois, Modiano explore les thèmes qui lui sont chers : la difficulté à savoir qui l’on est vraiment, qui sont les autres, parce que les mensonges, les omissions, les oublis involontaires brouillent les pistes. L’auteur nous promène dans des décors désormais familiers, Paris, Annecy, mais il nous surprend aussi avec un final qui se déroule à Rome. On n’a qu’un regret, que le roman se termine et que s’arrête la musique douce et nostalgique de l’écriture de Modiano.
Coup de cœur 2019 !
Encre sympathique, Patrick Modiano, Gallimard, Paris, octobre 2019, 137 p.
8 ème participation au challenge 1% de la rentrée littéraire