Louki ou l’art de la fugue

Pour cette lecture commune du blogoclub de Sylire, j’ai choisi un roman relativement récent de Patrick Modiano, « Dans le café de la jeunesse perdue », publié en 2007. Un très beau roman, émouvant et troublant, qui guide le lecteur dans un Paris onirique, à la recherche de Louki, une jeune femme de 22 ans.
De Louki, nous ne savons d’abord presque rien, sinon qu’elle n’est pas étudiante, mais passe de nombreuses heures dans un café du quartier de l’Odéon, Le Condé. La clientèle du café est étrange, différente de celle des autres établissements du quartier latin. À moins que ce ne soit Louki et quelques autres habitués qui confère au Condé ce caractère étrange.
Louki, ce n’est pas son vrai nom, mais celui que lui ont donné les fidèles du café. Louki est parfois assise seule. Il lui arrive aussi de se mêler à certains groupes de clients ; ce sont d’autres jeunes de son âge, pour la plupart, qui vivent « à l’ombre de la littérature et des arts » et qui boivent beaucoup : ils constituent la jeunesse perdue. Mais Louki est différente.
Le premier narrateur est un ancien étudiant de l’Ecole des Mines. Il se souvient de Louki et s’interroge sur son passé : d’où venait-elle ? Pourquoi toutes ces heures passées au Condé ? Autre chapître, autre narrateur ; celui-ci, plus âgé, est un ancien des Renseignements généraux qui enquête sur Jacqueline Delanque, le vrai nom de Louki. Il possède deux photomatons de Louki, confiés par son mari deux mois après la disparition de Louki. Le détective retrouve Louki au Condé, mais renonce finalement à révéler à son mari où elle se trouve.
Louki prend ensuite la parole et se retourne sur son enfance solitaire, lorsqu’elle s’aventurait seule, la nuit, dans les rues de Paris, tandis que sa mère travaillait comme ouvreuse au Moulin Rouge. C’est enfin Roland qui termine, ami -ou amant ?-, mystérieux également, qui partageait avec Louki un certain intérêt pour l’ésotérisme.
Modiano nous emmène ainsi sur les traces de Louki, à la recherche de son passé et des raisons qui l’ont amenée au Condé. « Dans le café de la jeunesse perdue » établit peu à peu le portrait d’une jeune femme mystérieuse, à travers le récit de quatre narrateurs, un étudiant, un détective, Louki elle-même et enfin, Roland. Rien de bien extraordinaire ne se dégage de ce portrait, une vie banale, que l’auteur sublime pourtant. Comme à son habitude, Modiano nous promène dans un Paris où la géographie l’emporte sur le temps.
En effet, l’époque est difficile à situer précisément. Rien ne l’indique vraiment, malgré quelques références aux années soixante. Et d’ailleurs, peu importe, puisque Modiano nous entraîne sur le thème de l’Eternel retour et c’est sans doute ce qui confère cette poésie particulière au roman. L’Eternel retour, que Roland a expérimenté, une seule fois dans sa vie, et c’était avec Louki : « je suis resté un moment immobile et je lui ai serré le bras. Nous étions là, ensemble, à la même place, de toute éternité, et notre promenade à travers Auteuil, nous l’avions déjà faite au cours de mille et mille autres vies. Pas besoin de consulter ma montre, je savais qu’il était midi ».
Les lieux sont, quant à eux, explicites : l’Odéon, le Moulin Rouge, Neuilly, la place de l’Etoile. Les trajets de Louki s’y inscrivent et l’on recherche avec les différents narrateurs leur signification. Le lecteur erre également avec Modiano dans les « zones neutres » de Paris, la rue d’Argentine par exemple, où habitent des dizaines d’ « absents », ces gens à la recherche d’une identité.
On retrouve dans ce roman l’un des thèmes majeurs de l’œuvre de Modiano, la quête de l’identité de l’autre : « On dit tant de choses… Et puis les gens disparaissent un jour et on s’aperçoit qu’on ne savait rien d’eux, même pas leur véritable identité ». Comme Louki, qui à la fin du roman reste pour toujours une héroïne insaisissable.
Dans le café de la jeunesse perdue, Patrick Modiano, Folio n°4834, 2008,160 p.
Lecture commune faite dans la cadre du Blogoclub de Sylire et Lisa
