Archive | mars 2020

Continuer, Laurent Mauvignier

 

C’est avec ce roman de Laurent Mauvignier que j’ai réussi à recommencer à lire. Je cherchais dans ma Pal pourtant bien fournie de quoi relancer l’envie et mon premier critère de choix était un livre pas trop épais, qui serait vite lu, juste pour « repartir », retrouver la concentration. Je me suis arrêtée sur ce roman que je voulais lire depuis longtemps, sans me rendre compte que le titre m’avait sans doute « parlé », en ces temps difficiles.

Samuel et Sybille se trouvent au Kirghizistan, au milieu de montagnes sauvages et magnifiques, avec deux chevaux achetés à leur arrivée dans le pays. Ils sont en train de lever le camp lorsque des voleurs de chevaux arrivent, les menacent et se mettent à les suivre, attendant le juste moment pour agir. Samuel, adolescent dégingandé et hostile, est le fils de Sybille. C’est elle qui a décidé de l’emmener dans cette aventure, pour le sauver de mauvaises fréquentations et du tour dangereux que prenait sa vie. Sa vie à lui, mais sa vie à elle aussi.

C’est un pari que fait Sybille, comme elle en a l’habitude. Elle est courageuse, ou inconsciente comme le pense son ex-mari Benoît, car les défis qu’elle se lance réussissent rarement, surtout depuis une vingtaine d’année. L’étudiante brillante à qui tout souriait a laissé place à une femme qui va d’échec en échec, comme Benoît ne se prive pas de le souligner. Et l’on découvre peu à peu comment Sybille s’est enfoncée, comment elle et son ex-mari ont porté si peu d’attention à Samuel, qui le vivait bien mal. Lors de ce périple, le fils va réapprendre à connaître sa mère malgré lui, mais il lui faudra un électrochoc pour comprendre combien elle l’aime.

Le voyage comme rédemption pour une mère qui ne fut pas assez présente, le dépaysement pour mieux se retrouver, pour faire le point et recentrer Samuel, le fils en perdition, sur l’essentiel. Dit comme cela, c’est assez banal, et d’ailleurs quelques éléments m’ont gênée, notamment dans les personnages dont j’ai trouvé les traits quelque peu forcés. Certes, Sybille est courageuse et déterminée et elle a fait de ce leitmotiv un principe de vie, « continuer », oui, mais presque envers et contre tout.

Le roman de Laurent Mauvignier n’en reste pas moins magnifique par son écriture, par la force évocatrice des descriptions des paysages, par la précision des sentiments, ainsi que par la tension que l’auteur insuffle au récit lorsque ses héros se trouvent en difficulté, comme lors de la traversée des zones marécageuses. « Continuer » est donc un roman que l’on ne peut que recommander et en ce qui me concerne, j’inscris déjà dans ma liste de lectures futures les romans de Mauvignier que vous voudrez bien me conseiller.

 

Continuer, Laurent Mauvignier, Les Editions de Minuit, juillet 2016, 239 p.

 

Livre lu dans le cadre du challenge Objectif Pal chez Antigone

 

Trois heures du matin, Gianrico Carofiglio

Coup de cœur pour ce nouveau livre de l’Italien Gianrico Carofiglio que je connaissais pour des romans policiers dont le héros, l’avocat Guerrieri, lui permettait de mettre en lumière la réalité de la justice italienne. Carofiglio est en effet un ancien magistrat qui fut chargé des enquêtes contre la mafia à Bari.

 « Trois heures du matin » n’a toutefois rien à voir avec le polar, et d’ailleurs son auteur n’a pas que cette corde à son arc, puisqu’il écrit également des romans, des nouvelles et des essais. Il s’agit donc ici d’un roman d’initiation et surtout, de l’histoire d’une rencontre heureuse entre un père et son fils qui vivaient jusque-là dans une indifférence réciproque et qui avaient même, pour des raisons différentes, renoncé à vivre.

Antonio est un adolescent italien qui vit avec sa mère, après la séparation de ses parents lorsqu’il avait neuf ans. Il est victime de crises étranges et inquiétantes, qui seront bientôt identifiées comme une forme d’épilepsie. Le traitement que reçoit Antonio ne donne pas satisfaction et ses parents décident alors de l’emmener à Marseille afin de consulter un grand spécialiste. Le traitement et le rythme de vie presque normal que le docteur Gastaut prescrit à Antonio lui rendent espoir. Antonio devra revoir le médecin trois ans plus tard, pour évaluer les effets du traitement.

Antonio a dix-huit ans lorsqu’il retourne à Marseille, seul avec son père cette fois, afin de se prêter aux examens qui permettront au professeur d’évaluer les progrès contre la maladie. Une dernière «expérience», qui prend un tour assez inédit et pas désagréable, devrait permettre de savoir si Antonio est guéri. Au cours de ces quarante-huit heures sans sommeil, père et fils se lancent à la découverte de Marseille et à travers elle, d’eux-mêmes et de leur relation.

Nous assistons à la naissance d’un amour père-fils, qui s’exprime dans la joie de transmettre pour le père, dans celle de l’apprentissage de la vie pour le fils. Deux hommes qui ne s’étaient jamais « rencontrés », alors qu’ils se côtoyaient depuis dix-huit ans, font enfin connaissance, faisant peu à peu tomber les incompréhensions qui leur barraient la route…

Le roman de Carofiglio est tendre, émouvant et pudique. Un brin nostalgique, il laisse apparaître des émotions, des aspects de la personnalité des protagonistes jusque-là insoupçonnés. A cela s’ajoutent une écriture fluide, pas mal de dialogues, Marseille -que le roman nous donne envie de (re)visiter- et toute la finesse et l’intelligence de ce romancier.

Coup de coeur 2020 !

 

Trois heures du matin, Gianrico Carofiglio, traduit de l’italien par Elsa Damien, Editions Slatkine et Cie, mars 2020, 222p.

 

Je remercie beaucoup les Editions Slatkine et Cie de m’avoir envoyé ce roman.

 

Où il est question de « Civilizations » de Laurent Binet et de ma fichue liseuse…

 

Généralement, lorsque je n’ai pas du tout aimé un roman, mon choix est de ne pas en parler et c’est pourquoi vous lisez sur ce blog une grande majorité d’avis positifs. Parce que la lecture est une expérience profondément subjective et que l’expérience m’a montré que mon avis, même argumenté et nuancé, est parfois reçu de façon « raccourcie », et surtout parce que je respecte trop le travail de l’auteur pour me permettre de l’éreinter. Il n’en va pas de même dans ce cas précis, puisque je n’ai pas le choix et que la mise à disposition d’un roman par certains sites exige en retour l’envoi d’une chronique, quoi qu’il en soit, avis que j’ai décidé de partager ici, puisqu’il pose aussi la question de l’influence du support sur la lecture.

Alors, autant aller droit au but :  je n’ai pas du tout aimé le dernier roman de Laurent Binet, et cela m’a d’autant plus désorientée que j’avais beaucoup apprécié « Hhhh » et adoré « La septième fonction du langage ». En ce qui qui concerne « Civilizations », je n’ai pas réussi à finir ce roman, bien que je m’y sois efforcée à plusieurs reprises. Quand une lecture devient à ce point fastidieuse, il vaut mieux finalement l’abandonner (ce que j’aurais fait beaucoup plus vite si je n’avais pas été obligée d’écrire un avis).

Alors pourquoi n’ai-je pas du tout réussi à entrer dans ce livre ? L’idée de revisiter l’histoire était plutôt séduisante, mais je me suis tout de suite perdue chez les Vikings, même quand ils sont arrivés en Amérique. La lutte fratricide entre les chefs Incas n’a pas réussi à me réveiller et, même si le débarquement des Incas au Portugal m’a rendu quelque espoir, les horreurs de la conquête de l’Espagne de l’Inquisition m’ont donné le coup de grâce. Il est vrai que les périodes et les zones géographiques évoquées ne sont pas celles qui me sont le plus familières.

Et c’est peut-être là que je trouverais une partie de l’explication à l’ennui qui m’a saisi pendant la lecture : je n’avais que peu de connaissances historiques sur les personnages concernés et par conséquent, aucun accès aux sous-entendus et à l’humour de l’auteur. Car, a contrario, si « La septième fonction du langage » m’a autant plu, je me rends compte aujourd’hui que c’est certainement parce que mes connaissances, même émoussées, en linguistique, sémiotique et philosophie, m’ont permis de débusquer tout ce qui était implicite et d’apprécier l’humour et le talent de Laurent Binet.

Mais il n’y a pas que cette explication, et là, c’est sans doute plus « grave » : ma lecture a été desservie par le support sur lequel j’ai lu le texte; retrouver un nom, une date ou un évènement n’est pas chose aisée sur la liseuse, beaucoup moins que dans un livre traditionnel, qu’il suffit de feuilleter, au gré de notre mémoire visuelle -on se souvient parfois de la disposition du paragraphe où l’on a lu la référence que l’on recherche-. Ici, c’est impossible. De la même façon, la liseuse permet difficilement de se situer dans la lecture (« 45% » du roman ne me dit pas grand-chose car je n‘appréhende déjà pas la consistance du texte entier lui-même…). Et dans « Civilizations », les noms et les événements sont nombreux et parfois compliqués, rendant souvent nécessaire le fait de se reporter aux pages précédentes.

Bref, j’ai entamé ma lecture de « Civilizations » en août 2019, je l’ai poursuivie poussivement en septembre et octobre entre d’autres livres et j’écris enfin cette chronique, parce qu’il le faut bien. Malheureusement, je ne pourrai guère vous en dire plus sur le roman (puisque vous l’avez compris, je n’en n’ai lu qu’une partie, indéfinissable à cause de la liseuse, et parce que cela fait déjà six mois).

Au-delà de la déception quant au roman, je m’interroge surtout sur le support : aurais-je apprécié davantage le roman de Laurent Binet en lisant un « vrai livre » ? Peut-être que cela n’a rien à voir et que, tout simplement, Erik le Rouge et Atahualpa ont eu raison de moi, et c’est dommage, car j’arrivais en Europe et à la Renaissance, au moment où le chef Inca allait lire « Le Prince » de Machiavel (d’après ce que j’ai appris dans une chronique enthousiaste), soit dans une période que je connais beaucoup mieux et qui m’aurait sans doute intéressée.

Mais comment sauter du texte avec ce fichu engin (oui, techniquement, je sais comment faire, mais comment parvenir exactement à la bonne page, au bon paragraphe, instinctivement, sans y passer deux heures…) ? Et puis, j’y retournerais bien jeter un coup d’œil maintenant, par curiosité, pour voir où l’auteur m’aurait emmenée mais… je ne peux pas reprendre le livre pour voir où j’ai laissé le signet… oui, je sais, il existe un signet électronique, mais j’oublie à chaque fois où le trouver et comment il fonctionne…

Pfff, vive le papier !!!

 

Civilizations, Laurent Binet, Gallimard, août 2019, Grand prix du roman de l’Académie française.

 

 

Du coup, cette lecture peut participer au challenge Objectif Pal chez Antigone.