Blogoclub : Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson

« Dans les forêts de Sibérie » est un récit que j’avais lu pour la première fois lors de sa sortie en 2011, peu avant la création de mon premier blog et je n’ai donc jamais eu l’occasion d’en parler. Le Blogoclub me permet aujourd’hui de le faire et je me suis replongée dans la lecture du livre de Sylvain Tesson que j’ai apprécié tout autant, sinon plus que la première fois.

Lassé des voyages qui ne lui apportent plus la paix, l’auteur espère retrouver cette sensation dans l’immobilisme. Il s’était justement promis qu’avant ses quarante ans, il passerait quelques mois dans une cabane isolée, et un voyage au bord du lac Baïkal quelques années auparavant l’avait convaincu que l’endroit était idéal pour tenir sa promesse. C’est ainsi qu’en février 2010, il s’installe dans une cabane de neuf mètres carrés, au bord du lac, avec pour voisins proches, Sergueï et Natasha, les gardiens de la station scientifique de Pokoïniki, située à 50 kilomètres au sud !

A ceux qui s’interrogeraient sur ce choix de l’érémistisme, Sylvain Tesson avait décidé de répondre que c’est parce qu’il avait de la lecture en retard (nous savons tous ce qu’il nous reste à faire !). En effet, en plus d’une liste de produits d’épicerie non périssables, de vêtements, de quelques ustensiles et outils nécessaires à la survie en milieu hostile et de quelques agréments supplémentaires comme de la Vodka et des cigares, l’auteur a emporté une soixantaine de livres qu’il a choisis soigneusement : de quoi nourrir les réflexions de l’ermite naissant pendant ces six mois de retraite loin des fureurs de la ville.

« Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus cher que l’or ».

Sylvain Tesson ne rejette pas le modernisme mais sélectionne juste ce qui est bon dans celui-ci ; ainsi, il équipe sa cabane de panneaux solaires qui alimenteront en électricité un petit ordinateur, qui lui fera vite défaut d’ailleurs. Faisant sienne l’idée du géographe Elisée Reclus pour lequel l’homme survivra dans « l’union du civilisé et du sauvage », Sylvain Tesson sait qu’il ne suffit pas, comme le font beaucoup de nos contemporains, de parler d’amour de la nature et de décroissance, il faut au contraire « aligner nos actes et nos idées ».

Comme à son habitude, Sylvain Tesson nous livre ses réflexions sur le monde. Il propose à celui qui se dit révolutionnaire ou veut l’être, de devenir ermite car celui-ci « ne demande ni ne donne rien à l’état. Son retrait constitue un manque à gagner pour le gouvernement ». Il est heureusement possible, précise-t-il, d’atteindre « cet ascétisme révolutionnaire en milieu urbain », en se tenant à l’abri, dans « le murmure des livres ».

Chez Tesson, tout est prétexte à convoquer des références culturelles et des souvenirs de lectures. Les silhouettes des personnes qui l’accueillent évoquent pour lui un tableau de Bruegel. La forêt, cette « armée engloutie dont ne dépasseraient que les baïonnettes », lui rappelle une visite au musée de la Grande Guerre à Verdun… Il regrette d’ailleurs la perte générale du sens esthétique : « la ruée des peuples vers le laid fut le principal phénomène de la mondialisation » nous assène-t-il fort justement.

Mais surtout, l’auteur apprend la contemplation et s’émerveille des ressources de ce bout de terre et d’eau glacées et nous livres des passages splendides consacrés à la nature, aux phénomènes météorologiques, aux animaux. Il fait l’éloge de l’immobilisme, du spectacle unique du lac dont les innombrables variations de la lumière emplissent sa journée au-delà de ses espérances.

« Dans les forêts de Sibérie » est une invitation à la contemplation, à la réflexion et à la recherche d’une liberté intérieure dont le monde moderne nous prive. L’auteur, adepte des aphorismes, a le sens de la formule et son récit est émaillé de considérations politiques, au sens premier, grec et noble du terme. Il nous révèle aussi le monde dans son état le plus pur. Il nous montre la nécessité, et la possibilité, de ne pas nuire, ni à autrui, ni à la nature.

Et puis, à défaut de me convaincre d’aller vivre au fond des bois, il m’a donné envie de lire et relire tant d’auteurs, aussi différents que Rousseau et Casanova !

Un coup de cœur !

Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson, Folio Gallimard n°5586, Paris, 290 p.

 

 Un petit mot sur le film :

« Dans les forêts de Sibérie » a été librement adapté au cinéma par Safy Nebbou avec Raphaël Personnaz dans le rôle de Sylvain Tesson.  Un très beau film, avec de magnifiques paysages, qui n’a cependant que peu à voir avec le livre. On n’y retrouve évidemment pas la dimension de la réflexion, essentielle dans le récit.

Les avis des membres du Blogoclub :

Je vous invite à lire les avis des membres du Blogoclub, intéressants notamment parce qu’ils sont très différents les uns des autres. Le livre cette fois ne fait pas l’unanimité !

 

« Dans les forêts de Sibérie » :

-Amandine

-Claudia Lucia

Gambadou

-Itzamna

-Praline

-Sylire

Titine.

-Hélène a lu « L’usage du monde » de Nicolas Bouvier.

 

25 réflexions sur “Blogoclub : Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson

    • Peut-être en effet. D’autres livres de Tesson te plairaient peut-être aussi davantage. J’ai beaucoup aimé « L’axe du loup » dans lequel l’auteur part sur les traces de prisonniers échappés du goulag, depuis la Sibérie jusqu’au Golfe du Bengale. Il y a aussi son recueil de chroniques intitulé « Géographie de l’instant » qui m’avait beaucoup plu.

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  1. Oui, il y a de très bons passages mais aussi des moments en creux, peut-être ceux pendant lesquels il cuve ses litres de vodka ! Mon avis est donc mitigé ! Et puis il est plein de contradictions cet homme et parfois cela me gêne car cela me donne l’impression que son retour à la nature sauvage n’est pas toujours sincère !

    https://claudialucia-malibrairie.blogspot.fr/2017/12/sylvain-tesson-dans-les-forets-de.html

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    • Je trouve aussi que les beuveries sont un peu répétitives, et il y a quelques longueurs qu’on ne retrouve pas dans ses livres consacrés à des voyages. C’est sans doute le côté contemplatif qui veut cela. Quant aux contradictions de l’auteur, c’est vrai. Il a un caractère très fort, exigeant, et c’est pour cela que je le trouve intéressant. Mais je n’ai pas l’impression qu’il manque de sincérité. Certes, il vit de ses récits de voyages, mais je pense qu’il n’aurait pas autant voyagé, dans des conditions parfois extrêmes, si cela n’avait pas été l’expression d’un vrai besoin pour lui. Je vais te lire cet après-midi, j’ai enfin un peu de temps… Bon week-end !

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  2. j’ai lu Tesson il y a quelques années et j’ai contracté une sérieuse allergie, de celles qui donnent des boutons et font abandonner le livre. Pas envie de me faire culpabiliser parce que je prends l’avion, eh oui je travaillais à l’époque et les vacances étaient courtes, pas envie d’admirer cette figure admirable qui savait grimper sur les toits, vivre en ermite;… et qui se permet de donner des leçons de féminisme….. Monsieur-j’ai-tout-fait-bien m’a profondément agacée. Peut être a_t_il mûri? peut être devrais-je reprendre la lecture?????

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    • Oui je sais en effet que l’auteur ne laisse jamais indifférent et que souvent, on l’aime ou on le déteste. Je n’ai jamais culpabilisé en lisant un livre de Tesson, ni ressenti ce que tu dis, mais je conçois très bien que l’on puisse penser comme toi. Je ne sais pas dans ce cas s’il faut insister et je ne saurais pas non plus quel livre te conseiller pour l’apprécier…

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  3. J’ai eu un avis mitigé sur cette lecture car j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup trop de beuveries, c’est vrai que c’est le pays qui veut ça. J’ai aussi trouvé qu’il y avait beaucoup de moments où il nous fait croire qu’il est seul alors qu’il ne l’est pas …mais bon c’est quand même un plaisir de le lire 🙂

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  4. Wahou, un coup de coeur chez toi ?! Comme quoi, les avis sont hyper divers. J’avais aussi noté cela lorsque le titre était sorti : Babelio regorgeait de critiques très variées. C’est intéressant quand un livre ne fait pas l’unanimité.

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  5. J’ai également beaucoup aimé la lecture de ce livre. Je trouve les réflexions de Sylvain Tesson très intéressantes et justes. Il me donne également envie de me réfugier dans « le murmure des livres » !

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