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Napoli mon amour, Alessio Forgione

Premier coup de cœur de l’année avec ce roman italien qui a connu un beau succès à sa sortie en 2018 de l’autre côté des Alpes : « Napoli mon amour » est le premier roman d’Alessio Forgione, jeune auteur qui, depuis, a publié un second roman qui était en lice pour le prix Strega 2020, l’équivalent de notre prix Goncourt.

Le protagoniste de « Napoli mon amour » est un jeune Italien de trente ans qui vit toujours chez ses parents à Naples. Titulaire de deux diplômes universitaires, Amoresano recherche un travail depuis des années. Il vit désormais sur les économies qu’il a réalisées en étant marin pendant six ans. Il raconte son quotidien qui s’enlise, entre la recherche d’un emploi, les soirées dans les bars napolitains avec son ami Russo qui vit les mêmes difficultés que lui, et sa passion pour le foot et plus particulièrement pour l’équipe de Naples.

Un soir, plus désespéré que d’habitude, Amoresano décide d’en finir avec la vie et d’abord, de dépenser l’argent qu’il lui reste. Mais il rencontre une jeune fille très belle qui lui redonne espoir. Il se présente comme écrivain, ce qui n’est pas tout à fait faux puisqu’il a déjà écrit quelques nouvelles. Lola est plus jeune que lui et n’a donc pas les mêmes aspirations, elle en est encore à l’âge où tout est possible et où l’on découvre le monde. L’horizon d’Amoresano se dégage mais cela ne dure pas :  euro après euro, il compte les dépenses qui s’accumulent et qui bientôt le mèneront au point de rupture, quand il ne pourra même plus offrir un verre à Lola …

« Napoli mon amour » est un roman d’initiation qui décrit la réalité que doivent affronter beaucoup de jeunes Italiens. Le chômage des jeunes est un des thèmes principaux du roman, avec ses deux corollaires, l’obligation de vivre chez ses parents et l’expatriation des jeunes diplômés qui, comme le héros, cherchent tout simplement une place dans le monde. L’auteur sollicite notre empathie pour toute une génération qui souffre de ne pouvoir s’insérer dans la vie économique du pays, malgré son sérieux et sa préparation et qui oscille entre détermination et résignation.

Le roman d’Alessio Forgione est en grande partie autobiographique, l’auteur travaillait en effet dans un pub à Londres lorsqu’il l’a rédigé.  L’écriture est maitrisée : simple mais précise, fluide, parfois dynamique ou plus lente en fonction des fluctuations de l’humeur du personnage. Alessio Forgione ne verse jamais dans les stéréotypes et le Naples que vous découvrirez n’est ni enchanteur, ni haut en couleur mais ce n’est pas non plus le pire endroit sur terre, malgré la pluie qui arrose les journées sans but du héros. C’est une ville qui ressemble à toutes les villes européennes et les jeunes y ont les mêmes préoccupations et les mêmes loisirs qu’ailleurs. Et il y a quand même la bulle d’oxygène que représentent pour Amoresano et Russo les séances de plongée dans les eaux limpides de l’île de Procida. Le narrateur aime et déteste Naples, il ne peut la quitter, comme la protagoniste du film de Resnais, « Hiroshima mon amour ».

« Napoli mon amour » n’est pas que la dénonciation des difficultés de toute une génération. L’amour de la littérature se révèle en filigranes tout au long du roman, apparaissant ainsi comme une sorte de remède et d’espoir. « Napoli mon amour » fait partie de ces lectures qui résonnent en nous longtemps et qui sont la marque des auteurs talentueux. A découvrir.

Coup de cœur 2021 !

Napoli mon amour, Alessio Forgione, traduit de l’italien par Lise Caillat, Editions Denoël et d’ailleurs, janvier 2021, 272  p.

Un monde à portée de main, Maylis de Kerangal

De Maylis de Kerangal, je n’avais lu qu’un récit de son voyage à bord du Transsibérien, « Tangente vers l’est », que j’avais d’ailleurs beaucoup apprécié. Les quelques pages lues au hasard alors que je feuilletais ses romans « Naissance d’un pont » et « Réparer les vivants », ne m’avaient pas donné envie de poursuivre ma lecture, notamment parce que les domaines évoqués ne m’intéressaient pas, et parce que le procédé, s’intéresser à un domaine, en maîtriser le jargon, imaginer une histoire… me paraissait quelque peu artificiel. Mais le sujet de son nouveau roman, « Un monde à portée de main », celui de la peinture, de l’art et du trompe-l’œil, m’a décidée à sauter le pas et je me suis régalée ! Voici donc mon premier coup de cœur de cette rentrée littéraire, il était temps !

 

C’est à l’Institut de Peinture de la rue du Métal à Bruxelles, école très réputée, que la jeune Paula Karst trouve enfin sa voie après deux années d’essais, abandons et autres tergiversations. Pendant six mois, la jeune fille de vingt ans assimile les innombrables teintes et leurs noms évocateurs, prépare sa palette et apprend à reproduire à la perfection bois et marbres, pierres semi-précieuses, moulures et frises, patines et dorures, jusqu’à devenir spécialiste de l’écaille de tortue qu’elle copie à merveille pour son travail de fin d’études. Le trompe-l’œil n’aura bientôt plus de secrets pour elle. Paula apprend à explorer les formes que revêt la nature « pour capter sa structure » dans un « patient travail d’appropriation » où les nuits et les jours se ressemblent, dilués dans l’odeur de térébenthine qui ne quitte plus l’appartement qu’elle partage avec Jonas, son colocataire, étudiant dans la même école qu’elle.

Le diplôme en poche, Paula part à la recherche de chantiers de décoration d’appartements ou d’hôtels particuliers. C’est la voisine de ses parents, chez qui elle est revenue vivre, qui lui met le pied à l’étrier, en lui demandant de peindre un ciel pour la chambre de son fils. Paula se lance passionnément dans le projet, « comme s’il s’agissait de réaliser le plafond de la Chapelle Sixtine » et elle s’étonne elle-même du résultat. Et lorsqu’une ancienne élève de l’Institut de Peinture de Bruxelles l’appelle pour lui proposer de participer à la préparation d’une exposition du Musée des Antiquités égyptiennes de Turin, Paula n’hésite pas un instant.

De modestes chantiers s’enchainent dans le nord de l’Italie, puis c’est la mythique Cinecittà qui l’appelle et, après un détour par Moscou, c’est le « fac-similé ultime » qui s’offre à elle, la réplique de la grotte de Lascaux. Un retour aux origines, « l’occasion d’être préhistorique » ? Paula fonce.

« (…) Paula a le sentiment de les connaître tous, de retrouver sa bande, les copistes, les braqueurs de réel, les trafiquants de fiction, employés sur le fac-similé de Lascaux car scénographes, vitraillistes, costumiers, stratifieurs, mouleurs, maquilleurs de théâtre, aquarellistes, cinéastes, restaurateurs d’icônes, doreurs ou mosaïstes. Ils se disséminent comme des acteurs sur un plateau avant le lever de rideau, chacun prend place dans son îlot de lumière, devant sa paroi, bientôt leur concentration commune maille entièrement l’espace et Paula y est prise, subitement euphorique ».

Le roman de Maylis de Kerangal nous ouvre les portes d’un monde captivant. Son écriture originale, multipliant les synonymes, insistant sur les descriptions, explorant toutes les facettes d’un sujet, reste toujours fluide. Elle hypnotise parfois, comme lorsque l’auteure évoque un souvenir d’enfance en une seule phrase longue de plus d’une page, comme un seul souffle. Roman initiatique, histoire d’amour aussi, même si elle est secondaire, ode au travail de l’artisan, questionnement sur l’art du trompe-l’œil, sur le rôle du copieur dans l’art, et par extension sur celui de la fiction dans la réalité, « Un monde à portée de main » est aussi la métaphore du travail de l’écrivain et du rôle de la littérature. Une très belle lecture, qui fait donc partie de mes coups de cœur 2018, et qui désormais me fera regarder les faux marbres et patines d’un autre œil !

 

Coup de coeur 2018 !

 

Un monde à portée de main, Maylis de Kerangal, Editions Verticales, juin 2018, 285 p.

 

Sixième participation au challenge 1% de la rentrée littéraire.

 

On inventera bien quelque chose, de Giorgio Scianna.

Premier rendez-vous du mois italien : aujourd’hui, un roman paru en 2016 : « On inventera bien quelque chose » de Giorgio Scianna.

on-inventera-bien-quelque-chose-giorgio-sciannaCe n’était pas gagné d’avance pour Mirko et Tommaso, deux frères qui viennent de perdre leurs parents dans un accident de voiture. Heureusement, ils ont obtenu du juge des tutelles de pouvoir rester ensemble dans leur appartement à Milan. C’est donc Mirko, un lycéen âgé de dix-sept ans, qui s’occupe de son jeune frère Tommaso qui n’a que onze ans. Qu’il s’agisse des courses et des repas, du ménage, de la surveillance des devoirs, Mirko assure tout, sous la supervision de l’oncle Eugénio, tuteur des enfants, qui les reçoit le dimanche et contrôle jusqu’aux tickets de caisse par lesquels les deux frères doivent justifier leur moindre dépense.

C’est justement là que les choses se compliquent : Mirko est scolarisé dans un lycée huppé où les jeunes regardent peu à la dépense. Lorsque le petit groupe d’amis de Mirko se met en tête de se rendre à Madrid pour un week-end, afin d’assister à un match décisif de leur équipe de football préférée, l’Inter de Milan, Mirko n’ose pas leur révéler qu’il ne dispose pas des 1200 euros nécessaires. Certes, ses parents lui ont bien laissé de l’argent, mais c’est l’oncle Eugenio qui le gère et il n’acceptera jamais cette dépense. Mirko doit en outre s’occuper de son frère, mais d’un autre côté, sa petite amie, Greta, sera du voyage et elle laisse entendre à Mirko qu’ils partageront une chambre d’hôtel…

Mirko va donc inventer quelque chose, et ce ne sera pas une bonne idée, comme on s’en doute. Pris dans un engrenage, Mirko se laisse abuser par sa naïveté et découvre un monde dont il ne soupçonnait pas l’existence. Il fait pourtant preuve de courage et se bat pour se sortir d’une situation difficile alors qu’il est à deux doigts de se laisser entraîner.

Giorgio Scianna réussit un beau roman d’initiation qui ne tombe à aucun moment dans le drame et le sentimentalisme. Il y a dans cette histoire, comme dans son titre « On inventera bien quelque chose », toute l’insouciance de l’enfance et de l’adolescence, un sentiment qui, malgré les difficultés, attend de se muer en optimisme et en confiance en l’avenir.

L’écriture est simple, fluide, assez neutre et parvient à nous toucher tout en nous racontant la vie quotidienne de deux orphelins qui ont choisi de se battre pour rester ensemble, dans l’appartement familial, perpétuant les habitudes données par leurs parents. Un roman pudique, sans prétention, agréable à lire et qui conviendra aux adolescents aussi.

On inventera bien quelque chose, Giorgio Scianna, traduit de l’italien par Marianne Farobert, Editions Liana Levi, 2016, 236 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois italien 2016 chez Eimelle.

le mois italien

 

 

 

Un hiver à Paris, de Jean-Philippe Blondel

un hiver à Paris, pocheEn septembre 1984, Victor, jeune provincial, entame sa deuxième année de classes préparatoires littéraires à Paris. Le première année fut difficile, il n’était pas parmi les meilleurs, mais il réussit à être de ceux qui furent autorisés à passer en khâgne dans le même établissement prestigieux, le lycée D. Assez solitaire, Victor ne s’était pas fait d’ami en hypokhâgne, où il se sentait décalé par rapport à la majorité des autres étudiants, parisiens et issus de milieux sociaux beaucoup plus favorisés que le sien, culturellement notamment.

Un mois et demi après la rentrée en khâgne, Victor décide, pour fêter son anniversaire, d’inviter Matthieu à dîner. Elève en première année, originaire de province également, Matthieu se retrouve dans la même situation que le narrateur un an plus tôt. C’est sans doute ce qui les rapproche, mais leur amitié naissante ne consiste qu’à échanger quelques mots à l’intercours.

Peu après, le drame se produit : incapable de résister à la pression, Mattieu se suicide.  Victor devient populaire au sein de son lycée, à cause de la mort de Matthieu précisément. La vie de Victor change alors totalement.

Pour ne pas gâcher la lecture de ceux qui n’ont pas encore découvert « Un hiver à Paris« ,  je n’en révèlerai pas davantage, sinon que ce roman m’a beaucoup touchée, principalement parce que je suivais les mêmes études que le narrateur au même moment, non pas à Paris, mais en province. J’ai donc retrouvé beaucoup d’éléments de l’époque, parfaitement restituée par l’auteur.

Néanmoins, si l’ambiance de compétition existait bel et bien dans mon lycée, elle était loin d’être aussi terrible qu’au sein du Lycée D. décrit par Jean-Philippe Blondel. Peut-être existait-il une grande différence entre Paris et la province ? Ou n’ai-je pas ressenti les classes préparatoires comme un lieu d’humiliation ? Je n’y ai en tout cas rencontré aucun professeur aussi odieux que Clauzet peut l’être dans « Un hiver à Paris », bien au contraire. Et si les élèves les plus « faibles » étaient « éliminés », c’est simplement parce que le rythme de travail ne leur convenait pas et qu’ils abandonnaient d’eux-mêmes les cours pour choisir une autre voie.

Le reste du roman, qui se déroule sur la côte atlantique, m’a un peu moins captivée, notamment en ce qui concerne le développement d’une amitié entre Victor et le père de Mathieu. Pour autant, j’ai dévoré « Un hiver à Paris » en une –longue- soirée. Ce roman d’initiation pose avec sensibilité la question des choix que l’on fait, de la difficile adaptation à un milieu social qui n’est pas le nôtre. Je ne connaissais pas Jean-Philippe Blondel, mais c’est un auteur que j’espère retrouver rapidement !

 

Un hiver à Paris, Jean-Philippe Blondel, Pocket n°16441, Paris, janvier 2016.