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Chevreuse, Patrick Modiano

Pas de chroniques depuis deux mois car, même si les lectures se sont enchaînées, bien peu m’ont « transportée ». Ce terme ancien n’est plus utilisé et pourtant il évoque ce que j’attends d’une lecture, m’émouvoir, m’étonner, me ravir, me captiver et bien sûr, induire une réflexion et laisser des traces… Alors, j’hésite à me tourner pendant quelques temps vers des classiques. En attendant, heureusement, il y a Modiano !

Dès les premières pages, nous voici plongés dans cette atmosphère modianesque que j’aime tant : la musique de son écriture est rassurante, elle nous conduit « sur une frontière étroite entre la réalité et le rêve », à la recherche de souvenirs qui n’en sont pas toujours, de demi-oublis et autres impressions de déjà-vu, si chers à l’auteur.

Nous, (lecteurs assidus de Modiano), nous constituons prisonniers volontaires d’une sorte de brouillard temporel indéfinissable qui habille une époque révolue. Elle nous est désormais familière et par là-même rassurante, mais elle reste inquiétante : car il y a toujours une énigme, plus ou moins trouble et angoissante mais rarement très grave, même si elle est permanente : c’est celle qui dissimule l’écoulement du temps sous un voile léger que l’on peut soulever mais jamais retirer, au grès des souvenirs qui vont et viennent, jusqu’à disparaître avec les années et avec nos vies. Et pourtant, cette atmosphère n’est pas triste, mélancolique certes, mais aussi envoûtante.

Cette fois, c’est dans la vallée de Chevreuse et à Auteuil que commence sa nouvelle recherche. Le narrateur songe et se laisse traverser par des pensées, des détails, des sonorités. « Chevreuse » fait partie de ces noms dont les sons lui rappellent quelque chose, Auteuil également. Comme un titre de chanson, « Douce dame » interprétée par Serge Latour, ou « Tête de mort », le surnom donné à Camille, cette jeune femme étrange à la voix douce qui fredonnait la chanson de Latour. « Mais comment mettre en ordre tous ces signaux et ces appels en morse, venue d’une distance de plus de cinquante ans, et leur trouver un fil conducteur » ?

Modiano déroule la bobine, libérant des impressions et laissant réapparaître au grand jour des noms jusque-là enfouis dans sa mémoire. Les souvenirs se précisent, des lieux surgissent, des événements minuscules refont surface et donnent lieu à de nouvelles interrogations. Que se passait-il dans cet appartement d’Auteuil ? Pourquoi tant de gens s’y retrouvaient-ils, la nuit venue ? Appeler au téléphone Auteuil 15.28, était-ce l’assurance de tomber sur des gens peu fréquentables ?

Modiano est fidèle à lui-même, usant des mêmes procédés, faisant revivre un passé flou, fait de souvenirs personnels et de références à certains de ses romans, avec son écriture si particulière, distanciée et pourtant précise. Peut-être écrit-il toujours le même livre, mais c’est à chaque fois une histoire nouvelle que nous lisons. Ainsi, Modiano réussit-il, avec « Chevreuse » à faire revivre ses fantômes et à créer une histoire très différente des autres. Ce trentième roman, est donc pour moi, comme beaucoup d’autres de Modiano, un régal de lecture grâce au plaisir d’avoir été dépaysée et apaisée à la fois. Un roman qui doit se lire lentement, et qui distille pendant longtemps en nous ses réflexions énigmatiques…

Coup de coeur 2021 !

Chevreuse, Patrick Modiano, Gallimard, Paris, octobre 2021, 159 p.

Au bon roman, Laurence Cossé

« Au bon roman » est un excellent roman, l’accroche est facile, même si certains trouveront contestable l’idée qui l’anime, toute relative, mais qui a le mérite de nous faire réfléchir : les romans peuvent-ils être catégorisés en fonction de leur valeur littéraire et surtout, où se trouve la limite permettant de définir une œuvre comme étant de qualité et une autre, sans intérêt littéraire ?

C’est pour mettre en pratique cette idée qu’une riche italienne, Francesca, a décidé d’ouvrir une librairie où l’on ne trouverait que de bons romans. Quel fervent lecteur n’a pas rêvé de passer des heures dans un tel endroit qui ne recèlerait que des trésors ?

« -Et dire que tant de gens autour de moi se plaignent de ne rien trouver de bon à lire. Quelle aberration.

-Quel dommage. Alors que vous et moi découvrons chaque mois un chef-d’œuvre. C’est que quatre-vingt-dix pour cent des romans qui se publient sont « des livres que c’est pas la peine » comme les appelait Paulhan. La critique ne devrait parler que des autres, mais elle est paresseuse et frivole. »

Et le projet est bien ficelé : Francesca dispose du local, un magnifique magasin en plein cœur du centre intellectuel et culturel de la capitale. Elle en déniche également le responsable, un libraire autodidacte passionné, Yvan Georg, dit Van ; ensemble, ils forment un comité de sélection secret composé d’excellents auteurs qui fournissent les listes des romans qui figureront dans le stock de la librairie. Quant à la viabilité financière du projet, Francesca y attache peu d’importance, concevant l’idée comme un mécénat tel qu’il se pratique dans d’autres domaines artistiques.

Bien sûr, un tel projet n’est pas du goût de tous et suscite rapidement jalousies et rancœurs. Il déchaîne également la concurrence car, contre toute attente, la librairie remporte un immense succès. Mais qui aurait imaginé que les membres du comité auraient risqué leur vie en participant au choix des romans dignes d’intérêt ? Qui est prêt à tuer et pour quelle raison ? Un auteur dont le roman n’a pas été retenu pour être vendu « au bon roman » ?

« Au bon roman » ne parle que de livres, de toutes les façons possibles. Le policier qui mène l’enquête sur les meurtres qui ouvrent le roman est lui-même un fervent lecteur. Le petit monde du livre, libraires, éditeurs, critiques littéraires et médias sont de la partie. Jusqu’aux romans évoqués pour faire partie du stock de la librairie « Au bon roman ». L’auteur nous donne d’ailleurs ici de nombreuses pistes de lecture et j’ai même noté quelques titres parmi les auteurs qui reviennent le plus souvent, tels Cormac Mc Carthy, Carlo Fruttero et Franco Lucentini, Pierre Michon et Marcel Aymé, mais beaucoup d’autres sont cités : amateurs de listes, à vos crayons !

On ne s’ennuie pas une minute dans ce roman qui allie à la fluidité et à la simplicité de l’écriture un fourmillement de références littéraires et culturelles. Il y a matière à réflexion dans ce manifeste en faveur de la bonne littérature, mais pas de la littérature élitiste, comme la profession de foi envers les bons livres l’atteste (p307 et 308 de l’édition Folio). Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur ce roman qui débute comme un polar pour revêtir ensuite diverses formes et nous propose des personnages très intéressants. Au bout du compte, je ne sais toujours pas ce qu’est exactement un bon roman, notion particulièrement subjective, mais je sais aussi que chacun peut accéder à de la bonne littérature et que comme dans beaucoup de domaines, un minimum d’exigence s’impose. C’est aussi à cela qu’on reconnait les bons auteurs… simplicité et hauteur de vue !

Au bon roman, Laurence Cossé, Folio n° 5074, 2010, 469 p

Participation au challenge Objectif Pal chez Antigone

La femme de Gilles, Madeleine Bourdouxhe

Pour ce nouveau mois belge, dont je vous invite à parcourir régulièrement le récapitulatif sur le Blog d’Anne « Des mots et des notes », j’ai choisi de commencer par un classique, « La femme de Gilles ». Paru en 1937, chez Gallimard, ce roman a fait la renommée de son auteur, Madeleine Bourdouxhe (1906-1996), écrivain belge peu prolifique mais de grande qualité.

Elisa aime passionnément Gilles et chaque minute de sa journée lui est consacrée, qu’il s’agisse du ménage comme de l’entretien du jardin, de la préparation des repas ou des soins apportées à leurs petites jumelles. Elisa se trouve figée dans « un vertige de tendresse » et dans l’attente de l’être aimé. Son corps est « anéanti de douceur, fondu de langueur ».

Le roman se déroule dans le quartier ouvrier d’une petite ville belge. Gilles travaille dans les hauts-fourneaux, comme une grande partie des habitants, tandis qu’Elisa s’occupe du foyer et des enfants. L’amour qui les unit est fort, sensuel et partagé. Le couple goûte également un bonheur familial tendre et paisible. Elisa est heureuse, entièrement occupée par son amour. Aussi, lorsque son mari rentre accompagné de sa belle-soeur, Victorine, Elisa les incite à aller au cinéma ensemble. Fatiguée par une deuxième grossesse, Elisa est heureuse que Gilles ait une occasion de se distraire avec sa jeune soeur.

Découvrant peu après que Gilles aime Victorine, Elisa est terrassée par la douleur. Elle ne montre rien pourtant, elle cherche à s’habituer à cette idée et préfère penser à l’avenir. Femme amoureuse et réfléchie, elle décide de la conduite à tenir.

« Quoi qu’il arrivât, quoi qu’il fût arrivé, il ne fallait pas faire d’éclat. Seulement veiller, et n’agir qu’en de petits actes subtils, et garder intact cet amour autour de lui, et auquel il reviendrait : elle l’aimait, on n’échappe pas à un tel amour… »

Elisa est fière, déterminée, optimiste, forte de tout l’amour engrangé jusqu’alors, mais elle est aussi naïve jusqu’à la candeur. Gilles est quant à lui follement amoureux de Victorine, mais la belle est inconstante et l’amour de Gilles ne sera plus que douleur… Quelle voie choisira alors Elisa pour regagner l’amour de Gilles ?

Madeleine Bourdouxhe nous propose une belle écriture, pure, simple et pudique, tendre et pleine d’émotions, tout comme l’héroïne du roman. Cette limpidité cache des sentiments bien plus complexes et s’il est bien question d’amour pur et de jalousie, « La femme de Gilles » est loin de se limiter à cela. Tout l’art de l’auteur est ici de nous emmener en une centaine de pages du bonheur à la tragédie, dans un rythme parfait, au gré d’une histoire simple, presque banale, mais dont le traitement et la profondeur sont remarquables.

« La femme de Gilles » est aussi le roman d’une époque, celle de la première moitié du XX ème siècle mais il est intemporel et peut être transposé dans le présent. L’héroïne n’est pas une femme soumise ; éprise d’absolu, elle s’oublie mais n’est jamais dominée par son mari. Le roman n’est donc pas seulement la dénonciation du sacrifice d’Elisa mais il s’attache aussi à disséquer l’amour, ses multiples facettes et les conséquences tragiques qu’il peut avoir sur nos vies. D’une grande richesse, « La femme de Gilles » se prête à plusieurs lectures et interprétations. C’est un classique de la littérature belge francophone, à ne pas manquer. Voilà qui commence bien ce mois belge !

Coup de cœur 2021 !

La femme de Gilles, Madeleine Bourdouxhe, Labor, collection Espaces Nord, 2005 / ou chez Actes Sud, Babel, 2010.

Participation au mois belge d’Anne et au challenge Objectif Pal chez Antigone.

Mémoire de soie, Adrien Borne

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Quand Emile, vingt ans, part pour le service militaire, c’est presque une matinée comme les autres, baignée du soleil drômois. Son père lui a dit au revoir la veille, il est au magasin. Sa mère s’active déjà, courbée devant le lavoir. Nous sommes en 1936 et la famille, épargnée lors de la Grande guerre, semble n’avoir rien à craindre. «Pas de fierté ni d’inquiétude. Que ce soit pour deux années pleines ne change rien à l’affaire». On s’attend alors à un avenir sombre. Pas la peine. C’est que le passé l’a déjà été.

Emile ne s’en doute pas, jusqu’à ce qu’il découvre dans le livret de famille que sa mère lui a remis avant son départ que son père y figure sous le prénom de Baptistin. Pourtant son père à lui se prénomme Auguste… Pour comprendre, Emile se penche sur le passé de sa famille, étroitement lié à la magnanerie, cet élevage de vers à soie qui faisait leur fierté jusqu’à la fin de la guerre 14-18. Comme sa mère, Suzanne, autrefois, Emile doit dévider le cocon et tirer le fil. Il s’agit d’un travail difficile mais Suzanne était experte :

« — Alors je commence à tirer, tout délicatement, à dévider, et à enrouler, la magie s’organise. Parfaitement ordonnée. Le fil s’étire, le cocon s’abandonne, j’ai la main, je fais de la soie ou tout comme, elle prend forme sous mes yeux.

Suzanne répète sa tâche sur les six bassines qui composent sa machine. Mêmes yeux, mêmes doigts, même férocité. Ne pas se précipiter, de la vigilance, toujours, pour changer les cocons épuisés ou renouer les fils rompus. D’une exigence extrême. Un monde à écouler. »

Et c’est que qu’Adrien Borne s’attache à faire, petit à petit, soigneusement et précisément, dévidant le cocon, tirant le fil jusqu’à « imaginer l’infini ». Il nous révèle ainsi une histoire familiale douloureuse, qui a tissé son quotidien autour d’un secret bien enfoui, sans que cela ait été décidé, parce que les choses étaient comme cela, tout simplement. Derrière l’apparente dureté des personnages et leur silence, l’amour ne manque pas, celui de Suzanne et Baptistin, et celui d’Auguste qui a toujours été là.  Un monde comme il en existait autrefois, rompu au travail, acceptant le destin et peu enclin à exprimer ses sentiments.

L’écriture de l’auteur est à l’image du roman, dure et précise, âpre et poignante. C’est un premier roman très maîtrisé que nous offre Adrien Borne, plein de non-dits et de sentiments qui se cachent au détour d’une phrase. Un beau roman littéraire et un auteur à suivre !

Mémoire de soie, Adrien Borne, JC Lattès, août 2020, 248 p.

 

Lu dans le cadre du challenge Objectif Pal chez Antigone.

Bonne année à tous !

Depuis trois ans, j’ai pris l’habitude d’émettre quelques souhaits pour la nouvelle année. En 2019, j’espérais que les librairies indépendantes renaissent et que les centres-ville redeviennent les lieux de rencontre animés qu’ils étaient encore il y a quelques années. Je voulais aussi que tout aille moins vite, afin que l’on puisse profiter de nos lectures, comme du reste, et approfondir, réfléchir, au lieu de papillonner !

L’année dernière, je souhaitais que 2020 soit l’occasion pour tous de faire attention aux personnes âgées, en imaginant simplement les difficultés qu’elles rencontraient dans la vie quotidienne, et notamment l’isolement, suite à la généralisation de l’économie numérique. Il suffisait pour cela d’observer ce qui se passait autour de soi.

Ces objectifs restent d’actualité et la crise que nous avons vécue n’a fait que souligner la nécessité de changer certaines choses à notre façon de vivre. Parfois, la crise a même accentué ce qui n’allait pas. Je pense notamment au fait que certaines entreprises ait accéléré leur transition vers une économie toujours plus numérique, mais toujours moins au service des usagers ou des consommateurs. Autour de moi, certaines personnes en ont fait les frais, et là encore, c’est pour les personnes âgées que cela a été le plus difficile : de petits bureaux de poste fermés, qui ont obligé les usagers à se déplacer jusqu’à un bureau plus grand en ville, pour un simple envoi, et faire la queue dehors, dans le froid, debout. Des boutiques de téléphonie où il faut prendre rendez-vous des jours à l’avance pour régler un simple problème… tout cela pour s’entendre dire qu’il faut téléphoner soi-même à un service client qui ne répond jamais. Les exemples de ce type abondent…

Je n’entrerai pas dans les détails de ce qu’ont vécu nos concitoyens les plus âgés pendant cette crise, nous le savons tous, si nous sommes un tant soit peu informés. Il en va de même pour les commerces et l’épisode, qui aurait pu être comique s’il n’était aussi triste, de la fermeture des librairies doit nous faire réfléchir. Et puis bien sûr les restaurants, les cafés, les cinémas, les théâtres… Il y a évidemment tant d’autres choses à améliorer, à commencer par notre système hospitalier et par l’attention que l’on doit porter au personnel de ce secteur, mais je ne m’aventurerai pas sur ce terrain qui n’est pas de ma compétence.

Je me limiterai à espérer que le monde redevienne ce qu’il était avant dans les domaines plus légers de la vie sociale : sortir, aller au restaurant, rencontrer des amis, voir notre famille, voyager. En espérant que nous privilégierons des destinations moins lointaines, mais que l’on connaît mal ou pas du tout. Souvenez-vous des nombreux reportages de l’été dernier, dans lesquels nous avons découvert des paysages magnifiques et autant d’idées de vacances, dans notre propre pays.

Et pour que cela soit possible, nous avons tous un rôle à jouer, en nous vaccinant par exemple pour nous protéger tout en protégeant les autres. En continuant à faire attention aux autres. Et pour le reste, pourquoi ne pas adopter une démarche responsable dans notre consommation ? Acheter français, belge, suisse, portugais… en tout cas européen, à chaque fois que cela est possible; alors, certes, c’est plus cher, mais l’on peut alors acheter moins, beaucoup moins, et mieux.

Cette crise nous aura montré en tout cas le grand pouvoir des livres. Nous n’avions pas besoin de cela et nous en étions déjà convaincus, me direz-vous. Oui, les livres sont pour nous un refuge, un divertissement, une aide, un enseignement… et nous ne pouvons pas vivre sans eux. Nous continuerons 2021 avec eux, et ce sera, assurément, une excellente année !

Voyage au royaume de Naples, Dominique Vivant Denon

Peu avant mon voyage à Naples, et pour changer des nombreux guides que j’ai consultés, je me suis plongée dans un ouvrage écrit en 1778 par Dominique Vivant Denon. Né en 1747, ce dernier est connu pour avoir été le premier directeur du Musée du Louvre. Il fut aussi graveur, diplomate et écrivain. Il est l’auteur, entre autres, de récits de voyages en Italie ainsi qu’en Egypte. Il connaissait bien Naples où il avait passé plusieurs années en tant que secrétaire d’ambassade.

Après une rapide évocation des premiers jours de son « Voyage au royaume de Naples », de Marseille en Toscane, d’abord en bateau puis à pied, l’auteur nous invite à visiter la grande cité parthénopéenne de l’époque. La rue de Tolède, grande artère commerçante actuelle, est alors le lieu de résidence de la noblesse. En arrivant sur le port, nous découvrons le Castel dell’Ovo. La rade de Naples nous est présentée comme le plus grand port de l’univers. Il y a aussi à Naples « la plus belle chartreuse de l’univers ».

On note la « grande affluence », la « vivacité », les « embarras » car, « de toutes les villes de l’univers, Naples est celle où il y a le plus de voitures ». L’auteur critique le ridicule des obélisques, mais aussi le but incertain que poursuivent les voyageurs. Il souligne la paresse des napolitains et la jalousie qui les anime, mais il évoque aussi la légèreté et la gaieté qui les caractérisent. Il nous parle des crèches napolitaines, nous décrit le culte des morts. 

Enfin, Dominique Vivant Denon nous emmène à la découverte des environs de Naples, au pied du Vésuve, à Pompéi, Herculanum, puis dans les îles, et notamment sur l’île de Caprée -l’actuelle Capri-, et dans les mystérieux Champs Phlégréens.  Il dit de Caserta : « Je trouvai ce lieu fort triste ». Il termine son itinéraire en descendant de Naples à Reggio de Calabre, en passant par la Pouille, puis il se rend en Sicile, avant de rentrer en bateau à Naples.  Voilà un ouvrage passionnant, riche en références à l’antiquité romaine et aux auteurs latins, qui nous fait voyager dans l’espace et dans le temps.

 

Voyage au royaume de Naples, Dominique Vivant Denon, Préface de Pierre Rosenberg, Editions Perrin, 1997, 309 p.

 

Participation au challenge objectif Pal chez Antigone.

Lire des romans de montagne

C’est en constatant que les éditions « J’ai lu » republiaient les romans de Roger Frison-Roche que j’ai eu l’idée d’écrire une chronique sur les romans de montagne, ou qui se déroulent à la montagne.

Voici donc quelques-uns de mes livres préférés dans ce domaine, qu’il s’agisse de récits d’aventures ou de pure fiction. J’ai marqué une préférence pour les livres qui existent en collection de poche, et j’ai exclu les beaux-livres, car trop d’entre eux méritent que l’on s’y arrête.

Il en existe évidemment beaucoup d’autres, mais je n’ai mentionné ici que les livres que j’ai lus. J’espère que cela vous donnera des idées de lecture. N’hésitez pas à me recommander les vôtres en commentaire.

 

 

Le classique des classiques 

C’est la série des Frison-Roche, « Premier de cordée », « La grande crevasse » et « Retour à la montagne » et beaucoup d’autres. La trilogie nous conte l’histoire d’un jeune chamoniard qui rêve de devenir guide, comme son père, mais qui se résigne à l’hôtellerie et à ne pratiquer la montagne que comme loisir.

 

 

Les classiques au sens classique 

« La montagne magique » de Thomas Mann nous immerge dans l’ambiance désuète d’un sanatorium Suisse au début du XXème siècle.

 « La grande peur dans la montagne », du suisse Charles-Ferdinand Ramuz : un roman mystérieux, un peu fantastique, dans lequel jeunes et vieux se disputent au sujet d’une terre délaissée dans les alpages. Du même auteur, le très beau « Derborence » dans lequel un jeune berger et son oncle qui étaient en alpage sont tenus pour morts par les habitants du village après la survenue d’un énorme éboulement.

 

 

Des polars 

Là encore, nous partons en Suisse, avec « Avalanche hôtel » de Niko Takian, qui se déroule dans un hôtel abandonné des hauteurs de Montreux et qui restitue parfaitement l’atmosphère hivernale et mystérieuse des lieux.

Sans oublier les polars de Marc Voltenauer qui vous emmèneront non loin de là, à Gryon et aux alentours, en compagnie de l’inspecteur Auer. Les deux premiers polars, « Le dragon du Muveran » et « Qui a tué Heidi ? », sont de véritables « page-turner ». Les suivants également, mais le second se passe en Suède, et le dernier vient de sortir en grand format et se déroule en plaine, dans le Valais suisse.

 

Les romans du terroir 

J’avais découvert il y a déjà plusieurs années « La grande avalanche » de Patrick Breuzé, mais l’auteur a écrit beaucoup d’autres romans. Dans celui-ci, un jeune soldat rentre de la guerre, blessé, pour effectuer sa convalescence dans son village de Haute-Savoie, avant de repartir au combat. Victime d’un accident de montagne, il est néanmoins sauf et se réfugie dans un chalet coupé du monde. Il hésite alors à faire croire qu’il est mort pour ne plus repartir sur le front.

« Le bout du monde : nos plus belles années » d’Edith Reffet évoque l’isolement vécu par une jeune institutrice de montagne. On y retrouve l’atmosphère particulière des années de guerre en montagne.

 

Les récits de voyage 

Dans « La légende des montagnes qui naviguent », Paolo Rumiz nous apprend que le dépaysement est à notre portée, loin du tourisme de masse. Voici un récit d’une grande richesse qui parle aussi d’écologie, d’histoire, de toponymie…

« Victoire sur l’Everest » est un incontournable pour qui veut tout savoir de la grande expédition à la conquête de l’Everest en 1953. Ecrit par un des participants, John Hunt.

D’autres romans étrangers 

Paolo Cognetti, « Les huit montagnes » :   L’amitié entre deux garçons sert de prétexte à évoquer une passion pour la montagne. Un roman authentique couronné par des prix prestigieux.

 

Annemarie Schwarzenbach, « Le refuge des cimes » :  des personnages de la bourgeoisie helvétique et allemande sont confrontés à des difficultés existentielles nées de la crise de l’entre-deux-guerres et cherchent à échapper à la noirceur du monde d’en bas.

Erri de Luca, « Le poids du papillon » : déçu par ses rêves révolutionnaires, un homme revient vivre dans ses montagnes natales, quelque part au nord de l’Italie. Il braconne et abat des centaines de chamois… un texte magnifique.  

 

Il y en tant d’autres encore… lesquels me conseillez-vous ?

La loi des hommes, Wendall Utroi

Jacques est cantonnier auprès de la mairie d’Houtkerke, dans le Nord. Alors qu’il entretient la tombe centenaire d’un Anglais à la réputation mystérieuse, il découvre un carnet qui contient une longue histoire. Avec l’aide de sa fille qui s’occupe de la traduction, Jacques se passionne pour les révélations qui y sont faites : avant de prendre sa retraite en France, l’auteur du carnet, un certain J.Wallace Hardwell, enquêteur à Scotland Yard, a mis au jour un scandale démasquant de nombreux notables et même des membres de la famille royale.

Impossible d’en dire plus sans dévoiler des éléments importants de ce roman qui n’est pas tout à fait un polar, et qui n’est pas totalement un roman historique non plus. Le suspense est pourtant bien présent, de même que les éléments historiques qui nous emmènent dans les bas-fonds londoniens au XIX ème siècle, dans une incroyable histoire de trafic de petites filles de 12, 13 ans, livrées en pâture aux membres de la bonne société anglaise.  

On suit avec Jacques tout le déroulement de l’enquête menée par Wallace. C’est une très belle découverte que ce thriller historique qui explore les thèmes vieux comme le monde et malheureusement toujours actuels que sont la pédophilie et l’exploitation sexuelle, et qui pose la question de la majorité sexuelle. Et l’on s’aperçoit avec stupeur que, dans certains domaines, les lois n’ont pas radicalement changé depuis cette époque ! Un roman passionnant à ne pas rater chez Slatkine et Cie.

 

La loi des hommes, Wendall Utroi, Slatkine et Cie, octobre 2020, 398 p.

 

 

Noces de neige, Gaëlle Josse

En 1881, la fille du grand-Duc Oulianov emprunte le train Nice-Moscou avec toute sa famille après avoir passé l’hiver à Nice, de fêtes en réceptions avec l’aristocratie russe qui vient chaque année profiter de la douceur de l’hiver niçois. Anna Alexandrovna est heureuse, elle a hâte de retrouver sa patrie, mais surtout les chevaux et les concours équestres dans lesquels elle excelle, et enfin, Dimitri Sokolov, le cadet du tsar et l’ami de son frère qui l’a complimentée si ardemment et dont elle s’est aussitôt éprise.

En 2012, c’est en sens inverse que la jeune Irina accomplit le même trajet, pour se rendre au bord de la « Baie des Anges » où l’attend Enzo, avec qui elle échange des messages d’amour depuis six mois sur un site de rencontre. Irina ne veut pas du destin de sa mère, elle veut être heureuse et elle refuse d’avoir froid. Même si elle a menti sur quelques points, Irina est sérieuse et cherche vraiment l’amour, à la différence des nombreuses filles qui ne visent qu’à arnaquer celui qui sera trop naïf, attiré par l’âme et la beauté slaves.

Voilà deux jeunes filles qui se croisent dans le Riviera-Express, à un siècle de distance, et qui sont reliées par une communauté de destin, même si l’une est aristocrate et l’autre n’est qu’une fille du peuple. C’est avec ce court roman que je découvre pour la première fois la belle écriture de Gaëlle Josse, différente d’ailleurs en fonction de l’époque qu’elle évoque : on imagine ainsi parfaitement les moments qui s’écoulent dans le train, ses décors et ambiances, et les paysages traversés.  

Les thèmes évoqués concernent le temps qui passe et les occasions perdues, la beauté que l’on n’a pas toujours et l’amour, l’exil et la poursuite d’illusions.  Le roman dégage une sensation difficile à définir, oscillant entre la poésie et la nostalgie, à l’évocation de ces jeunes filles qui rêvent, doutent, s’interrogent et souffrent de désenchantements et de la difficulté de vivre, tout simplement. La fin inattendue projette sur l’œuvre une mélancolie douce : un beau roman et une belle plume que je vous conseille de découvrir.

Noces de neige, Gaëlle Josse, Editions j’ai lu, 2014, 123 p.

Participation au challenge objectif Pal chez Antigone.

Quelques sorties en poche, 1/2

 

Pendant le confinement, quelques parutions de très bons romans en collection de poche sont passées plus ou moins inaperçues. Voilà de quoi vous donner quelques idées pour votre prochaine sortie en librairie. Voici mes préférés :

 

L’héroïne du nouveau polar de Ragnar Jonasson est atypique puisqu’elle a soixante-quatre ans et se trouve à quelques mois de la retraite. Elle qui ne vit que pour son métier et ne se prépare pas au grand changement qui l’attend, se voit convoquée par son chef Magnus, qui lui annonce abruptement que son remplaçant sera là dans deux semaines et qu’elle pourra donc quitter le commissariat à cette date, soit plusieurs mois avant la date initialement prévue.

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C’est à l’Institut de Peinture de la rue du Métal à Bruxelles, école très réputée, que la jeune Paula Karst trouve enfin sa voie après deux années d’essais, abandons et autres tergiversations. Pendant six mois, la jeune fille de vingt ans assimile les innombrables teintes et leurs noms évocateurs, prépare sa palette et apprend à reproduire à la perfection bois et marbres, pierres semi-précieuses, moulures et frises, patines et dorures, jusqu’à devenir spécialiste…

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C’est dans une Parme surchauffée, quelques jours avant le pont du quinze août qui voit les villes italiennes se vider complètement, que se déroule la nouvelle enquête du commissaire Soneri. Une fois n’est pas coutume, l’automne et ses brumes humides ont fait place à une atmosphère brûlante et moite à la fois, que le commissaire Soneri déteste tout particulièrement. Il rêve en effet de brouillards hivernaux…

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Il est curieux, mais très fréquent, de noter à quel point on peut se faire une idée fausse d’un roman dont on parle beaucoup (donc trop). Cela se vérifie pour moi une nouvelle fois avec « La vraie vie » que je n’avais pas du tout envie de lire malgré les nombreuses critiques élogieuses à son égard. J’en avais gardé deux idées principales : de la violence et des phrases courtes et percutantes, ce qui me rebute toujours mais qui est, dans ce cas précis, très réducteur.

Ayant eu accès à « La vraie vie » par le hasard d’un prêt, j’ai été étonnée de prendre du plaisir à la lecture, principalement parce que le roman est très original. Il fait de la violence domestique quelque chose de romanesque au sens noble du terme : j’ai lu « La vraie vie » comme une fable, ou plus exactement comme un conte moderne. Et comme dans tous les contes,…

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Bonne lecture !