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Sa dernière chance, Armel Job

Le mois belge se termine pour moi en beauté avec le dernier roman d’Armel Job qui nous emmène à Liège et Verviers, dans les méandres d’un fait divers a priori banal. Mais ce qui peut paraître sans grand intérêt prend tout son relief grâce au talent de l’auteur qui excelle à explorer les vies de chacun, les passions et frustrations et tout ce qu’il y a derrière les apparences, petits et grands secrets…

Elise Dubois vit chez sa sœur et son beau-frère, garde leurs quatre enfants et s’occupe du ménage et des repas. Elle dispose d’un appartement au sein de leur villa et peut puiser l’argent de poche dont elle a besoin dans la boite familiale… une situation pour le moins étrange. Elise passe pour une femme fragile, à la limite de la dépression et incapable d’être indépendante. Sa sœur aînée, Marie-Rose, est une gynécologue réputée dans la région, chacun loue son professionnalisme et son empathie. Son mari Edouard Gayet dirige une agence immobilière qui assure de confortables revenus à la famille.

L’équilibre de cette famille atypique est rompu lorsque Elise, qui a trente-neuf ans, décide de s’émanciper. Elle s’inscrit sur un site de rencontre et, laissant les enfants livrés à eux-mêmes, elle se rend à  un premier rendez-vous :  Pierre Fauvol est antiquaire à Liège. D’ordinaire, cet homme qui multiplie les aventures féminines n’a pas besoin d’Internet pour faire des rencontres. Il se présente pourtant à Elise comme un célibataire qui n’a eu qu’un amour dans sa vie, il y a très longtemps …

Le chanoine, collectionneur d’art religieux et client de Pierre Fauvol, observe celui-ci avec curiosité. Il pense que Fauvol est homosexuel et qu’il a décidé de mettre fin à ses « errements » en envisageant le mariage. Mais est-ce bien pour cela que le chanoine espère que la rencontre entre Pierre et Elise portera ses fruits ?

Dans ce roman qui se lit d’une traite, chacun décide de tenter « sa dernière chance » : celle de s’enrichir enfin, de posséder ce qui le rendra heureux, de donner libre cours à ses passions. Certains se trompent, d’autres pas. Tous cachent quelque chose et donnent une image fausse de ce qu’ils sont réellement. L’écriture simple et efficace d’Armel Job nous conduit sur différentes pistes, pour mieux nous perdre ensuite. « Sa dernière chance » est un thriller psychologique calme et provincial, où il n’y a pas de cadavre mais beaucoup de secrets, ainsi qu’une part de lumière pour ceux qui auront saisi leur dernière chance. Un petit régal pour moi, comme ce fut le cas pour « Une drôle de fille » et « Une femme que j’aimais ».

Sa dernière chance, Armel Job, Editions Robert Laffont, Paris, février 2021, 330 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois belge chez Anne Des mots et des notes.

Les somnambules, Gilda Piersanti

 

   J’ai découvert Gilda Piersanti avec « Roma enigma » et « Vengeances romaines » qui font partie d’une série intitulée « Les saisons meurtrières ». L’attrait principal de cette série d’enquêtes, si l’on excepte l’intrigue et les deux policières, tenait pour moi à la façon dont l’auteure évoquait différents aspects politiques et sociaux de la société italienne contemporaine. Et c’est ce que j’ai retrouvé dans « Les somnambules », polar « unique » puisqu’il ne fait pas partie d’une série.

   « Les somnambules », ce sont notamment -car on peut voir une autre signification à ce titre- les trois protagonistes principaux de ce roman : Dario, Massimo et Gabriele, trois hommes occupant une place de choix dans la société : Gabriele est médecin, Massimo a créé une entreprise très prospère, et Dario est Ministre de l’Intérieur ! Tous les trois sont amis depuis longtemps, mais à des degrés divers, car l’intérêt est à la base de leurs relations dictées par Dario qui, sans conteste, mène la danse.  Adolescents, ils évoluaient dans le même milieu et se retrouvaient chaque année au bord de la mer où leur famille avait une résidence secondaire. Et c’est là qu’est survenu un événement dramatique qui a marqué leur vie à tout jamais et dont ils étaient responsables. Un crime resté impuni, qu’ils ont enfoui dans leurs souvenirs et qu’ils pensaient bien, vingt-cinq ans plus tard, ne jamais voir ressurgir.

   Je ne vous dévoile rien de plus que ce que la quatrième de couverture révèle au lecteur et, même si j’ai regretté au début de ma lecture de savoir que ce crime impuni était central dans le roman, je me suis vite rendu compte que je l’aurais deviné très rapidement et que cela ne gênait en rien le suspense mis en place par l’auteure. En effet, l’essentiel du roman repose sur la fuite en avant qui va mener les trois hommes et leur famille respective dans un engrenage irréversible. Le suspense est maintenu jusqu’aux dernières pages et l’on suit avec plaisir et horreur les protagonistes dans une descente aux enfers autour des manipulations les plus noires et cyniques. Il y a aussi quelques personnages féminins intéressants, comme Flora, Alice et surtout Valentina, dont le rôle s’avère décisif.  

   Gilda Piersanti, franco-italienne qui vit à Paris et écrit en français depuis longtemps, est une fine observatrice de la société italienne dont elle évoque les excès. Ici, on navigue dans des milieux aisés romains où la réussite sociale est primordiale. L’auteure est également scénariste et cela se sent dans ses polars qui sont assez visuels et comportent un bon nombre de dialogues et de rebondissements qui nous embarquent pour plusieurs heures de lecture. Enfin, j’ai particulièrement apprécié les analyses psychologiques assez fouillées qui permettent de donner beaucoup d’épaisseur aux personnages et d’évoquer des questions comme le pouvoir et la relation d’emprise psychologique. « Les somnambules », comme les autres romans de Gilda Piersanti, est donc un polar intéressant à plus d’un titre !

 

Les somnambules, Gilda Piersanti, éditions Le Passage, collection Ligne noire, mars 2021, 320 pages.

 

Participation au challenge Polars et thrillers 2020-21 chez Sharon.

Masse critique Babelio

Le complexe d’Eden Bellwether, Benjamin Wood

le complexe d'eden bettelwoodAutre coup de cœur de cette rentrée littéraire, après Joyce Maynard, c’est encore un auteur anglophone, mais anglais cette fois, que je viens de découvrir. Agé de 33 ans, Benjamin Wood a publié en 2012 son premier roman, aujourd’hui traduit en français. Vous avez sans doute déjà entendu parler du «Complexe d’Eden Bellwether » qui a fait l’objet de nombreuses critiques élogieuses depuis sa sortie en août dernier chez Zulma, une maison d’édition qui a publié ces dernières années de très bons romans, et notamment « La lettre à Helga », « L’exception », ou plus récemment « L’île du Point Némo ».

« Le complexe d’Eden Bellwether » ne m’a pas déçue, comme cela peut être le cas après avoir lu un grand nombre de bonnes critiques sur un ouvrage. Le roman s’ouvre sur une scène de crime évoquée en deux pages. Tout y est, et pourtant on ne sait rien des victimes. Qui sont-elles ? On ne l’apprendra qu’à la fin du roman qui prend, avec cette scène d’ouverture, des allures de polar. Pourtant, et malgré le suspense présent tout au long du livre, il ne s’agit pas d’un polar.

Oscar Lowe est un jeune homme de vingt ans qui est aide-soignant à Cedarbrook, une maison de retraite située à Cambridge. Oscar n’a pas fait d’études, parce que sa priorité était de quitter ses parents, ce qu’il a fait très jeune. Chaque jour en se rendant au travail, il passe devant les nombreux « Colleges » de Cambridge qui abritent encore l’élite intellectuelle de l’Angleterre contemporaine. Un soir, en arrivant près de la chapelle de King’s College, Oscar est attiré par le son à la fois fort, harmonieux et fragile de l’orgue : il ne peut résister, entre et assiste à l’office. En sortant, il rencontre Iris, une jeune fille blonde, étudiante en médecine et mélomane, qui est aussi la sœur d’Eden, l’étudiant qui jouait merveilleusement bien de l’orgue ce soir-là à l’office. Les jours suivants, Oscar fait plus ample connaissance avec elle, puis avec son frère et leur petit groupe d’amis, et enfin, une fois devenu le petit ami d’Iris, avec les parents Bellwether.

Oscar n’est pas toujours à l’aise avec ces membres de la classe intellectuelle aisée, mais il s’intègre rapidement dans le petit groupe qu’il rejoint après avoir terminé ses heures à Cedarbrook. Oscar aime son travail, malgré les difficultés qu’il comporte. Il a sympathisé avec un pensionnaire différent des autres, qui préfère s’isoler dans sa chambre et n’avoir que très peu de contact avec les autres résidents, le Dr Paulsen. Ce dernier prête des livres à Oscar et c’est ainsi qu’Oscar découvre les œuvres de Herbert Crest, psychologue et ancien ami du Dr Paulsen.

Au centre du roman, il y a également Eden, personnage sombre, mystérieux et manipulateur, d’une grande culture, et dont on se demande, à l’instar de sa propre mère, s’il est très intelligent ou s’il est anormal. Eden est un fervent admirateur du compositeur allemand Mattheson et, passionné de musique baroque, il prête à celle-ci des pouvoirs thérapeutiques. Eden prétend d’ailleurs être capable d’hypnotiser des malades, les soigner, voire les guérir. Pour exercer ses compétences, il n’hésite pas à se servir de sa sœur Iris comme d’un cobaye : enfant déjà, il lui infligeait des blessures, pour pouvoir mieux la soigner ensuite. De la même façon, Eden n’hésitera pas à essayer de soulager les douleurs de Crest qui souffre d’une tumeur au cerveau.

C’est Oscar qui a provoqué la rencontre entre Eden, l’organiste guérisseur, et Crest, le psychologue spécialiste de la Personnalité narcissique. Peut-être pourront-ils se rendre service mutuellement, imagine-t-il. Mais Oscar se rendra vite compte que cette rencontre n’est pas fortuite. Eden les a-t-ils manipulés ? Distant voire arrogant, Eden n’éprouve aucune empathie pour ses semblables. Il vit dans son monde, à la frontière entre le génie et la folie…

Outre le fait qu’il se dévore d’une traite, les rebondissements maintenant le suspense jusqu’au bout, le roman de Benjamin Wood est envoûtant, certainement en raison de l’atmosphère des lieux, mais aussi des personnages qui oscillent sans cesse entre le cartésianisme et l’irrationnel. Oscar est un personnage particulièrement attachant, un autodidacte intelligent et sensé, qui insuffle beaucoup d’humanité à cette aventure diabolique. L’écriture, classique et fluide, et les nombreux thèmes sous-jacents au roman font sans aucun doute de Benjamin Wood un nouvel auteur à suivre…

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Le complexe d’Eden Bellwether a reçu le Prix Fnac 2014.

Le complexe d’Eden Bellwether, Benjamin Wood, traduit de l’anglais par Renaud Morin, Zulma, Paris, août 2014, 512 p.