Archive | septembre 2015

Le printemps romain de Mrs Stone, Tennessee Williams

Le printemps romain de Mrs Stone

Pour ma dernière participation au mois américain de Titine, j’ai choisi de relire un court roman classique de Tennessee Williams. Auteur connu pour ses pièces de théâtre, « Un tramway nommé désir » et « La chatte sur un toit brulant », Tennessee Williams fut aussi romancier. C’est en 1950 qu’il publie « Le printemps romain de Mrs stone », excellent roman psychologique qui met en scène une ancienne actrice américaine encore très belle, qui s’interroge sur son passé et sa carrière d’actrice, mais aussi son avenir, dans cette Rome mondaine où elle s’est installée après la mort de son mari.

Riche héritière, elle traîne son ennui entre ses nouveaux amis italiens, quelques expatriés américains qu’elle rencontre de temps à autres, et enfin, le beau Paolo qu’elle a rencontré grâce à la Contessa, une aristocrate italienne qui arrondit ses fins de mois en présentant à de riches héritières comme Mrs Stone, de jeunes gigolos italiens sans le sou. L’amour est-il possible entre ces deux personnages que tout oppose ?

Tennessee Williams décrit à merveille le désir de cette femme vieillissante qui part « à la dérive » et l’immoralité de relations fondées sur l’argent, où personne ne trouve son compte finalement. « Le printemps romain de Mrs Stone » ne durera qu’une saison, avant de l’entraîner vers l’inexorable hiver de l’amour qu’elle redoutait tant.

 

Le printemps romain de Mrs Stone, Tennessee Williams, traduit de l’américain par Jacques et Jean Tournier, Editions 10/18, Paris, 1985, 176 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois américain chez Titine et du Challenge Un classique par mois chez Stephie.

america

Challenge un classique par mois

Les étranges talents de Flavia de Luce, Alan Bradley

les étranges talents de Flavia de LuceFlavia de Luce est une petite fille vraiment pas comme les autres. Agée de onze ans, cette jeune surdouée qui se passionne pour la chimie et pour les poisons en tous genres, passe ses journées dans son laboratoire installé au sein de la belle demeure familiale de Buckshaw.

Nous sommes en 1950 en Angleterre et la vie de Flavia s’écoule tranquillement, malgré deux sœurs âgées de treize et dix-sept ans qui la détestent et qu’elle ne peut souffrir non plus, un père présent mais absorbé en permanence par ses collections de timbres, une cuisinière, Mme Mullet, dont les tartes à la crème sont les plus mauvaises de toute la région ! Heureusement, il y a aussi Dogger, tour à tour valet, majordome ou homme à tout faire, avec lequel la jeune Flavia s’entend particulièrement bien.

Ayant perdu sa mère à la naissance, la jeune Flavia se trouve souvent délaissée, dans une famille en outre peu habituée à exprimer ses sentiments. Elle a donc tout le loisir de s’adonner à sa passion, née de la découverte dans la bibliothèque familiale d’une « étude élémentaire de la chimie » qui appartenait à un ancêtre. Flavia investit le laboratoire que cet ancêtre avait installé dans une aile du manoir et y procède à des expériences parfois peu avouables, comme lorsqu’elle mélange le rouge à lèvres de sa sœur avec des substances susceptibles de provoquer des allergies, sinon davantage !

L’aventure qu’Alan Bradley nous conte dans ce premier volet débute lorsque la cuisinière découvre un oiseau mort sur le perron de la demeure. Le fait est d’autant plus étrange que se trouve empalé, sur le bec du martin-pêcheur, un timbre poste qui provoque une véritable réaction de stupeur de la part du père de Flavia.

Le lendemain matin, c’est Flavia elle-même qui découvre un homme agonisant dans le potager. La jeune fille se lance alors dans une enquête qui la conduit à explorer le passé de son père, au sein du prestigieux collège de Greyminster. En exploitant les nombreuses ressources de son intelligence, la jeune Flavia a vite un pas d’avance sur la police. Flavia découvrira bien sûr le coupable, et démentira la responsabilité de son père qui se reprochait depuis des années d’avoir été à l’origine du suicide de l’un de ses professeurs.

Ce roman policier m’a paru particulièrement attachant, en grande partie en raison de la personnalité de son héroïne : Flavia est intelligente, parfois insolente et toujours infatigable. Elle ne manque ni d’humour ni d’énergie, et est toujours prête à enfourcher Gladys -son vélo-, pour partir à la recherche de réponses à ses questions. Ses réflexions sont drôles et réfléchies.

Les étranges talents de Flavia de Luce nous procure un très bon moment de lecture. Visant un public d’adultes et d’adolescents, Alan Bradley a écrit ce premier roman il y a quelques années, alors qu’il était âgée de soixante-dix ans et a reçu plusieurs prix littéraires au Canada. Il a déjà enrichi la série de six autres romans.

 

Les étranges talents de Flavia de Luce, Alan Bradley, traduit de l’anglais par Hélène Hiessler, 10/18 Grands détectives, mai 2013, 379 p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge thrillers et polars et du challenge polars historiques, chez Sharon

thrillerpolar-pativore1

challenge-polar

Les falsificateurs, Antoine Bello

les falsificateurs antoine bello

 

Sliv Dartunghuver est un jeune Islandais de vingt-trois ans qui vient d’obtenir son diplôme de géographie à l’Université de Reykjavik. En ce mois de septembre 1991, le marché de l’emploi n’est guère brillant en Islande. Sliv est donc sur le point d’accepter un travail d’adjoint au sein d’une conserverie de poisson. Il répond pourtant à une annonce qui semble convenir tout à fait à son profil et à ce qu’il recherche, un poste de chef de projet dans un cabinet d’études environnementales.

À la suite d’une série d’entretiens et de tests psychologiques, Sliv est engagé et envoyé au Groënland pour une première mission visant à étudier les répercussions écologiques de la construction d’une nouvelle station d’épuration. Sliv apprécie beaucoup son travail, même si le jeune idéaliste s’aperçoit rapidement qu’il doit composer avec de nombreux impératifs politiques et économiques, parfois au détriment de la vérité… Mais cela n’est rien par rapport à ce qu’il apprend ensuite : la firme pour laquelle il travaille n’est qu’une couverture pour certains de ses collègues, et notamment pour Gunnar Eriksson, celui qui l’a recruté et qui est désormais son supérieur hiérarchique.

En effet, Eriksson appartient à une organisation secrète présente sur tous les continents, dans plus de cent pays, le CFR, dont le travail principal consiste à modifier la réalité en inventant des scénarii. Ces derniers prennent appui sur différentes sources qui ont elles-mêmes été modifiées ou créées de toutes pièces par les agents du CFR, afin de rendre le scénario crédible. Ainsi le CFR est-il à l’origine du scénario ayant inventé l’envoi de la chienne Laïka dans l’espace à bord du vaisseau soviétique Spoutnik 2. Ce sont aussi les agents du CFR qui ont écrit un faux roman attribué ensuite à Alexandre Dumas, « Le chevalier de Sainte-Hermine » (pièce longtemps manquante de l’œuvre de Dumas, et publiée tardivement). Et d’autres inventions du CFR ont eu des retentissements historiques beaucoup plus importants…

Le CFR est divisé en centres, en bureaux et en antennes, comme celle de Reykjavik, installée au sein d’un cabinet d’études environnementales. Le CFR, initiales désignant probablement le « Consortium de Falsification du Réel » suit de grandes orientations définies par un Plan et dont les priorités sont fixées annuellement. Mais nul ne sait par qui et dans quel but…

Sliv peut choisir de ne pas travailler pour le CFR, mais il se prend au jeu, comme l’avait imaginé Gunnar en le recrutant. A partir de là, Antoine Bello nous emmène dans les coulisses d’un jeu infernal qui ne fait rien moins qu’orienter la destinée du monde. Nous suivons Sliv à Hawaï, puis en Argentine et en Sibérie où il est appelé à progresser au sein de la hiérarchie du CFR. Le chemin est difficile, comme le comprendra vite notre héros qui a fait preuve de légèreté et de naïveté en choisissant d’appartenir à cette organisation secrète dont il ne sait toujours rien –et nous non plus- à la fin du roman.

Le suspense est complet, mais « Les falsificateurs » est loin de se limiter à un thriller très bien ficelé. C’est avant tout un roman intelligent qui pose de nombreuses questions sur le monde globalisé que nous connaissons actuellement. Tout y est possible, et notamment la manipulation via la falsification des écrits. L’écrit qui joue un rôle central dans le CFR dont les agents sont en fait des écrivains doués d’une grande imagination. La manipulation est donc partout, et l’on se prend à se demander jusqu’à quel point elle l’est vraiment, hors de la fiction, dans les médias notamment.

Si vous êtes paranoïaque, abstenez-vous, car vous ne regarderez plus la réalité de la même façon. Vous ne pourrez même plus vous raccrocher à notre bonne vieille Histoire, qui a peut-être, elle aussi, été falsifiée depuis bien longtemps ! Si au contraire, comme moi, vous pensez que ce genre de roman  rend toute son importance à l’imagination, comme moyen au service de la littérature et de la réflexion sur le monde contemporain, alors foncez ! C’est une lecture jubilatoire qui se prolongera sans doute au long des deux tomes suivants, que j’espère savourer autant que ce premier volume.

 

Les falsificateurs, Antoine Bello, Folio n°4727, Paris, avril 2008, 589 p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge thriller et polar de Sharon

thrillerpolar-pativore1

 

Long week-end, de Joyce Maynard

long week-end Joyce MaynardAprès « L’homme de la montagne » paru l’été dernier, voici le deuxième roman que je lis d’une auteure américaine qui me plaît décidemment beaucoup, Joyce Maynard. « Long week-end » a été publié en 2009 aux États-Unis et traduit en français l’année suivante. Comme dans « L’homme de la montagne », on y retrouve plusieurs des ingrédients qui traversent les romans de Joyce Maynard, notamment les questions nées de l’adolescence et l’ambiance des années soixante-dix aux Etats-Unis.

Le narrateur est ici un garçon de treize ans, qui vit seul avec sa mère divorcée. Il rencontre son père chaque samedi soir pour un dîner devenu traditionnel, dans un restaurant des environs, en compagnie de Marjorie, la seconde femme de son père, et de leurs deux enfants, Richard et Chloé.

Le jeune garçon semble heureux, même s’il rêve souvent d’une vraie famille. Il s’entend très bien avec sa mère, Adèle, pourtant fantasque, du moins par rapport à ce que la norme exige alors. Ancienne danseuse, la jeune femme fuit le monde extérieur et a adapté son mode de vie et celui de son fils en conséquence : elle vend des vitamines par téléphone, elle fait ses courses par correspondance et n’effectue qu’une sortie de temps en temps, pour remplir le congélateur et la réserve de boîtes de conserves. Adèle n’a qu’une amie, Evelyn, mère d’un jeune garçon handicapé, mais elle la voit finalement très peu.

Bien sûr, comme vous vous en doutez, un élément perturbateur va remettre en question cette routine : il s’agit de Franck, qu’Adèle et son fils « rencontrent » au supermarché, lors d’une de leurs rares sorties. En réalité, cet homme est blessé et la rencontre n’est pas fortuite : il s’impose à Adèle et à son fils et les oblige à l’emmener chez eux, avec un mélange curieux de fermeté et de politesse.

«Je ne vais pas vous mentir. Ma situation est difficile. Des tas de gens refuseraient d’avoir le moindre rapport avec moi. Mais mon instinct me dit que vous êtes quelqu’un de très compréhensif.

Survivre en ce monde n’est pas une partie de plaisir, a-t-il ajouté. Parfois on a besoin de s’arrêter, de simplement s’asseoir et réfléchir. Rassembler ses pensées. Ne plus bouger. » (…)

« J’ai compris, brusquement, que les choses allaient changer. Nous voguions dans l’espace, maintenant, dans le noir, le sol allait peut-être disparaître et nous ne serions plus capables de dire où cette nacelle nous emmenait. Peut-être qu’on reviendrait. Peut-être pas ». 

Peu après leur retour à la maison avec Franck, celui-ci annonce tout simplement à Adèle et son fils qu’il s’est échappé de l’hôpital de la prison où il venait d’être opéré de l’appendicite et qu’il s’est blessé en sautant par la fenêtre. Mais il ne leur fera aucun mal, et au contraire, il leur offre ses services pour réparer tout ce qui a besoin de l’être dans la maison.

Le huis clos commence, pendant le dernier week-end avant la rentrée des classes. Dehors, l’atmosphère caniculaire est étouffante, mais dans la maison, elle devient d’abord légère…

J’ai beaucoup aimé ce roman, et toute l’humanité qu’il contient. Les personnages sont des êtres malmenés par la vie, dont le point commun est de ne rechercher qu’une chose, l’amour au sein d’une vraie famille. Ils sont calmes et justes, même s’ils souffrent, et ne se rebellent pas, cherchant au contraire à contourner ce qui a fait leur malheur. Joyce Maynard excelle à décrire les relations familiales de ce trio improbable, et saupoudre le tout d’une pointe de suspense, avec toujours beaucoup d’espoir et d’optimisme malgré les circonstances.

Long week-end, Joyce Maynard, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Adelstain, Editions 10/18 n°4411, avril 2013, 252 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois américain chez Titine

america

Marple, Poirot, Pyne … et les autres.

Marple Poirot Pyne et les autresCe petit volume de la collection le Masque contient huit nouvelles qui ont été écrites par Agatha Christie, entre 1924 et 1954 :

Le mot pour rire (1941) : un jeune couple qui doit bientôt se marier vient d’hériter d’un grand-oncle commun, mais pas moyen de trouver le trésor, bien que tous deux aient fouillé de fond en comble la propriété du défunt. Miss Marple, qui leur a été présentée par une amie, utilise, comme d’habitude, sa connaissance profonde de la nature humaine, pour trouver par une simple déduction la nature du trésor et l’endroit où l’oncle facétieux l’avait dissimulé.

Le mystère des régates (1936) : Le riche Mr Pointz promène sur son yacht une petite cour empressée et sans aucun doute intéressée. Il a l’imprudence de garder sur lui sa mascotte, un énorme et coûteux diamant. La jeune Eve le met au défi de réussir à faire disparaître ce diamant au cours d’un dîner. Mr Pointz accepte, pensant qu’il sera impossible à la jeune fille de réaliser ce défi sous ses yeux. Elle y parvient pourtant mais se met à pleurer quand elle ne retrouve pas le diamant. Appelé à la rescousse, l’enquêteur Parker Pynne démasque rapidement le gang responsable ainsi que le truc utilisé pour subtiliser la pierre.

L’intrigante de Pollensa (1935) : Mr Parker Pyne est en vacances sur l’île de Majorque où il espère goûter un repos bien mérité. Malheureusement, une compatriote anglaise qui séjourne avec son fils Basil dans le même hôtel que lui, entend vanter les qualités que Mr Pyne possède pour résoudre les problèmes. Elle est justement très malheureuse parce que son fils chéri vient de se fiancer avec une jeune fille « épouvantable » qui a « très mauvais genre » et demande au vieil homme de l’aider… ce qu’il fera, mais peut-être pas comme Mrs Chester l’entendait ! Une nouvelle plutôt romanesque et amusante, rien de policier cette fois.

Nous deux mon chien (1929) : Pas de crime non plus dans cette nouvelle sentimentale dans laquelle Agatha Christie nous présente une jeune veuve pauvre qui n’a plus que … son chien. Mais l’animal, dont elle ne veut se séparer, l’empêche de trouver une place pour subvenir à ses besoins. Il ne lui reste plus qu’à épouser un riche prétendant qu’elle déteste pourtant…

Droit d’asile (1954) : Bunch, la femme du pasteur d’un petit village, découvre un inconnu agonisant à l’intérieur de l’église. Il meurt, sans avoir eu le temps de prononcer autre chose que le mot « asile ». La police retrouve la sœur du mourant et son beau-frère, venus rechercher les effets personnels. Leur comportement étrange éveille les soupçons de Bunch qui se rend chez sa marraine, Miss Marple, pour demander conseil. Quelques détails mettent tout de suite la vieille dame sur la bonne voie…

Miss Marple raconte une histoire (1935) : Miss Marple s’adresse à deux jeunes proches et leur fait part de son expérience dans une affaire illustrant « la myopie du spécialiste » : il s’agit du meurtre d’une jeune femme qui avait été à plusieurs reprises menacée par la mère d’une enfant qu’elle avait renversé en voiture.

La providence des amants (1927): le colonel Melrose et Mr Satterthwaite sont deux amis que tout oppose, et ils se trouvent ensemble devant une affaire à élucider : Sir James Dwinghton a été retrouvé assassiné dans sa bibliothèque, et des indices trop évidents imposent une enquête approfondie. D’autant que Lady Dwinghton et le beau Paul Delangua se dénoncent tour à tour, s’accusant chacun d’avoir assassiné la victime, l’une avec un revolver, l’autre avec une dague, tandis que la véritable arme du crime est une statuette de bronze !

Vol de bijoux à l’hôtel Métropole (1924) : Hercule Poirot est invité par un ami à passer un week-end au Grand Hôtel Métropole de Brighton. Ils y rencontrent Mr et Mrs Opsalen, dont la fortune s’illustre autour du cou de Mrs Opsalen. Celle-ci monte d’ailleurs dans sa chambre pour aller chercher son plus beau collier de perles afin de le faire admirer à Poirot et à son ami. Elle découvre que la parure n’est plus à sa place, dans la chambre gardée par sa bonne française, au-dessus de tout soupçon. Heureusement que Poirot est là pour déjouer un coup monté très ingénieux !

Au total, on retrouve le talent de la célèbre auteure, à travers ces courtes enquêtes où s’exercent les compétences de divers détectives, Miss Marple, Hercupe Poirot, et Parker Pynne qui ont tous en commun un sens aigu de l’observation du comportement humain, associé à celui de la réflexion. Le tout dans le style classique d’Agatha Christie, délicieusement désuet, qui nous plonge dans un univers bien éloigné des romans policiers d’aujourd’hui ! Un vrai régal pour les amateurs du genre…

Marple Poirot Pyne...livre de poche

 

Marple, Poirot, Pyne… et les autres, Agatha Christie, traduit de l’anglais par Michel Averlant, Le Masque n°1832, Paris, 1986, 188 p.

Au Livre de poche, Paris, 1997, 160 p.

 

Livre lu dans le cadre du Challenge Polars et Thrillers chez Sharon et A year in England chez Titine.

thrillerpolar-pativore1logo-by-eliza1

 

Le bout du monde, Edith Reffet

le bout du monde edith reffetVoici un roman qui ne figurait pas dans ma liste de lectures pour les vacances, mais qui représente une belle découverte faite en juillet dans une petite librairie de montagne : « Le Bout du Monde, nos plus belles années », éditée par une maison d’édition varoise « Parole Editions ». Ce roman d’Edith Reffet (1923-2008) a été publié à titre posthume par sa fille en 2008. Edith Reffet avait déjà publié quelques romans sous son nom d’épouse, Edith Kespi, notamment chez Flammarion en 1956. Elle est également l’auteur de livres pour enfants.

Edith Reffet était institutrice, une carrière qu’elle a commencée dans un village perdu au fond d’une vallée du Beaufortain, à une dizaine de kilomètres d’Albertville. C’est de cette première expérience qu’elle a tiré ce beau roman qui n’est qu’en partie autobiographique.

Après trois ans passés à l’Ecole Normale à Chambéry, Suzanne, la narratrice, obtient son premier poste d’institutrice en octobre 1943, dans un village au nom évocateur : « Le Bout du Monde ». C’est d’ailleurs un chemin à mulet qui permet d’accéder à l’école, située en lisière d’une magnifique forêt. Suzanne s’installe dans l’appartement de fonction au-dessus de l’école, seule. Elle n‘a que vingt ans. Orpheline, elle a été élevée par son oncle, et aidée par d’anciens amis de ses parents, propriétaires du bel hôtel Magnin à Albertville. Ce sont les parents d’Hélène, une jeune fille de son âge dont elle est très proche. Mais sa meilleure amie est Jo, rencontrée à l’Ecole Normale, une fille très belle, pleine de vie, trop parfois.

Suzanne vit ce premier hiver au Bout du Monde dans le plus grand isolement. Heureusement, elle trouve souvent refuge chez une vieille voisine presque aveugle, Mémé Mollard, qui est toujours là pour la rassurer. Les nuits d’hiver sont longues et noires au Bout du Monde, et les veillées chez Mémé Mollard sont l’occasion de rencontrer Roger, dont Suzanne tombe éperdument amoureuse. Mais Roger est aussi le Capitaine Vial, chef des maquisards de la région.

Montée au Bout du monde pour rendre visite à son amie Suzanne, Hélène y rencontre le Capitaine Vial et entre dans la Résistance à ses côtés. Deviendra-t-elle une rivale pour Suzanne, qui s’applique à faire taire sa jalousie ? Pendant de temps, Jo, nommée aux Fougères, un autre village de la région, descend régulièrement à Albertville où elle mène une vie dissolue. Elle finit par s’éprendre de Freidrich, un officier allemand qu’elle espère épouser après la guerre.

Dans ce roman tiré de son journal, l’auteure évoque avec justesse et sensibilité l’isolement vécu pendant ses années de jeunesse, la force de l’amitié et la naissance de l’amour. Le ton d’Edith Reffet est parfois grave mais jamais pesant et il est servi par une belle écriture.

On y rencontre des personnages attachants, comme la narratrice Suzanne, jeune fille d’une grande maturité, amie fidèle et sincère, amoureuse déçue qui a conscience de perdre les plus belles années de sa vie. Il y a aussi Hélène, jeune fille gâtée par la vie, droite et entière, secrète et farouche. Et surtout Jo, au caractère rebelle, qui aime passionnément la vie, ce qui lui fait commettre des erreurs fatales, jusqu’à la plus terrible de toutes.

Je vous recommande ce roman qui nous plonge dans l’atmosphère particulière des années de guerre en montagne, où les sentiments paraissent comme amplifiés par l’isolement et l’éloignement. Une auteure dont j’aimerais découvrir d’autres livres…

Le Bout du Monde, nos plus belles années, Edith Reffet, collection main de femme, Editions parole, Bauduen (département du Var), décembre 2010, 320 p.

Challenge Destination PAL : atterrissage, ma PAL d’arrivée

Le challenge Destination PAL organisé par Lili Galipette  est arrivé à son terme, tout comme les vacances, le 1er septembre. Il est temps de faire un petit bilan et voici donc, parmi ma PAL de départ, les livres lus (barrés) :

Destination PAL

 

-Prenez soin du chien, J.M Erre.

-Long week-end, Joyce Maynard.

Tar Baby, Toni Morisson.

-Fragonard, l’invention du bonheur, Sophie Chauveau.

-Les falsificateurs, Antoine Bello.

-Intrigue à l’anglaise, Adrien Goetz.

-Intrigue à Versailles, Adrien Goetz.

-Intrigue à Venise, Adrien Goetz.

-Un tour de passe-passe, Marco Malvaldi.

-Marie-Antoinette, de Stephen Zweig.

-Ruy-Blas, de Victor Hugo.

-Indiana, George Sand.

 

Bilan :   8 livres lus sur 12 prévus, mais je n’ai pas pu résister à quelques achats en librairie pendant mes vacances et j’ai lu en plus :

 

-Le bout du monde, Edith Reffet, dont la chronique suivra aujourd’hui.

-Anna de Noailles au bord du Léman, Marie-Victoire Nantet.

Le Paris de Modiano, Béatrice Commengé.

Sang dessus dessous, Claude Izner

-Marple, Poirot, Pyne et les autres, Agatha Christie

-La concession du téléphone, Andrea Camilleri.

Hiver noir, Cecilia Eckbäk.

 

Pour conclure, il a été difficile pour moi de me contraindre à respecter totalement mon premier choix : d’abord parce que j’aime suivre mes envies quand je lis, et celles-ci sont dictées par toutes sortes de considérations, comme mon humeur bien sûr, mais aussi la météo, et surtout le choix que je découvre en librairie sur mes lieux de vacances. Néanmoins, ce fut une bonne méthode pour préparer mes bagages, car elle n’autorisait plus de tergiversations de dernière minute !

 

 

Mystère rue des Saints-Pères : Victor Legris, libraire et détective

Mystère rue des Saints-Pères, IznerPour ce premier tome des enquêtes de Victor Legris, l’auteur, Claude Izner -ou les auteures, puisque Izner est le pseudonyme adopté par deux sœurs-, nous plonge au cœur de l’exposition universelle de 1889, à Paris.

Victor Legris, jeune libraire, a rendez-vous avec son ami journaliste Marius Bonnet et son associé et père adoptif, Kenji Mori, au premier étage de la toute nouvelle Tour Eiffel. Marius annonce à son ami la création d’un nouveau quotidien, Le passe-partout, dont il est directeur et rédacteur en chef, et lui propose d’en assurer les chroniques littéraires. Il en profite pour présenter à Victor ses futurs collègues, dont la très charmante Tasha Kherson, illustratrice et caricaturiste.

Au même moment, une jeune femme qui visite la Tour Eiffel avec ses trois neveux, se sent mal suite à une piqure d’abeille, et s’effondre, morte. C’est un scoop pour Le passe-partout et les journalistes saisissent aussitôt cette occasion en or. Victor Legris se trouve malgré lui pris par ce qu’il considère rapidement comme un meurtre et mène l’enquête, délaissant la librairie qu’il laisse aux bons soins de son commis, le jeune et brillant Joseph. Son énigmatique associé, Kenji Mori en fait de même, absorbé lui aussi par d’étranges rendez-vous…

J’ai beaucoup aimé le charme subtil de ce roman dont l’intérêt principal réside, à mon avis, non pas dans l’intrigue policière, mais bien dans l’évocation du Paris de cette fin XIXème qui regorge d’artistes : on croise des écrivains, des peintres impressionnistes –tels Van Gogh et Cézanne, alors boudés par le public. La librairie de la rue des Saints-Pères est prétexte à disséminer dans le roman de multiples références littéraires de l’époque. On rencontre ainsi différents auteurs oubliés de nos jours. On se retrouve dans l’ambiance du journalisme et des débuts de la photographie, et les détails fournis par l’auteur sur l’art, la technique (la linotype), ou la multiplication des courants littéraires, parviennent à plonger le lecteur dans l’ambiance particulière de cette fin de siècle.

« Mystère rue des Saints-Pères » est en outre un roman très bien écrit, qui se termine sur une histoire d’amour, dont on imagine qu’elle se poursuivra dans le deuxième tome. A suivre donc…

Mystère rue des Saints-Pères, Claude Izner, 10 /18 n° 3505, collection Grands Détectives, Paris, mars 2003, 283 p.

 

Livre lu dans le cadre d’une lecture commune organisée par Bianca, avec Bianca, Céline, Fanny, Camille, Laure et Claire dont vous retrouverez les avis ici.

Et du challenge Polar historique chez Sharon

challenge-polar

 

 

Tar baby, Toni Morrison

Tar baby Toni MorissonVoilà un petit moment que « Home » de Toni Morrison trône sur ma bibliothèque, mais je n’ai jamais réussi à le lire. J’ai parfois parcouru les premières pages sans conviction, et j’ai fini par le ranger, toujours à portée de main, pour un autre jour… Je ne saurai dire pourquoi, sans doute une question de moment ou de priorité. Toni Morrison faisait partie des auteurs que je voulais lire, mais il y en avait tant d’autres qui m’attiraient bien davantage !

Alors le Blogoclub de Sylire est tombé à point nommé pour me sortir de cette impasse, et plutôt que de me précipiter sur « Home », j’ai lu quelques critiques de l’œuvre de Morrison, avant de choisir « Tar Baby », un roman publié en français en 1996, écrit en 1981 et qui se déroule à la fin des années soixante-dix, principalement dans les Caraïbes, et un peu aux Etats-Unis.

***

« L’Arbre de la Croix » est une grande et magnifique maison, entourée d’un élégant jardin, au sein de la végétation luxuriante de l’Isle des Chevaliers. Résidence d’hiver de riches américains, elle appartient à Valerian Street, héritier d’une lignée de fabricants de bonbons, qui décide d’y passer sa première année de retraite. De Philadelphie, il ne regrettera que les hortensias, et le facteur, mais la construction d’une nouvelle serre lui permet de cultiver sa passion pour l’horticulture pendant des heures, en méditant sur fond de musique classique, pour son plus grand bien et celui de ses plantes chéries. Malgré cela, Valerian traîne son ennui. Il ne sait pas pourquoi il est venu passer sa retraite aux Caraïbes, il sait juste qu’il se sentait étranger à Philadelphie, dans sa propre ville.

« Le problème insoluble du vieillissement, ce n’était pas la façon dont il changeait, mais celle dont les choses changeaient. Une condition qui n’était supportable que dans la mesure où il y en avait d’autres comme lui pour partager cette connaissance ». (p202)

Valerian est marié à la « Plus Belle », Margaret, qui a vingt ans de moins que lui. Margaret s’ennuie profondément sur l’île. Elle n’y passe d’ailleurs pas l’ensemble de l’année mais elle fait des allers et retours entre la Dominique et Philadelphie. Les ont suivis sur l’Isle des Chevaliers, un couple de noirs américains, le maître d’hôtel, Sydney, et son épouse qui est cuisinière, Ondine. Ils n’ont pas d’enfants, mais se sont occupés de leur nièce orpheline, Jadine, une jeune métisse à laquelle Valerian a payé de longues études aux Etats-Unis et en France. Jadine voyage beaucoup, et vient de temps en temps rendre visite à Sydney et Ondine, ainsi qu’à Valerian et Margaret, qu’elle considère comme faisant partie de sa famille.

Nous sommes justement à quelques jours de Noël et les préparatifs vont bon train. Margaret a décidé pour une fois de préparer elle-même le repas de fête, pour faire plaisir à son fils, Mickael,  qu’elle n’a pas vu depuis longtemps et qui fera le voyage des Etats-Unis pour l’occasion.

Soudain, un cri retentit depuis la chambre de Margaret qui vient de découvrir, caché dans sa penderie, « un nègre sorti de nulle part ». Contre toute attente, le maître de maison, Valerian, invite l’inconnu à la table familiale et lui donne une chambre pour la nuit. La famille, y compris les domestiques noirs, prêts à appeler la police, sont d’abord médusés, puis scandalisés par la provocation de Valerian, d’autant qu’il apparaît que l’homme se cachait depuis plusieurs jours dans la maison et y avait volé de la nourriture.

A partir de là, l’ordre apparent de la maison est bouleversé. Le vernis se craquelle, les apparences laissent entrevoir une nouvelle réalité. L’homme noir, vagabond échappé d’on ne sait où, arrivé par bateau, devient le personnage central. Il s’appelle Fils, est originaire d’un petit village de l’Alabama et tombe rapidement amoureux de la très jolie et intelligente Jadine.

***

« Tar baby » nous présente un galerie de personnages aux caractères riches et variés. Fils tout d’abord, incarne l’innocence originelle. Il veut vivre dans son village, Eloe, et non à New York. Il ne veut pas renoncer à ses origines. Il s’étonne devant la peur de Jadine de vivre tranquille, d’élever des enfants :

« Elle n’arrêtait pas de lui casser les oreilles à propos d’égalité, d’égalité des sexes, comme s’il pensait que les femmes étaient des inférieures. Il n’arrivait pas à comprendre ça ». (p378)

Il y a les deux domestiques noirs, Sydney et Ondine, qui ont tout sacrifié à leurs maîtres et ne peuvent s’affranchir, puisqu’ils dépendent d’eux pour leur retraite. Alors comment peuvent-ils accepter qu’un autre noir, débarqué de nulle part, soit accueilli à bras ouverts et qu’ils doivent en outre le servir comme un invité blanc ?

Il y a la relation très complexe entre Margaret et son fils, entre Valerian et son fils, mais aussi entre les deux époux, Valerian et Margaret, dont on ne sait pas ce qui les a rapprochés, puisqu’ils viennent de milieux sociaux très différents. Un schéma que Jadine tend à reproduire avec Fils, mais qui ne fonctionne pas pour Jadine, qui n’a pas les mêmes objectifs que Fils, lui  qui n’a aucune ambition sociale.

Et surtout il y a Jadine, qui grâce à l’argent d’un riche Blanc, Valerian, est diplômée de la Sorbonne. Elle se sent tiraillée entre deux cultures, et apparaît aux Noirs (Fils, Sydney et Ondine) comme une traître, celle qui choisit d’aller vivre à Paris, abandonnant son oncle et sa tante, surtout Ondine, à laquelle elle lance qu’elle ne veut surtout pas ressembler.

***

Les thèmes sont nombreux, et les questions relatives au racisme sous toutes ses formes n’est pas l’unique moteur du roman. L’amour est aussi très présent, ainsi que les éléments qui peuvent unir et séparer les couples. Les personnages sont complexes, et les relations entre les êtres rendues plus difficiles encore par leur différences d’origines, à la fois raciales et sociales.

Toni Morrison a le grand talent de parvenir à dénoncer les stéréotypes raciaux et sociaux sans être moralisatrice ni manichéenne :  d’une part parce que chacun, noir, blanc, métis, en prend pour son grade, et d’autre part parce que l’auteure ne propose pas de solution, les difficultés relationnelles étant inhérentes à la condition humaine. Mais « Tar baby » ne saurait se résumer à cela : c’est avant tout une très belle langue, et c’est surtout ce qui m’a plu dans ce roman, qu’il s’agisse des descriptions de la nature luxuriante de l’Isle des chevaliers, comme des joutes oratoires entre les personnages.

 

Tar baby, Toni Morrison, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Guiloineau, 10/18, Paris, n°2379, mars 2007, 413 p.

 

Lu dans le cadre du blogoclub de Sylire et Lisa

blogoclub

Le billet de Sylire sur « Un don« ,  Enna sur « Un don« ,

Hélène sur « Home« ,

Gambadou sur « Délivrances« ,

Ellettres sur « Beloved« , Claudia Lucia sur « Beloved« ,

Titine sur « Sula »,

Challenge Destination PAL