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Trois heures du matin, Gianrico Carofiglio

Coup de cœur pour ce nouveau livre de l’Italien Gianrico Carofiglio que je connaissais pour des romans policiers dont le héros, l’avocat Guerrieri, lui permettait de mettre en lumière la réalité de la justice italienne. Carofiglio est en effet un ancien magistrat qui fut chargé des enquêtes contre la mafia à Bari.

 « Trois heures du matin » n’a toutefois rien à voir avec le polar, et d’ailleurs son auteur n’a pas que cette corde à son arc, puisqu’il écrit également des romans, des nouvelles et des essais. Il s’agit donc ici d’un roman d’initiation et surtout, de l’histoire d’une rencontre heureuse entre un père et son fils qui vivaient jusque-là dans une indifférence réciproque et qui avaient même, pour des raisons différentes, renoncé à vivre.

Antonio est un adolescent italien qui vit avec sa mère, après la séparation de ses parents lorsqu’il avait neuf ans. Il est victime de crises étranges et inquiétantes, qui seront bientôt identifiées comme une forme d’épilepsie. Le traitement que reçoit Antonio ne donne pas satisfaction et ses parents décident alors de l’emmener à Marseille afin de consulter un grand spécialiste. Le traitement et le rythme de vie presque normal que le docteur Gastaut prescrit à Antonio lui rendent espoir. Antonio devra revoir le médecin trois ans plus tard, pour évaluer les effets du traitement.

Antonio a dix-huit ans lorsqu’il retourne à Marseille, seul avec son père cette fois, afin de se prêter aux examens qui permettront au professeur d’évaluer les progrès contre la maladie. Une dernière «expérience», qui prend un tour assez inédit et pas désagréable, devrait permettre de savoir si Antonio est guéri. Au cours de ces quarante-huit heures sans sommeil, père et fils se lancent à la découverte de Marseille et à travers elle, d’eux-mêmes et de leur relation.

Nous assistons à la naissance d’un amour père-fils, qui s’exprime dans la joie de transmettre pour le père, dans celle de l’apprentissage de la vie pour le fils. Deux hommes qui ne s’étaient jamais « rencontrés », alors qu’ils se côtoyaient depuis dix-huit ans, font enfin connaissance, faisant peu à peu tomber les incompréhensions qui leur barraient la route…

Le roman de Carofiglio est tendre, émouvant et pudique. Un brin nostalgique, il laisse apparaître des émotions, des aspects de la personnalité des protagonistes jusque-là insoupçonnés. A cela s’ajoutent une écriture fluide, pas mal de dialogues, Marseille -que le roman nous donne envie de (re)visiter- et toute la finesse et l’intelligence de ce romancier.

Coup de coeur 2020 !

 

Trois heures du matin, Gianrico Carofiglio, traduit de l’italien par Elsa Damien, Editions Slatkine et Cie, mars 2020, 222p.

 

Je remercie beaucoup les Editions Slatkine et Cie de m’avoir envoyé ce roman.

 

Un bon fils, de Pascal Bruckner

un bon filsPascal Bruckner est connu en tant que romancier, essayiste et philosophe. Son dernier ouvrage, paru en 2014, est autobiographique et raconte l’histoire de son père et de la difficile relation qu’il a entretenue avec celui-ci pendant soixante-trois ans. Il faut dire que René Bruckner était un personnage odieux qui accumulait les défauts : sympathisant nazi, antisémite, raciste arrogant et pour finir, comme si tout cela ne suffisait pas, violent avec une épouse qu’il n’a jamais respectée, passant son temps à la dénigrer, l’insulter, et la tromper. L’humiliation était son jeu favori et il la pratiquait avec tous, même s’il a connu quelques périodes de répit, notamment lorsqu’il fut grand-père.

Le jeune Pascal aurait pu suivre le même chemin, mais il a préféré s’opposer à ce père toxique, allant jusqu’à choisir de ne pas démentir lorsqu’on tenait son patronyme pour juif, jugeant qu’il n’existait pas meilleure vengeance face à ce père antisémite. Ouvert aux autres, passionné par l’évolution du monde, Pascal Bruckner n’avait rien de commun avec le monstre de méchanceté qu’il a eu pour père.

Et pourtant, il s’est toujours efforcé d’être « un bon fils ». Il s’est occupé de son père jusqu’au bout, accomplissant son devoir de fils unique, face à ce vieil homme seul et dépendant pour lequel il devait sans doute éprouver quelque affection. Bruckner décrit avec sensibilité les sentiments ambigus qu’il ressentait à l’égard d’un père infâme qu’il désapprouvait totalement, dont il s’est parfois éloigné, mais avec lequel il n’a jamais pu couper les ponts.

Pascal Brukner signe un roman autobiographique très intéressant, qu’il agrémente de réflexions sur le monde depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sur ce qui a été, sur ce qui aurait peut-être pu être. On y retrouve quelques grandes figures qui ont aidé Bruckner à s’éveiller au monde, Sartre, Barthes qui fut son directeur de thèse et surtout Alain Finkelkraut, le « double » avec lequel il a écrit quelques livres. Malgré le sujet très douloureux, « Un bon fils » est un roman optimiste, comme son auteur qui, loin de régler ses comptes, reste toujours serein et distancié dans ses jugements, épargnant au lecteur tous les écueils du genre.

 

Un bon fils, Pascal Bruckner, Le livre de poche n°, septembre 2015, 216 p.