Archive | décembre 2014

Sauver Noël, de Romain Sardou

sauver noelJ’ai découvert ce conte de Noël grâce au club de lecture Babelio. Je ne connaissais pas cet auteur et n’avais donc pas lu le premier conte, mais cela n’a pas du tout gêné ma lecture, puisque le résumé d’ « Une seconde avant Noël » inséré à la fin du livre m’a juste dévoilé l’information dont j’avais besoin.

Nous sommes à Londres en 1854. Le Père Noël est apparu pour la première fois l’année dernière. Mais son existence est déjà remise en question : en effet, en ce matin de Noël, une énorme déception attend la famille de Lord Balmour : aucun cadeau n’a été déposé au pied du sapin pour les enfants sages de la maisonnée, les trois enfants du Lord, et Zoé, la fille de la gouvernante. Ni pour tous les autres enfants d’Angleterre, et certainement du monde entier.

Quelques semaines auparavant, la gouvernante de la famille Balmour, Gloria Pickwick, avait remarqué les étranges allées et venues, rares et toujours nocturnes, qui animaient parfois la maison voisine depuis qu’un certain Baron Ahriman était venu s’y installer. Que pouvait-il bien se tramer derrière ces murs aux fenêtres toujours closes ? La découverte d’un enfant bien particulier dans la sombre maison amène alors Mme Pickwick à se demander si le Baron Ahriman n’a pas quelque chose à voir avec la disparition du Père Noël. Intrépide, pleine de générosité et pourtant très rationnelle, la gouvernante va se lancer à la poursuite de créatures magiques, au cours d’un voyage insolite vers l’Irlande, dans l’objectif de … sauver Noël !

Ce conte est une lecture très agréable, rapide, à savourer au chaud dans un canapé en attendant le Père Noël, qui sera bien à l’heure le 25 décembre ! Nous aurons juste une petite pensée ce jour-là pour Gloria Pickwick !

Sauver Noël, Romain Sardou, Editions Pocket n° 13385, octobre 2008, 200p.

Sous les couvertures, de Bertrand Guillot

Sous les couvertures est un livre qui parle des livres, comme la couverture colorée le laissait deviner. Je l’ai choisi dans le cadre des « matchs de la rentrée littéraire », opération organisée par Price Minister, que je remercie d’ailleurs de m’avoir envoyé ce roman.

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Sous les couvertures, la révolte gronde. Les livres sont à l‘image des hommes : il en est de toutes sortes et entre eux naissent des affinités, des amitiés, mais aussi des rivalités. C’est toute une vie qui se réveille dès que les librairies sont fermées. N’y avez-vous jamais pensé ?

Ce vieux libraire de quartier en a parfois l’intuition. En fermant sa librairie, il lui arrive de se demander ce que les livres peuvent bien faire pendant la nuit. Ne sont-ils pas animés d’une vie propre ? Imaginer cela le console des difficultés qu’il rencontre dans son métier, qui commença avec la concurrence des grandes surfaces tout d’abord puis, bien plus grave, de la vente en ligne par des géants du commerce qui dictent leur loi du plus fort à tous, mettant en péril ce métier, comme tant d’autres. Le vieux libraire est bien triste, il ne comprend plus l‘époque dans laquelle il vit et refuse de s’y adapter, ayant accepté pour toute concession à son banquier l’installation d’une table consacrée aux best-sellers, près de la caisse de la librairie.

Cette concession, les livres du Boudoir ne l’ont pas digérée, eux. Rangés dans la pièce du fond de la librairie, leur existence est remise en cause par le succès des meilleures ventes. En effet, s’ils ne sont pas achetés sous peu, ils finiront au pilon et c’est justement lundi matin que le libraire et sa jeune apprentie ont décidé de préparer le carton des retours. Il n’en faut pas plus pour que, dès que le vieux libraire tourne la clé dans la serrure, les livres se mettent à discuter, échangeant leur peur de finir au pilon. L’angoisse montant, certains cèdent même à la panique, tandis que d’autres gardent leur sang-froid.

C’est le cas de Grand, livre volumineux et ambitieux, dont les personnages sont des vieillards rebelles qui ont entrepris de s’échapper de leur maison de retraite. Certes, depuis deux mois qu’il est au fond de la librairie, Grand a dû se résigner, aucun client ne l’ayant consulté. Avec deux amis, Conteur et Junior, il décide pourtant d’organiser la révolte, en suivant les conseils avisés du Prince et de Spartacus : ils commencent par monter une opération éclair afin de dérober aux best-sellers leur jaquette clinquante, jusqu’à finalement leur livrer une véritable guerre digne de ce nom, alternant assaut et siège de la table des ventes vedettes.

Si la description de la bataille des livres est un peu longue, on s’amuse néanmoins à reconnaître les ouvrages auxquels l’auteur fait allusion et cela fait de Sous les couvertures un livre original et très divertissant. Les personnages sont très attachants : le vieux libraire est nostalgique d’un passé plus riant et il se détache peu à peu d’un métier qui fut sa passion pendant des décennies. Comment ne pas comprendre cet homme dont les repères disparaissent peu à peu et qui a bien du mal à remettre en question ce qu’il a connu durant toute une vie, ce qui est le lot de beaucoup de personnes âgées aujourd’hui ? Son portrait est donc particulièrement bien brossé, tout comme celui de Sarah, jeune apprentie enthousiaste qui fourmille d’idées qu’elle aimerait pouvoir concrétiser afin de moderniser la librairie et répondre ainsi aux nouveaux défis.

Aussi opposés qu’ils soient, le vieux libraire et Sarah sont bien démunis face à la vente en ligne, aux tablettes et autres liseuses, mais aussi face au monde de l’édition qui ne les aide même plus, étant trop occupé à élaborer de nouvelles stratégies pour tirer son épingle du jeu. Sans parler des banquiers qui ne font plus confiance aux libraires, ni même des lecteurs, dont beaucoup ont pris de nouvelles habitudes.

Bertrand Guillot signe ici un roman très divertissant qui a le mérite d’attirer l’attention sur les problèmes que connaît le monde du livre, sans pour autant ennuyer le lecteur. Je n’ai donc pas regretté mon choix, même si plusieurs autres ouvrages participant à ces matchs de la rentrée littéraire étaient très alléchants. Voici dons mes notes pour chacun des trois critères fixés cette année.

Qualité de l’écriture : 4/5. Indéniablement bien écrit, fluide, avec quelques trouvailles et bons mots.

Plaisir à la lecture : 3/5. Je lui aurais attribué un 4 s’il n’y avait eu ces quelques longueurs lors de la bataille des livres.

Originalité du livre : 4/5. Pour la façon dont le thème est traité. Des livres vivants, les grands lecteurs en ont tous rêvé !

Sous les couvertures, Bertrand Guillot, Editions Fromentin, 2014.

 

Lecture faite dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire de Price minister, que je remercie pour ce livre. Vous pouvez cliquer ici pour découvrir les sélections, les avis des autres blogueurs, ainsi que le livre vainqueur (le 31/12/14).

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Terminus radieux, Antoine Volodine

Terminus radieuxTerminus radieux est le premier livre que je lis d’Antoine Volodine, et c’est une vraie découverte pour moi qui n’avais jamais entendu parler de la littérature post-exotique, dont il est le principal et, semble-t-il, l’unique représentant. C’est en effet tout un monde qu’il a créé au sein d’une œuvre riche de presque vingt romans, y compris quelques « narrats, romances et entrevoutes » où l’on retrouve des références et explications propres à l’œuvre elle-même.

Terminus radieux s’ouvre sur la fuite de trois combattants égalitaires, deux mois après la chute de l’Orbise, capitale de la Deuxième Union soviétique, suite à la reprise du pouvoir par les Barbares : nous sommes dans le futur sans savoir quand précisément. Les trois camarades résistants, Kronauer, Illioutchenko et Vassilissa Marachvili franchissent la frontière qui interdit l’accès aux territoires vides, immense zone de désolation exposée aux radiations depuis des décennies, depuis les catastrophes nucléaires en chaine qui ont dévasté toute vie humaine et animale dans les steppes de la Sibérie.

Après avoir marché vingt-neuf jours, épuisés, l’organisme rongé par les radiations, les trois amis arrivent près d’un ancien kolkhoze, « Etoile Rouge », en même temps qu’un étrange convoi transportant des soldats et des prisonniers que l’on retrouvera plus loin dans le récit. Vassilissa est mourante et Kronauer décide de partir à la recherche d’eau et de soins, en direction d’un village. L’auteur nous présente Kronauer, un homme d’action qui voulait en découdre avec les ennemis de l’Orbise :

 

« Sa vision du monde était illuminée par la morale prolétarienne : abnégation, altruisme et combat. Et comme nous tous, bien sûr, il avait souffert des reculs et des effondrements de la révolution mondiale. Nous n’arrivions pas à comprendre comment les riches et leurs mafias réussissaient à gagner la confiance des populations laborieuses. Et avant la rage c’est d’abord l‘ahurissement qui nous saisissait lorsque nous constations que les maîtres du malheur triomphaient partout sur le globe et étaient sur le point de liquider les derniers d’entre nous. Nous n’avions aucune explication quand nous nous interrogions sur les mauvais choix de l’humanité. L’optimisme marxiste nous interdisait d’y voir les preuves de graves défauts dans le patrimoine génétique de notre espèce, une attirance imbécile pour l’autodestruction, une passivité masochiste devant les prédateurs, et peut-être aussi et surtout une inaptitude fondamentale au collectivisme. « (p36)

 

Kronauer traverse donc seul la steppe et arrive au kolkhoze de « Terminus radieux » qui porte bien mal son nom : un terminus, il en fut un pour la plupart de ses habitants, et il en sera un pour les survivants, à quelques exceptions près. Mais l’endroit n’a rien de radieux, bien au contraire : de sombres ruines d’un complexe agricole humide, froid et désert, où ne restent que les déchets irradiés d’une civilisation industrielle et quelques humains, « ni morts, ni vivants », êtres mutants qui souffrent d’immortalité !

C’est le cas de la Mémé Oudgoul, survivante désormais légendaire, qui fut en son temps une des plus valeureuses figures de la Deuxième Union soviétique et donc « représentante de l’héroïsme soviétique », et qui nourrit chaque jour la Pile en éruption, ou ce qu’il reste d’une centrale nucléaire devenue folle et qui s’est enfoncée dans le sol, creusant un puits de deux kilomètres de profondeur : une sorte de divinité nucléaire qui diffuse sa chaleur empoisonnée dans tout le kolkhoze.

Il y a également le mari de la Mémé Oudgoul, le président du kolkhoze, Solovieï, sorte de géant hirsute et repoussant, doué entre autres du don d’ubiquité et de la faculté de s’introduire dans les esprits et les pensées de ses filles qu’il contrôle et manipule à sa guise. Solovieï est un homme-corbeau, celui qui tire les ficelles de l’immense pièce de théâtre dans laquelle jouent les humains.

 

« Solovieï, pensa-t-il avec dépit. Lui de nouveau. il m’était sorti de l’esprit. Ce nécromancien des steppes, le voilà qui revient. Cet ignoble marieur de kolkhoze, ce récupérateur de cadavres, cette mauvaise ombre, ce géant imperméable aux radiations, cette autorité chamanique de nulle part, ce président de rien, ce vampire à apparence de koulak, ce type bizarre installé sur un tabouret, cet abuseur, ce dominateur, ce type louche, ce type inquiétant, cette créature de réacteur nucléaire, ce magnétiseur sans dieu ni maître, ce manipulateur, ce monstre appartenant à on ne sait quelle catégorie puante » (p245).

Sans oublier les trois filles de Solivieï, sœurs nées de mères inconnues, qui n’ont rien en commun, si ce n’est d’avoir été toutes trois irradiées et d’être des mortes-vivantes, et pourtant immortelles, comme leur père.

Arrivé à Terminus Radieux, Kronauer apprend que Solovieï et Morgovian, son gendre, sont partis vers « Etoile rouge », afin de s’occuper de Illioutchenko et Marachvili qui l’attendaient près de la voie ferrée. Il espère donc leur arrivée prochaine. Bien sûr, rien ne se passera comme il l’aurait voulu et le lecteur suivra le parcours sans fin de ces héros au destin accablant, à l’instar de ce train qui tourne en rond depuis des années, sans ravitaillement, au milieu de paysages infinis, à la recherche d’un hypothétique camp qui accepterait d’accueillir soldats et prisonniers unis dans un même voyage absurde.

Antoine Volodine entraîne en effet le lecteur dans un univers particulier, à la recherche du « havre concentrationnaire » des camps  qui  représentent, pour les survivants de l’Orbise, le bonheur face à la « barbarie inégalitaire » qui règne à l’extérieur. Les personnages ne doivent leur salut qu’à des rations de « Pemmican », une sorte de pâte de nourriture concentrée. Ils ne rencontreront jamais la quiétude mais traverseront des aventures sombres, répétitives et envoûtantes où la force de l’écriture de Volodine est de nous emmener toujours plus loin dans l’horreur sans nous lasser. A l’exception de quelques longueurs toutefois, lorsque Solovieï se livre à ses litanies oniriques, hallucinées. Mais l’auteur d’ailleurs fait aussi preuve d’autodérision :

 

« Elle n’a pu éviter les tics d’auteur. Elle ou moi peu importe. Elle n’a pu éviter de revenir, sinon régulièrement, du moins avec une certaine constance, à des scènes et à des situations fondatrices, à des images par lesquelles elle retrouvait les héros et les héroïnes qu’elle avait perdus… »(p602).

C’est d’ailleurs dans la toute dernière partie du roman que l’auteur nous donne plusieurs clés et explications sur son œuvre.

Au total, le roman d’Antoine Volodine appartient à une littérature qui fait la part belle à l‘imaginaire, mais qui se veut … hors de toute littérature. Volodine définit le post-exotisme qu’il a créé comme « une littérature située ailleurs et, en quelque sorte, venue d’ailleurs, une littérature étrangère » qui « contient en elle-même ses propres explications, son système d’images, ses traditions »1.

C’est toute la définition de ce roman qui a reçu le Prix Médicis 2014.

 

Terminus radieux, Antoine Volodine, Seuil, Paris, Août 2014, 617 p.

 

 

1 Interview à Libération le 12 mars 1998 : « Volodine, le post-exotique »,  de JD Wagneur.