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Que reviennent ceux qui sont loin, Pierre Adrian

L’été qui débute, c’est pour certains le retour à la « grande maison », celle des familles et de l’enfance, celle qui reste quand le temps et les générations passent sans espoir de retour. Le narrateur de ce roman dont on n’a pas assez parlé est un jeune homme qui désire revoir la maison bretonne des vacances de son enfance. Il vient y retrouver les sensations et les émotions qui construisaient le bonheur d’alors.

« Chaque année, se rejouaient ici les mystères d’une vie entière résumée en quelques semaines. Il y avait d’abord la monotonie des jours qui se confondent. Puis l’attente, avant le basculement de la mi-août, la précipitation douloureuse de dernières soirées dans la lumière d’automne, déjà. La fin.

Août était le mois qui ressemblait le plus à la vie ».

Le narrateur nous conte avec poésie et pudeur ces semaines d’été qu’il passe dans la grande maison sur les traces de son enfance mais aussi à la recherche de ce qui l’en a éloigné pendant plusieurs années. C’est d’abord une succession de journées faites de plaisirs simples et familiaux, de goûters composés d’un morceau de baguette et d’un carré de chocolat, de paysages dessinés au gré des vagues et des massifs d’hortensias. Il y a la grand-mère absente et souriante à la fois, les cousins dont le visage change trop vite et les oncles et tantes qui assurent l’intendance de ce petit monde.

L’été d’alors était un été comme tous les autres mais il s’est terminé par un événement douloureux, métaphore du basculement de l’enfance à l’âge adulte. La nostalgie demeure pourtant et elle a besoin de s’exprimer. « Que reviennent ceux qui sont loin » est un beau roman, très émouvant, servi par une écriture délicate. Il a profité du bouche-à-oreille, espérons qu’il poursuivra son chemin en poche !

Que reviennent ceux qui sont loin, Pierre Adrian, Gallimard, Paris, 2022, 181 p.

Lady L. de Romain Gary

Publié en anglais en 1959, ce roman est ensuite traduit en français sous la supervision de l’auteur pour paraître au lendemain de la guerre d’Algérie, ce qui ne semble pas un hasard puisque Romain Gary y évoque l’action politique, le poids de l’idéologie et le terrorisme, même s’il situe l’action dans les milieux anarchistes français de la fin du XIX ème et du début du XX ème siècle.

Lady L. est une vieille aristocrate anglaise d’origine française qui fête ses quatre-vingts-ans avec sa descendance nombreuse (« ce troupeau : plus de trente têtes ») et haut-placée –parmi lesquels un ministre, un évêque, un lieutenant-colonel du régiment de la Reine, un président de la Banque d’Angleterre…-. Or, lorsqu’elle apprend que son pavillon doit être démonté pour faire passer une autoroute, elle décide de faire transporter ailleurs l’ensemble des objets qu’elle y a accumulés. Et c’est son fidèle Percy, le Poète-Lauréat, amant platonique hautement respectueux, qui l’aidera dans cette tâche. Reste à le préparer à ce qu’il va découvrir dans le pavillon. C’est en chemin que Lady L. lui révèle l’histoire de sa vie, inattendue et haute-en-couleur…

Lady L. est une lecture à plusieurs niveaux : divertissante et romanesque, intéressante par la problématique politique soulevée et la critique sociale, et en même temps, pleine d’humour. Roman Gary a dû beaucoup s’amuser en l’écrivant, pour notre plus grand plaisir !

Lady L., Romain Gary, Folio n°304, janvier 2022, 251 p.

Ces montagnes à jamais, Joe Wilkins

 

ces montagnes à jamais poche

C’est le premier roman de Joe Wilkins mais l’auteur a aussi écrit de nombreux poèmes ainsi qu’un récit sur son enfance et son adolescence. Originaire du Montana, et plus particulièrement des Bull Mountains où se situe l’intrigue, Joe Wilkins nous offre un texte aux multiples facettes, roman social, western moderne, parsemé d’épisodes de « nature writing », avec deux personnages très forts, Wendell et Guillian, qui n’ont en apparence rien en commun sinon un fort attachement aux lieux.

Wendell Newman est un jeune homme de vingt-quatre ans qui vit dans un mobile-home et s’épuise au travail en tant qu’employé de ranch sur les terres perdues de ses défunts parents. Défunt, ce n’est pas sûr en ce qui concerne son père qui a simplement disparu une dizaine d’années plus tôt, et dont les extraits du journal qui nous sont livrés retracent la fuite éperdue dans les montagnes. Sa mère en revanche, n’a pu supporter la vie difficile qui lui restait, et Wendell travaille pour rembourser les factures médicales qu’elle lui a laissées…

Gillian Houlton est l’assistante du principal d’un collège de Colter, une petite ville des environs de Billings dans le Montana. Très déterminée, son seul but est d’aider les élèves à « faire des choix de vie corrects », même si ceux qui y parviennent sont très peu nombreux. La cinquantaine, elle est la mère d’une adolescente, Maddy, qu’elle élève seule depuis que Kevin est mort lorsque la petite avait six ans.

Il est vrai que le tableau est noir, et il serait faux de dire que le roman n’est pas sombre mais il n’est jamais misérabiliste. D’autant que Wendell se voit confier la garde de Rowdy, le fils de sa cousine qui est incarcérée, et qu’il noue un lien fort avec le jeune garçon qui ne parle pas. Wendell se révèle être protecteur et bon même s’il reste prisonnier de son passé; comme Gillian qui n’arrive pas à oublier son mari Kevin.

Le dénouement viendra lors d’une grande chasse au loup qui se déroule en toute légalité mais qui vient réveiller l’instinct des milices séparatistes dont le père de Wendell est encore le héros. Joe Wilkins fait monter le suspense et nous prend dans cette histoire envoûtante qui décrit également très bien la réalité sociale de cet Etat du Montana, dans les montagnes de l’Amérique profonde, lors des années Obama. Les hommes y sont profondément attachés au territoire, à leurs traditions et à leur mode de vie et ils s’opposent aux agences gouvernementales qui n’ont pas les mêmes objectifs qu’eux. La nature est centrale dans le roman et l’écriture poétique de Joe Wilkins est pour beaucoup dans le succès de « Ces montagnes à jamais ».  Une belle découverte que ce roman qui est paru en mai 2021 en édition de poche, chez Gallmeister également.

 

ces montagnes a jamais

 

« Ces montagnes à jamais », Joe Wilkings, traduit de l’américain par Laura Derajinski, Editions Gallmeister, février 2020, 306 p.

Edition de poche, Gallmesiter, Totem n°186, mai 2021, 288 p.

Etés anglais, la saga des Cazalet 1, Elizabeth Jane Howard

Voici ma participation au mois anglais, in extremis, pour cause de vacances hors-saison : j’avais emporté « Etés anglais », le premier volume de la saga des Cazalet, du nom de cette famille aisée de la bourgeoisie londonienne qui se retrouve chaque été à la campagne. Ce fut une belle découverte, même si j’ai dû m’accrocher un peu pendant le premier tiers du roman, le temps de faire connaissance avec les nombreux personnages et de m’habituer à ce type de récit qui s’attache d’abord aux petites choses du quotidien : quelle robe porter, quelle chambre donner à une adolescente mal dans sa peau… ? Est-ce qu’on prend un café ? Oui, mais seulement si tu en prends un… Il s’en est fallu de peu que j’abandonne les Cazalet, mais je suis finalement très contente d’avoir poursuivi !

étés anglais la saga des cazalet

Le roman débute en juillet 1937 dans le Sussex, à Home Place, résidence de William et Kitty Cazalet. Kitty, surnommée La Duche, prépare la maison avec ses domestiques, en attendant l’arrivée des enfants et petits-enfants. Leur fille Rachel, célibataire, vit avec eux, mais les trois garçons vivent à Londres avec leur famille.  L’aîné, Hugh, est rentré de la Grande Guerre amputé d’une main et en proie à de violents maux de tête. Il a deux enfants et sa femme est enceinte au début du récit. Le deuxième fils, Edward, est un homme séduisant à qui tout réussit, marié à une ancienne danseuse étoile et père de trois enfants. Enfin, Rupert, le plus jeune, est professeur et peintre-artiste lorsqu’il en trouve le temps. Il a perdu sa première femme en couches et a épousé ensuite la jeune Zoé qui a du mal à se faire à son statut de belle-mère.

Tout ce petit monde, accompagné de gouvernantes et autres domestiques, vient passer l’été à Home Place où les apéritifs dans le jardin font place à des repas de famille ou à des pique-niques sur la plage. Les paysages enchanteurs, d’un vert tendre tout britannique, les roses du jardin, et la canicule -car il faisait chaud aussi dans les années trente en Angleterre- nous promènent dans ce quotidien privilégié, doux et attachant. Mais derrière les préoccupations des uns et des autres, les petites disputes et les bouderies, apparaissent bientôt des non-dits, des incertitudes et des questions finalement bien plus importantes.

Née en 1923, Elizabeth Jane Howard a sans aucun doute vécu bon nombre de ces moments qu’un don pour l’observation lui permet de retracer avec finesse et psychologie. Sous une apparence d’abord légère, le roman évoque des thèmes beaucoup plus sérieux, le traumatisme qu’a représenté la guerre 14-18, le rôle des femmes et leur difficulté à trouver leur place dans la société masculine de l’époque, l’homosexualité, les relations intra-familiales, la peur des enfants face à la guerre… Dans la seconde moitié du roman, on assiste peu à peu à la montée de l’inquiétude de la famille face aux risques de conflit mondial. On découvre aussi que derrière l’apparente unité de la famille, il existe beaucoup de petits secrets… On ne peut donc pas abandonner la lecture à la fin de l’été 1938. Alors, je ne sais pas si j’irai jusqu’à la fin de la saga, mais il est sûr que je vais me procurer le second tome rapidement !

Etés anglais, La saga des Cazalet 1, Elizabeth Jane Howard, traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff, Quai Voltaire, paris 2020.

 

Lu dans le cadre du mois anglais, du challenge Objectif pal et du challenge Pavé de l’été chez Brizes.

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La farce, Domenico Starnone

Après l’excellent « Les liens », je retrouve avec joie Domenico Starnone dont le talent ne se dément pas même si ce nouveau roman est moins percutant que le précédent. Pour autant, il « résonne » en moi depuis plusieurs jours et sollicite sans cesse ma réflexion vers de nouvelles interprétations. Voilà ce que j’appelle de la littérature et Domenico Starnone est, à mon avis, l’un des plus grands écrivains italiens contemporains.

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« La farce » est à prendre au sens propre, mais je ne vous la raconterai pas bien sûr, tandis que métaphoriquement, elle sous-tend tout le roman.  La trame est simple : le narrateur, Daniele, est appelé au secours par sa fille Betta pour venir chez elle à Naples s’occuper de son fils Mario car elle doit se rendre avec son mari à un colloque de mathématiques en Sardaigne. Daniele hésite parce qu’il a une commande pour illustrer une nouvelle de Henry James et parce que rester seul avec un enfant de quatre ans pendant quelques jour lui paraît au-dessus de ses forces. A soixante-dix ans, il se remet difficilement d’une opération, mais conscient de son peu d’empressement en tant que père et grand-père, il accepte et se rend à Naples.

On l’imagine bien, ces quelques jours ne seront pas de tout repos pour Daniele. C’est un homme distrait, envers les autres notamment et même dans l’amour qu’il porte à sa fille, il l’admet lui-même. Daniele a été un artiste ambitieux, dont le travail a compté, mais il commence à s’interroger sur l’opportunité d’arrêter de dessiner. A ces questions existentielles, s’ajoute le fait qu’il déteste Naples, tout comme l’appartement de Betta qui n’est autre que celui dans lequel il a été élevé. Un endroit pour lui plein de fantômes, comme la nouvelle d’Henry James, « The jolly corner », sur laquelle il doit travailler et qui évoque un homme qui « retourne dans une vieille maison qu’il possède à New York et y retrouve un fantôme, le fantôme de celui qu’il aurait été s’il n’était pas devenu homme d’affaires ».

Daniele se rend compte qu’il s’est attribué à tort « la capacité de faire ce qui n’avait jamais été fait ». Les promesses de son enfance se sont engluées dans l’âge adulte et dans la concurrence avec d’autres artistes plus compétents que lui. Il est donc proche de ce petit Mario à qui ses parents font croire, en s’extasiant devant son intelligence, que le monde sera un jour à ses pieds. L’enfant est en effet brillant mais il s’abreuve des compliments qu’il reçoit ; il est en outre un petit génie domestique, capable de presque tout faire dans la maison, mais il est également capricieux, parfois incontrôlable et ne pense qu’à jouer, comme tout enfant de son âge, ce que Daniele, tout à son travail, a tendance à oublier. Il s’en mordra les doigts d’ailleurs…

« La farce » souligne l’importance des souvenirs qui hantent nos vies. C’est une satire de la vieillesse et de l’enfance qui pointe leurs points communs : elles connaissent les deux extrêmes de l’ambition, sa naissance et les espoirs qu’elle procure, et la désillusion amère dans laquelle elle s’évanouit. Les thèmes que Domenico Starnone met en avant sont nombreux et l’on retrouve ceux qui sont chers à Elena Ferrante, comme la dualité de la ville de Naples et celle du dialecte napolitain. L’auteur est soupçonné « d’être » Elena Ferrante et je dois dire que quelques pages m’ont laissée bouche bée, tant j’ai cru entendre la voix d’Elena Ferrante. Ainsi, l’imposture sociale chère à l’écrivaine napolitaine est un des éléments du malaise ressenti par le grand-père.

L’événement central du roman, la farce, amène Daniele à se découvrir « sans qualités et vide » : il constate amèrement que les compliments de l’enfance n’ont pas tenu leurs promesses et que son petit-fils devra affronter les mêmes désillusions. Le roman se termine par un « appendice » qui est un journal illustré -par Dario Maglionico- reprenant les principaux moments du séjour à Naples de Daniele et il apporte plusieurs clés de lecture, notamment dans le parallèle qu’il établit avec la nouvelle d’Henry James.


« La farce » est un duel entre un grand-père et son petit-fils qui se lit d’une traite et qui se prolonge par de nombreuses réflexions, sur l’art aussi notamment, et sur tant d’autre sujets que je n’ai pas pu évoquer ici. Divertissant et enrichissant !

La farce, Domenico Starnone, traduit de l’italien par Dominique Vittoz, Fayard, avril 2021, 229 p.

« Les liens » est désormais disponible en poche

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Les routes de poussière, Rosetta Loy

C’est déjà presque un classique : ce roman est paru en 1987 en Italie et a connu un grand succès, remportant plusieurs prix littéraires. Il avait été publié en français en 1995 et il vient d’être réédité chez Liana Levi en 2019. Rosetta Loy, née en 1931 à Rome, appartient à la féconde « génération des années trente » et est désormais une figure importante de la littérature italienne contemporaine.

les routes de poussière rosetta loy

« Les routes de poussière » nous plonge dans le XIXème siècle italien, celui du Risorgimento, un processus lent qui culmine avec la réalisation de l’unité italienne en 1861. Le roman de Rosetta Loy a le souffle épique des sagas historiques, même s’il ne nous offre finalement que le quotidien d’une famille de paysans aisés du Piémont sur trois générations. En effet, il ne s’agit pas d’un roman historique, la « grande Histoire » n’étant présente qu’en toile de fond et les événements n’étant que rapidement évoqués. C’est au contraire le destin de paysans inconnus qui est détaillé, leurs amours, leurs épreuves, leurs joies, leurs superstitions et leurs sentiments.

Le roman débute avec le dix-neuvième siècle, dans les collines du Piémont, au nord-est de Turin. Les étés sont chauds et secs, les hivers pluvieux, et la neige recouvre tout en hiver. Un climat difficile pour les descendants du « Grand Masten », ce paysan devenu propriétaire après s’être enrichi en revendant fourrage et blé aux soldats de passage : la région subit en effet de nombreuses invasions, notamment au cours des campagnes napoléoniennes ou lorsque les Autrichiens tentent de s’approprier le Nord de l’Italie.

Tout commence avec les deux fils du Grand Masten, Pietro, dit « Pidren » et Giuseppe, dit « le Giaï ». Les frères tombèrent tous deux amoureux de la même jeune fille, la très jolie Maria, mais celle-ci choisit le plus jeune des deux frères, le Giaï. Et c’est ainsi que démarre une saga qui se centre sur ses personnages. Ils sont assez nombreux, mais pas trop -un arbre généalogique nous est d’ailleurs proposé en fin de volume- et tous très attachants. Leur quotidien est fait de labeur, de repas pris à la hâte autour de l’invariable polenta, de pain et de fromage, et ils parlent un dialecte local, mâtiné de mots français.

Il y a Gavriel qui n’a aimé qu’une seule femme, sa sœur Bastianina devenue nonne et surnommée par son frère « la tante bonne-soeur », avant de triompher « dans son habit immaculé », le petit Gioacchino qui « volait comme une plume », Teresa des Maturlin devenue trop tôt « symbole de la jeunesse et du bonheur perdus » Fantina, sacrée meilleure brodeuse de toute la région, Mandrognin, « serviteur et esclave «  de Maria qui la contemplait, « heureux parce que Dieu se laissait voir en chemise avec juste un châle. Et Dieu était si beau », et tant d’autres qui forment une galerie riche et savoureuse.

« Les routes de poussière » est un roman plein de charme et de poésie mais aussi de vivacité et de passion. Son style fluide et concret nous rapproche de ces paysans, l’auteure ayant un don, au moyen de mille anecdotes, pour les rendre charmants. Une belle découverte que je poursuivrai en lisant l’un des nombreux autres romans de Rosetta Loy.

Les routes de poussière, Rosetta Loy, traduit de l’italien par Françoise Brun, Editions Liana Levi, collection Piccolo n°145, 2019, 288 p.

 

Lu dans le cadre du mois italien chez Martine et du challenge Objectif Pal chez Antigone.

Sa dernière chance, Armel Job

Le mois belge se termine pour moi en beauté avec le dernier roman d’Armel Job qui nous emmène à Liège et Verviers, dans les méandres d’un fait divers a priori banal. Mais ce qui peut paraître sans grand intérêt prend tout son relief grâce au talent de l’auteur qui excelle à explorer les vies de chacun, les passions et frustrations et tout ce qu’il y a derrière les apparences, petits et grands secrets…

Elise Dubois vit chez sa sœur et son beau-frère, garde leurs quatre enfants et s’occupe du ménage et des repas. Elle dispose d’un appartement au sein de leur villa et peut puiser l’argent de poche dont elle a besoin dans la boite familiale… une situation pour le moins étrange. Elise passe pour une femme fragile, à la limite de la dépression et incapable d’être indépendante. Sa sœur aînée, Marie-Rose, est une gynécologue réputée dans la région, chacun loue son professionnalisme et son empathie. Son mari Edouard Gayet dirige une agence immobilière qui assure de confortables revenus à la famille.

L’équilibre de cette famille atypique est rompu lorsque Elise, qui a trente-neuf ans, décide de s’émanciper. Elle s’inscrit sur un site de rencontre et, laissant les enfants livrés à eux-mêmes, elle se rend à  un premier rendez-vous :  Pierre Fauvol est antiquaire à Liège. D’ordinaire, cet homme qui multiplie les aventures féminines n’a pas besoin d’Internet pour faire des rencontres. Il se présente pourtant à Elise comme un célibataire qui n’a eu qu’un amour dans sa vie, il y a très longtemps …

Le chanoine, collectionneur d’art religieux et client de Pierre Fauvol, observe celui-ci avec curiosité. Il pense que Fauvol est homosexuel et qu’il a décidé de mettre fin à ses « errements » en envisageant le mariage. Mais est-ce bien pour cela que le chanoine espère que la rencontre entre Pierre et Elise portera ses fruits ?

Dans ce roman qui se lit d’une traite, chacun décide de tenter « sa dernière chance » : celle de s’enrichir enfin, de posséder ce qui le rendra heureux, de donner libre cours à ses passions. Certains se trompent, d’autres pas. Tous cachent quelque chose et donnent une image fausse de ce qu’ils sont réellement. L’écriture simple et efficace d’Armel Job nous conduit sur différentes pistes, pour mieux nous perdre ensuite. « Sa dernière chance » est un thriller psychologique calme et provincial, où il n’y a pas de cadavre mais beaucoup de secrets, ainsi qu’une part de lumière pour ceux qui auront saisi leur dernière chance. Un petit régal pour moi, comme ce fut le cas pour « Une drôle de fille » et « Une femme que j’aimais ».

Sa dernière chance, Armel Job, Editions Robert Laffont, Paris, février 2021, 330 p.

 

Livre lu dans le cadre du mois belge chez Anne Des mots et des notes.

Napoli mon amour, Alessio Forgione

Premier coup de cœur de l’année avec ce roman italien qui a connu un beau succès à sa sortie en 2018 de l’autre côté des Alpes : « Napoli mon amour » est le premier roman d’Alessio Forgione, jeune auteur qui, depuis, a publié un second roman qui était en lice pour le prix Strega 2020, l’équivalent de notre prix Goncourt.

Le protagoniste de « Napoli mon amour » est un jeune Italien de trente ans qui vit toujours chez ses parents à Naples. Titulaire de deux diplômes universitaires, Amoresano recherche un travail depuis des années. Il vit désormais sur les économies qu’il a réalisées en étant marin pendant six ans. Il raconte son quotidien qui s’enlise, entre la recherche d’un emploi, les soirées dans les bars napolitains avec son ami Russo qui vit les mêmes difficultés que lui, et sa passion pour le foot et plus particulièrement pour l’équipe de Naples.

Un soir, plus désespéré que d’habitude, Amoresano décide d’en finir avec la vie et d’abord, de dépenser l’argent qu’il lui reste. Mais il rencontre une jeune fille très belle qui lui redonne espoir. Il se présente comme écrivain, ce qui n’est pas tout à fait faux puisqu’il a déjà écrit quelques nouvelles. Lola est plus jeune que lui et n’a donc pas les mêmes aspirations, elle en est encore à l’âge où tout est possible et où l’on découvre le monde. L’horizon d’Amoresano se dégage mais cela ne dure pas :  euro après euro, il compte les dépenses qui s’accumulent et qui bientôt le mèneront au point de rupture, quand il ne pourra même plus offrir un verre à Lola …

« Napoli mon amour » est un roman d’initiation qui décrit la réalité que doivent affronter beaucoup de jeunes Italiens. Le chômage des jeunes est un des thèmes principaux du roman, avec ses deux corollaires, l’obligation de vivre chez ses parents et l’expatriation des jeunes diplômés qui, comme le héros, cherchent tout simplement une place dans le monde. L’auteur sollicite notre empathie pour toute une génération qui souffre de ne pouvoir s’insérer dans la vie économique du pays, malgré son sérieux et sa préparation et qui oscille entre détermination et résignation.

Le roman d’Alessio Forgione est en grande partie autobiographique, l’auteur travaillait en effet dans un pub à Londres lorsqu’il l’a rédigé.  L’écriture est maitrisée : simple mais précise, fluide, parfois dynamique ou plus lente en fonction des fluctuations de l’humeur du personnage. Alessio Forgione ne verse jamais dans les stéréotypes et le Naples que vous découvrirez n’est ni enchanteur, ni haut en couleur mais ce n’est pas non plus le pire endroit sur terre, malgré la pluie qui arrose les journées sans but du héros. C’est une ville qui ressemble à toutes les villes européennes et les jeunes y ont les mêmes préoccupations et les mêmes loisirs qu’ailleurs. Et il y a quand même la bulle d’oxygène que représentent pour Amoresano et Russo les séances de plongée dans les eaux limpides de l’île de Procida. Le narrateur aime et déteste Naples, il ne peut la quitter, comme la protagoniste du film de Resnais, « Hiroshima mon amour ».

« Napoli mon amour » n’est pas que la dénonciation des difficultés de toute une génération. L’amour de la littérature se révèle en filigranes tout au long du roman, apparaissant ainsi comme une sorte de remède et d’espoir. « Napoli mon amour » fait partie de ces lectures qui résonnent en nous longtemps et qui sont la marque des auteurs talentueux. A découvrir.

Coup de cœur 2021 !

Napoli mon amour, Alessio Forgione, traduit de l’italien par Lise Caillat, Editions Denoël et d’ailleurs, janvier 2021, 272  p.

Efface toute trace, François Vallejo

A la réouverture des librairies, je me suis précipitée pour faire un plein, craignant que l’épisode funeste ne se répète et me laisse sans stock, ce qui n’est pourtant pas près de se produire ! J’ai eu tout de suite l’œil attiré par la couverture rouge et noire des éditions Viviane Hamy et par le nom de François Vallejo, qui m’ont rappelé l’excellent « Hôtel Waldheim » que j’avais tant apprécié il y a deux ans. Un très bon choix que je n’ai finalement pas eu le temps de lire tout de suite, mais avec lequel je me suis régalée :

L’auteur change totalement de lieu, d’époque, et de genre pour nous proposer… le rapport d’un expert en art contemporain ! Dit comme cela, ce n’est guère engageant, et pourtant… On n’a pas le temps de s’ennuyer car on apprend vite que ledit expert a été missionné par un groupe de collectionneurs anonymes qui craignent pour leur vie, depuis que trois décès violents ont eu lieu à Hong-Kong, New-York et Paris et qu’il est apparu dans les milieux initiés que les victimes ont en commun d’être fortunées, bien qu’à des degrés très divers, et surtout, d’avoir collectionné des œuvres d’art contemporain. Notre expert mettra peu à peu en évidence le fait que tous avaient acquis au moins une œuvre d’un artiste inconnu, un certain jv (initiales avec lesquelles il signe en minuscules).

« Le mystère entretenu par un pseudo, l’art de ne pas montrer son visage, sous un chapeau, une casquette, des lunettes noires, visent, chez la plupart des artistes, à amplifier leur notoriété ; chez jv, la dissimulation semble sincère, le devoir de reconnaissance étouffé ».

Qui est ce mystérieux jv ? Connaissait-il les victimes ? Quel art pratique-t-il ? François Vallejo nous propose ainsi un « thriller artistique », écrit avec toute la distance administrative que la rédaction d’un rapport exige. Pourtant le narrateur, au fil de sa rédaction froide et nuancée, commence à se laisser aller à une certaine ironie… et c’est ainsi qu’il nous emporte dans un roman original et très prenant.

En chemin, l’auteur évoque de nombreux thèmes liés à l’art contemporain comme la modernité de l’art collaboratif poussé à l’extrême ou le rôle de l’art moralisateur, la question de ce qui fait un chef-d’œuvre de nos jours, et tant d’autres. Les références à Banksy et à d’autres artistes moins connus du grand public sont nombreuses et ne séduiront pas que les connaisseurs, mais aussi les néophytes comme moi. « Efface toute trace » est un roman intelligent qui m’a fait passer un excellent moment !

Efface toute trace, François Vallejo, Editions Viviane Hamy, septembre 2020, 294 p.

Betty, Tiffany McDaniel

Quand on a un papa qui est allé sur la lune, perché sur le dos d’un « Attrapeur d’Etoiles Agité », ces magnifiques lions noirs chargés de ramasser les étoiles tombées sur terre, on ne peut qu’aimer les histoires. D’ailleurs, le jour où elle cesse de croire aux histoires de son père, Betty se met à en écrire : des histoires qu’elle enfouit sous terre au fil des années. 

Néanmoins gaie, pleine d’entrain et d’attention pour les autres, Betty a beaucoup à raconter : l’écriture devient le réceptacle de sa douleur. Quand on est la sixième d’une famille de huit enfants qui a connu beaucoup de deuils, la vie qui se dévoile peu à peu est rude et sans concessions. Surtout quand se profilent de terribles secrets de famille qui expliquent le comportement parfois fantasque, souvent irrationnel et déséquilibré de la mère. Mais il y a l’amour inconditionnel du père ainsi que sa bienveillance et le monde imaginaire qu’il met à la disposition de ses enfants.

Chez les Carpenter, la vie est difficile également parce que la mère est blanche et que le père est un Cherokee. Betty tient de lui, c’est d’ailleurs la seule des enfants à avoir la peau si foncée, ce qui lui vaut d’être la proie des moqueries des habitants et des écoliers de Breathed, la petite ville de l’Ohio où la famille Carpenter a fini par s’installer. Mais Betty, forte de la tendresse de son père, qui la surnomme « la Petite Indienne » et lui enseigne un peu de la culture des Cherokees, apprend à sécher ses larmes et à garder la tête haute.

Voilà un très beau roman qui évoque l’enfance, la perte des illusions et de l’innocence et qui nous offre un magnifique duo père-fille. Les sept cent pages défilent rapidement car l’écriture fluide et facile à lire n’en n’est pas moins recherchée et poétique. J’ai beaucoup aimé les petits mots pour se souhaiter une bonne nuit que les sœurs gardent précieusement, des mots qui rassurent et qui réparent, comme ceux de Landon, le père, et qui rendront Betty plus forte et l’aideront plus tard, non pas à oublier, mais à prendre son envol.  

Betty, Tiffany McDaniel, traduit de l’américain par François Happe, Gallmeister, 2020, 716 p.