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Ces montagnes à jamais, Joe Wilkins

 

ces montagnes à jamais poche

C’est le premier roman de Joe Wilkins mais l’auteur a aussi écrit de nombreux poèmes ainsi qu’un récit sur son enfance et son adolescence. Originaire du Montana, et plus particulièrement des Bull Mountains où se situe l’intrigue, Joe Wilkins nous offre un texte aux multiples facettes, roman social, western moderne, parsemé d’épisodes de « nature writing », avec deux personnages très forts, Wendell et Guillian, qui n’ont en apparence rien en commun sinon un fort attachement aux lieux.

Wendell Newman est un jeune homme de vingt-quatre ans qui vit dans un mobile-home et s’épuise au travail en tant qu’employé de ranch sur les terres perdues de ses défunts parents. Défunt, ce n’est pas sûr en ce qui concerne son père qui a simplement disparu une dizaine d’années plus tôt, et dont les extraits du journal qui nous sont livrés retracent la fuite éperdue dans les montagnes. Sa mère en revanche, n’a pu supporter la vie difficile qui lui restait, et Wendell travaille pour rembourser les factures médicales qu’elle lui a laissées…

Gillian Houlton est l’assistante du principal d’un collège de Colter, une petite ville des environs de Billings dans le Montana. Très déterminée, son seul but est d’aider les élèves à « faire des choix de vie corrects », même si ceux qui y parviennent sont très peu nombreux. La cinquantaine, elle est la mère d’une adolescente, Maddy, qu’elle élève seule depuis que Kevin est mort lorsque la petite avait six ans.

Il est vrai que le tableau est noir, et il serait faux de dire que le roman n’est pas sombre mais il n’est jamais misérabiliste. D’autant que Wendell se voit confier la garde de Rowdy, le fils de sa cousine qui est incarcérée, et qu’il noue un lien fort avec le jeune garçon qui ne parle pas. Wendell se révèle être protecteur et bon même s’il reste prisonnier de son passé; comme Gillian qui n’arrive pas à oublier son mari Kevin.

Le dénouement viendra lors d’une grande chasse au loup qui se déroule en toute légalité mais qui vient réveiller l’instinct des milices séparatistes dont le père de Wendell est encore le héros. Joe Wilkins fait monter le suspense et nous prend dans cette histoire envoûtante qui décrit également très bien la réalité sociale de cet Etat du Montana, dans les montagnes de l’Amérique profonde, lors des années Obama. Les hommes y sont profondément attachés au territoire, à leurs traditions et à leur mode de vie et ils s’opposent aux agences gouvernementales qui n’ont pas les mêmes objectifs qu’eux. La nature est centrale dans le roman et l’écriture poétique de Joe Wilkins est pour beaucoup dans le succès de « Ces montagnes à jamais ».  Une belle découverte que ce roman qui est paru en mai 2021 en édition de poche, chez Gallmeister également.

 

ces montagnes a jamais

 

« Ces montagnes à jamais », Joe Wilkings, traduit de l’américain par Laura Derajinski, Editions Gallmeister, février 2020, 306 p.

Edition de poche, Gallmesiter, Totem n°186, mai 2021, 288 p.

Nos espérances, Anna Hope

Je pensais commencer ce mois anglais en beauté avec cet auteur dont j’ai beaucoup entendu parler ces dernières années. Pour la découvrir, j’ai choisi son dernier roman qui vient de paraître chez Gallimard, « Nos espérances ».  Si la lecture est une rencontre, eh bien, elle ne s’est pas faite, tout simplement. Difficile de dire exactement pourquoi, mais j’ai tout de même essayé d’analyser ce qui ne m’a pas plu.

Anna Hope nous présente trois jeunes femmes qui ont la trentaine en 2004. Hannah, Cate et Lissa se sont rencontrées lors de leurs études, à la fin des années quatre-vingt-dix, puis elles se sont installées ensemble dans une belle maison londonienne, située en bordure du parc de London Fields. Elles sont heureuses, travaillent beaucoup, mais profitent aussi de la vie, vont au théâtre, au musée, au restaurant, voient des amis. « Elles ne sont plus jeunes, mais ne se sentent pas vieilles. La vie est encore malléable et pleine de potentiel ». Elles voudraient que ce moment dure toujours…

Quand on les retrouve en 2010, la vie n’a pas rempli ses promesses. Lissa, comédienne, peine à trouver des rôles et enchaîne les castings pour des publicités. Hannah et son mari essaient désespérément d’avoir un enfant et leur vie tourne autour du calendrier des FIV. Enfin, Cate, qui vient d’avoir un bébé, a déménagé dans le Kent et vit difficilement le début de sa maternité, entre des nuits sans sommeil, une belle-mère un peu intrusive et des regrets quant à sa jeunesse.

La construction du roman permet des retours en arrière à différentes périodes de la vie des trois femmes qui, en révélant certains éléments de leur passé, nous aident à mieux comprendre leur insatisfaction. Malgré cela, j’ai eu beaucoup de mal à éprouver de l’empathie pour Cate, Hannah ou Lissa : pas d’émotion, même si je comprenais leurs difficultés. De plus, tout tourne autour des problèmes conjugaux des protagonistes, ainsi que de la maternité, des questions pourtant intéressantes mais traitées de façon superficielle. Les dialogues longs et répétitifs m’ont ennuyée et je suis restée sur ma faim.

J’ai également trouvé ce roman assez triste, -même si la fin laisse espérer des années plus sereines-, parce qu’il m’a semblé que les jeunes femmes ne remettaient pas en question leurs choix. Elles subissent, sont insatisfaites, mais ne réfléchissent pas davantage, se contentant d’exprimer leur mal-être. Ce qui m’a manqué, ce sont aussi des références à l’Angleterre des années quatre-vingt-dix et deux-mille (à une exception près), pour comprendre si ces jeunes femmes étaient en phase avec leur époque. Quant à l’amitié, elle est très malmenée dans le roman, car aucune ne semble ressentir de vrais sentiments pour l’une ou l’autre. Trois colocataires oui, mais trois amies, non.

Peut-être l’ensemble du roman est-il ironique, ce qui justifierait le titre « Nos espérances » ? Mais alors, ce serait profondément déprimant. Je pense plutôt que ce sont mes attentes envers ce roman qui étaient trop grandes, en termes de réflexion, de profondeur, et cela sans doute en raison de sa parution dans la « Blanche » de Gallimard. J’ai donc lu de nombreuses chroniques concernant les romans d’Anna Hope, très appréciés en général, et il m’a semblé qu’elle était meilleure dans ses romans historiques. J’essaierai, à l’occasion…

 

Nos espérances, Anna Hope, traduit de l’anglais par Elodie Leplat, Gallimard, 2020, 357 p.

 

Participation au mois anglais 2020

Aires , de Marcus Malte.

 

Il est difficile de parler du nouveau roman de Marcus Malte sans en révéler trop. Il s’agit d’une dystopie qui revient sur notre époque et ce flashback occupe presque tout le roman : si vous n’êtes pas friands du genre, ne passez pas votre route -c’est le cas de le dire- car vous vous en rendrez à peine compte. En revanche, vous découvrirez une radiographie brillante de notre époque, à travers une dizaine de personnages très différents, assez révélateurs de cette fin de civilisation que nous vivons et qui apparaît au  professeur du futur du premier chapitre comme « l’ère de la procréation dite naturelle ».

Et c’est ainsi que nous suivons le destin de Frédéric, un lanceur d’alerte devenu conducteur de poids lourds, de Catherine, une héritière chef d’entreprise narcoleptique bien solitaire, d’un auto-stoppeur-écrivain, tiré à quatre épingles et qui trimballe ses cahiers jamais publiés de routes en autoroutes, de Sylvain, un jeune père trop dépensier qui emmène son fils à Dysneyland. Il y a également Lucien et sa femme, mariés depuis près de cinquante ans, et qui ressassent les mêmes considérations communistes. D’autres au contraire ne communiquent plus et s’apprêtent à se séparer. Sans oublier ce jeune couple, aux conversations si profondes, ni Zoé et Moktar, jeunes catholiques plutôt attachants !

Tout ce petit monde se trouve sur l’autoroute, ils montent vers Paris, descendent vers le sud, fréquentent des aires d’autoroutes sans âme ou travaillent dans des caféterias sans fantaisie. Ils parlent, pensent, rêvent… révélant ainsi leurs préoccupations, leurs défauts, leur travers, bref, leur « insouciance meurtrière » comme la qualifiera des années, voire des siècles plus tard ce professeur, sûr d’attirer l’attention de ses « encore hypothétiques graduates » avec ce récit de « La vie des gens avant le Jour d’après ».

Marcus Malte nous donne à voir toutes les dérives de notre société avec beaucoup d’humour, un « humour ravageur » selon la présentation des éditions Zulma, un humour noir, caustique. « Aires » n’est certes pas très réjouissant dans son propos, puisqu’on va droit dans le mur, au propre comme au figuré, mais il est remarquablement bien écrit, lucide et enfin, très drôle, si vous avez le moral… De la vraie littérature, ultra-contemporaine.

 

Aires, Marcus Malte, Editions, Zulma, janvier 2020, 488 p.

 

Si vous n’avez pas lu « Le garçon », du même auteur …

Luca, Franck Thilliez

C’est un pavé de 550 pages que l’on dévore en quelques heures. Il faut d’ailleurs avoir un peu de temps devant soi pour le commencer, car il est tellement addictif que l’on risque d’y laisser des heures de sommeil. Le dernier Franck Thilliez ne déçoit pas : diaboliquement efficace, l’auteur nous offre une intrigue remarquablement bien ficelée qui nous embarque dès les premières pages, sur fond de thèmes scientifiques aussi passionnants qu’effrayants.

Cette fois, Thilliez aborde la question de la gestation pour autrui, de la procréation médicalement assistée et des manipulations génétiques, mais aussi du transhumanisme, ce courant qui veut utiliser les progrès scientifiques et techniques pour surmonter les limites biologiques de l’homme et augmenter ses capacités intellectuelles et physiques jusqu’à repousser, voire un jour abolir la mort. Il est également question de l’intelligence artificielle et de ses limites, autant de problématiques qui nous interpellent sur le plan de l’éthique : pouvons-nous tout laisser faire, au nom du progrès scientifique ?

Parmi les thèmes secondaires bien présents, il y a aussi l’importance des réseaux sociaux et plus généralement des GAFA, leur influence sur nos vies via les algorithmes et les manipulations dont nous sommes victimes quotidiennement. Pour ce qui est de l’intrigue, je ne dévoilerai rien ici, si ce n’est que le roman s’ouvre sur la rencontre dans un chambre d’hôtel entre un couple en mal d’enfant et une jeune femme prête à louer son utérus et à vendre son ovule : la peur au ventre, se sachant hors-la-loi, mais plein d’espoir malgré de multiples échecs, Bertrand et Hélène accordent leur confiance à Natacha et lui remettent leurs cinq mille euros d’économies, une simple avance…

Les fidèles lecteurs de Franck Thilliez retrouveront un Sharko un peu assagi, et Lucie sa femme, toujours prête à visiter des endroits sordides et dangereux, seule, en pleine nuit. Ils ont quitté le 36, Quai des Orfèvres, pour le tout nouveau « Bastion ». Et comme si une nouvelle époque s’ouvrait, ils ne sont plus à l’avant-plan. C’est Nicolas, le collègue de Sharko, qui vit sur une péniche et se remet difficilement de la mort de Camille, et une jeune collègue, fraichement débarquée de Nice, mais pas indemne elle non plus, qui sont au-devant de la scène dans cette enquête particulièrement captivante.

Après la lecture, restent les questionnements, non sur l’intrigue mais sur les problématiques qu’elle soulève : les manipulations folles évoquées ne sont pas encore tout à fait réelles, mais on y touche, il n’y a qu’à penser à la naissance en 2018 de ces bébés chinois dont l’ADN aurait été modifié. Ethique contre eugénisme, c’est à nous de choisir !

 

Luca, Franck Thilliez, Fleuve noir, mai 2019, 550 p.

 

Challenge Polars et thrillers chez Sharon.

 

Zéro, de Marc Elsberg

Comme l’auteur tient à le souligner dans son prologue, bien qu’il puisse être considéré comme une dystopie, « Zéro » est très peu éloigné de la réalité puisque toutes les technologies évoquées dans le roman existent bel et bien. L’auteur de « Black-out », qui est un expert scientifique en matière de nouvelles technologies avant d’être un romancier, veut attirer notre attention sur des réalités qu’il considère comme dangereuses et le thriller dystopique qu’il nous propose convient à merveille pour diffuser ce genre de message tout en étant captivant.

Cinthia est journaliste au Daily à Londres. Son quotidien se voit bouleversé lorsqu’une organisation mystérieuse qui se présente sous le nom de Zéro publie sur Internet les images en direct du Président des Etats-Unis, en train de jouer jouant au golf, entouré de sa famille. Des drones se sont en effet invités dans les vacances présidentielles et le suivent pendant de longues minutes, alors que le service de sécurité, paniqué, tente de mettre le président à l’abri, faisant ainsi la démonstration de son incompétence…

Le rédacteur en chef du Daily, Anthony Heast, décide de se lancer sur les traces de Zéro, un groupe d’activistes du Net désireux de sensibiliser la population à la surveillance de la société que les nouvelles technologies mettent en place insidieusement. Cinthia est, par nature, réfractaire à ces nouveautés qui sont selon elle bien loin de la modernité, en ce qu’elles limitent les libertés fondamentales. Elle comprend d’autant mieux la résistance menée par Zéro.

En revanche, elle n’a pas conscience des dérives qui menacent les jeunes et en particulier sa fille Viola. Et c’est parce qu’elle prête à Viola les lunettes connectées qu’elle essayait dans le cadre de son travail de journaliste qu’elle se trouve confrontée à la mort d’un ami de sa fille. Cinthia découvre alors avec stupeur que sa fille, comme les autres étudiants, vendent leurs données personnelles en échange de l’utilisation gratuite des « Act App », des applications qui les conseillent dans tous les domaines de la vie quotidienne.

Après une rapide enquête, Cinthia se rend compte que ces applications, qui influencent leurs utilisateurs, ont parfois des conséquences dramatiques : le nombre de mort non naturelles apparaît d’ailleurs anormalement élevé chez les utilisateurs des « Act App » !  Cinthia se lance alors dans une course qui la conduit de Londres à Vienne, puis à New York, avec comme objectif la volonté de préserver son esprit critique à tout prix : pas facile en effet de ne pas se laisser aller à la facilité que permettent les nouvelles applications et que l’on tente de lui imposer de toutes parts !

Après « Black-out », Marc Elsberg signe un nouveau thriller qui vise avant tout à attirer notre attention sur les risques et les menaces que font peser sur le monde l’excès de surveillance et de transparence. Certes, j’avais été davantage impressionnée par « Black-out », mais c’est sans doute parce que je n’imaginais pas les menaces qui pesaient sur nous en cas de rupture de l’approvisionnement en électricité. Au contraire, les excès des nouvelles technologies en matière de surveillance et plus encore, de modification des comportements, sont un des sujets qui me préoccupent tout particulièrement, peut-être parce que je ressens avec beaucoup d’acuité leur intrusion dans notre vie. Je n’ai donc pas été surprise par ce que je lisais, mais plutôt admirative par la façon dont l’auteur illustre le message qu’il veut nous délivrer. Rien que pour cela, ce roman est donc à diffuser largement autour de soi !

Zéro, Marc Elsberg, traduit de l’allemand par Pierre Malherbet, Le livre de poche n°34486, avril 2017, 505p. 

 

Livre lu dans le cadre du challenge Polars et Thrillers chez Sharon et du challenge Objectif Pal chez Antigone

Le grand n’importe quoi, de J-M Erre

Le grand n'importe quoiNous sommes le 7 juin 2042, à 20h42 bien précises, et nous allons y rester un bon moment;  en tout cas, le temps qu’il faudra pour que se déroule une série d’aventures toutes plus déjantées les unes que les autres ! D’abord, on croise Alain Delon, qui essaie de se prendre, ce qui n’est pas facile, mais il s’applique car il veut réussir au moins cela, lui dont la vie ne fut qu’une longue série d’échecs…

Au même moment, dans le « Dernier bistrot avant la fin du monde » (eh oui, c’est le nom du café), quelques alcooliques lèvent le coude en cadence, tout en devisant sur l’intérêt que représentent les romans de science-fiction. Et la SF, c’est justement ce à quoi Lucas, futur auteur, est en train de s’adonner en martyrisant son ordinateur pour que celui-ci accouche du chef d’œuvre. C’est mal parti, car Lucas est dérangé par Marilyn Monroe qui vient sonner chez lui par erreur !

Pendant ce temps, Arthur, déguisé en spider-man, se maudit de devoir accompagner sa fiancée Framboise dans une soirée idiote donnée par Patrick le culturiste, qui fête son anniversaire au milieu de tous ses amis à gros bras. Arthur ne sait pas encore qu’il passera très peu de temps dans cette fête, puisqu’il sera éjecté en beauté par Patrick lui-même et se retrouvera sur le paillasson, puis dans la nuit noire de Gourdiflot-le-Bombé, village peu accueillant où le costaud Patrick a choisi d’habiter, on ne sait trop pourquoi.

C’est alors que les destins de Lucas et Arthur vont se rejoindre, dans une folle équipée, qui se déroulera en boucle ce 7 juin 2042 à 20h42 et qu’Arthur ne saura comment rompre… jusqu’à l’improbable dénouement.

Ce roman est bien sûr … du grand n’importe quoi, drôle et jubilatoire, que l’on dévore si l’on se laisse emporter dans cette aventure délirante. Les amateurs de science-fiction retrouveront avec plaisir les nombreuses références au genre. Quant à ce que l’avenir nous réserve, une France plongée dans la dépression depuis soixante ans, à qui on ne demande même plus son avis concernant l’Eurovision, et où le prix Fémina 2037 a été attribué à Rocco Siffredi, on n’a guère envie de la connaître un jour : heureusement, ce n’est que de la science-fiction … !

 

Le grand n’importe quoi, J.M Erre, Buchet-Chastel, février 2016, 297 p.

 

Merci à Babelio et son opération Masse critique,  et aux éditions Buchet-Chastel, de m’avoir envoyé ce bon divertissement !

masse critique Babelio

Dans le café de la jeunesse perdue, Patrick Modiano

Louki ou l’art de la fugue

 

dans le café de la jeunesse perdue

Pour cette lecture commune du blogoclub de Sylire, j’ai choisi un roman relativement récent de Patrick Modiano, « Dans le café de la jeunesse perdue », publié en 2007. Un très beau roman, émouvant et troublant, qui guide le lecteur dans un Paris onirique, à la recherche de Louki, une jeune femme de 22 ans.

De Louki, nous ne savons d’abord presque rien, sinon qu’elle n’est pas étudiante, mais passe de nombreuses heures dans un café du quartier de l’Odéon, Le Condé. La clientèle du café est étrange, différente de celle des autres établissements du quartier latin. À moins que ce ne soit Louki et quelques autres habitués qui confère au Condé ce caractère étrange.

Louki, ce n’est pas son vrai nom, mais celui que lui ont donné les fidèles du café. Louki est parfois assise seule. Il lui arrive aussi de se mêler à certains groupes de clients ; ce sont d’autres jeunes de son âge, pour la plupart, qui vivent « à l’ombre de la littérature et des arts » et qui boivent beaucoup : ils constituent la jeunesse perdue. Mais Louki est différente.

Le premier narrateur est un ancien étudiant de l’Ecole des Mines. Il se souvient de Louki et s’interroge sur son passé : d’où venait-elle ? Pourquoi toutes ces heures passées au Condé ? Autre chapître, autre narrateur ; celui-ci, plus âgé, est un ancien des Renseignements généraux qui enquête sur Jacqueline Delanque, le vrai nom de Louki. Il possède deux photomatons de Louki, confiés par son mari deux mois après la disparition de Louki. Le détective retrouve Louki au Condé, mais renonce finalement à révéler à son mari où elle se trouve.

Louki  prend ensuite la parole et se retourne sur son enfance solitaire, lorsqu’elle s’aventurait seule, la nuit, dans les rues de Paris, tandis que sa mère travaillait comme ouvreuse au Moulin Rouge. C’est enfin Roland qui termine, ami -ou amant ?-, mystérieux également, qui partageait avec Louki un certain intérêt pour l’ésotérisme.

Modiano nous emmène ainsi sur les traces de Louki, à la recherche de son passé et des raisons qui l’ont amenée au Condé. « Dans le café de la jeunesse perdue » établit peu à peu le portrait d’une jeune femme mystérieuse, à travers le récit de quatre narrateurs, un étudiant, un détective, Louki elle-même et enfin, Roland. Rien de bien extraordinaire ne se dégage de ce portrait, une vie banale, que l’auteur sublime pourtant. Comme à son habitude, Modiano nous promène dans un Paris où la géographie l’emporte  sur le temps.

En effet, l’époque est difficile à situer précisément. Rien ne l’indique vraiment, malgré quelques références aux années soixante. Et d’ailleurs, peu importe, puisque Modiano nous entraîne sur le thème de l’Eternel retour et c’est sans doute ce qui confère cette poésie particulière au roman. L’Eternel retour, que Roland a expérimenté, une seule fois dans sa vie, et c’était avec Louki : « je suis resté un moment immobile et je lui ai serré le bras. Nous étions là, ensemble, à la même place, de toute éternité, et notre promenade à travers Auteuil, nous l’avions déjà faite au cours de mille et mille autres vies. Pas besoin de consulter ma montre, je savais qu’il était midi ».

Les lieux sont, quant à eux, explicites : l’Odéon, le Moulin Rouge, Neuilly, la place de l’Etoile. Les trajets de Louki s’y inscrivent et l’on recherche avec les différents narrateurs leur signification. Le lecteur erre également avec Modiano dans les « zones neutres » de Paris, la rue d’Argentine par exemple, où habitent des dizaines d’ « absents », ces gens à la recherche d’une identité.

On retrouve dans ce roman l’un des thèmes majeurs de l’œuvre de Modiano, la quête de l’identité de l’autre : « On dit tant de choses… Et puis les gens disparaissent un jour et on s’aperçoit qu’on ne savait rien d’eux, même pas leur véritable identité ». Comme Louki, qui à la fin du roman reste pour toujours une héroïne insaisissable.

Dans le café de la jeunesse perdue, Patrick Modiano, Folio n°4834, 2008,160 p.

 

Lecture commune faite dans la cadre du Blogoclub de Sylire et Lisa

blogoclub