Que reviennent ceux qui sont loin, Pierre Adrian

L’été qui débute, c’est pour certains le retour à la « grande maison », celle des familles et de l’enfance, celle qui reste quand le temps et les générations passent sans espoir de retour. Le narrateur de ce roman dont on n’a pas assez parlé est un jeune homme qui désire revoir la maison bretonne des vacances de son enfance. Il vient y retrouver les sensations et les émotions qui construisaient le bonheur d’alors.

« Chaque année, se rejouaient ici les mystères d’une vie entière résumée en quelques semaines. Il y avait d’abord la monotonie des jours qui se confondent. Puis l’attente, avant le basculement de la mi-août, la précipitation douloureuse de dernières soirées dans la lumière d’automne, déjà. La fin.

Août était le mois qui ressemblait le plus à la vie ».

Le narrateur nous conte avec poésie et pudeur ces semaines d’été qu’il passe dans la grande maison sur les traces de son enfance mais aussi à la recherche de ce qui l’en a éloigné pendant plusieurs années. C’est d’abord une succession de journées faites de plaisirs simples et familiaux, de goûters composés d’un morceau de baguette et d’un carré de chocolat, de paysages dessinés au gré des vagues et des massifs d’hortensias. Il y a la grand-mère absente et souriante à la fois, les cousins dont le visage change trop vite et les oncles et tantes qui assurent l’intendance de ce petit monde.

L’été d’alors était un été comme tous les autres mais il s’est terminé par un événement douloureux, métaphore du basculement de l’enfance à l’âge adulte. La nostalgie demeure pourtant et elle a besoin de s’exprimer. « Que reviennent ceux qui sont loin » est un beau roman, très émouvant, servi par une écriture délicate. Il a profité du bouche-à-oreille, espérons qu’il poursuivra son chemin en poche !

Que reviennent ceux qui sont loin, Pierre Adrian, Gallimard, Paris, 2022, 181 p.

Lady L. de Romain Gary

Publié en anglais en 1959, ce roman est ensuite traduit en français sous la supervision de l’auteur pour paraître au lendemain de la guerre d’Algérie, ce qui ne semble pas un hasard puisque Romain Gary y évoque l’action politique, le poids de l’idéologie et le terrorisme, même s’il situe l’action dans les milieux anarchistes français de la fin du XIX ème et du début du XX ème siècle.

Lady L. est une vieille aristocrate anglaise d’origine française qui fête ses quatre-vingts-ans avec sa descendance nombreuse (« ce troupeau : plus de trente têtes ») et haut-placée –parmi lesquels un ministre, un évêque, un lieutenant-colonel du régiment de la Reine, un président de la Banque d’Angleterre…-. Or, lorsqu’elle apprend que son pavillon doit être démonté pour faire passer une autoroute, elle décide de faire transporter ailleurs l’ensemble des objets qu’elle y a accumulés. Et c’est son fidèle Percy, le Poète-Lauréat, amant platonique hautement respectueux, qui l’aidera dans cette tâche. Reste à le préparer à ce qu’il va découvrir dans le pavillon. C’est en chemin que Lady L. lui révèle l’histoire de sa vie, inattendue et haute-en-couleur…

Lady L. est une lecture à plusieurs niveaux : divertissante et romanesque, intéressante par la problématique politique soulevée et la critique sociale, et en même temps, pleine d’humour. Roman Gary a dû beaucoup s’amuser en l’écrivant, pour notre plus grand plaisir !

Lady L., Romain Gary, Folio n°304, janvier 2022, 251 p.

Blanc, Sylvain Tesson

« Blanc » ne m’a pas emportée comme tant de romans de Sylvain Tesson l’ont fait. Et pourtant, tout y est : le périple, -cette fois une traversée des Alpes à ski de Menton à Trieste-, la nature et ses beautés, les références littéraires et historiques et cette belle écriture classique, qui porte tantôt la précision du géographe, tantôt l’émotion onirique du poète devant une nature qui le domine.

Alors pourquoi la recette a moins bien fonctionné pour moi ? Il y avait cette sensation de répétition trop présente, l’arrivée au refuge et le repos chaque jour tant attendu, la menace des avalanches, ainsi que le découpage en de nombreux chapitres très courts correspondant à un jour et une étape.

Certainement aussi, le fait que l’aventure ait été réalisée sur quatre années, de 2018 à 2021, pour des raisons bien compréhensibles, ce qui retire au lecteur l’impression d’être dans une traversée au long cours, avec des protagonistes coupés de la civilisation. Pour autant, « Blanc » est un très bon récit de voyage et je ne pouvais pas ne pas en parler. Peut-être ai-je simplement lu trop de livres de cet auteur, qui reste quand même parmi mes préférés…

Blanc, Sylvain Tesson, Gallimard, collection Blanche, septembre 2022, 235 p.

Dans les brumes de Capelans, Olivier Norek

Pour son huitième polar, Olivier Norek renoue avec le personnage de Victor Coste dont la nouvelle mission est classée « secret défense ». Et c’est sur l’île de Saint-Pierre-et-Miquelon, à des milliers de kilomètres de la Métropole, que Coste est chargé d’accueillir des témoins protégés, dans une résidence surveillée qui est une véritable forteresse. Mais alors que le policier reçoit habituellement des repentis ou des « balances », soit « les pires ordures de la criminalité organisée », la nouvelle protégée de Coste est une jeune fille qui a été victime pendant dix ans d’un prédateur de la pire espèce.

La mission de Coste est de faire parler Anna afin de retrouver son ravisseur ainsi que d’autres victimes qui se trouvent en danger de mort. Bénéficiant de critiques dithyrambiques, le roman de Norek ne pas déçue comme c’est souvent le cas lorsqu’un livre est encensé. Addictif, détaillé et précis -c’est un ancien flic qui écrit-, le roman nous plonge dans l’atmosphère bien particulière d’un petit bout de France lointain, envahi par des brumes opaques pendant trois semaines du début de l’été. Les héros, antihéros par excellence, ont des profils psychologiques difficiles à décrypter et le premier rebondissement m’a vraiment surprise. Un excellent polar !

Dans les brumes de Capelans, Olivier Norek, éditions Michel Lafon, avril 2022, 429 p.

2023, c’est parti !

Le blog reprend du service après presque un an d’inactivité en ce qui concerne les chroniques, mais pas la lecture, heureusement ! J’espère pouvoir à nouveau publier régulièrement, avec quelques changements, parce que le temps me manque en raison d’autres projets, parmi lesquels celui de lire presque exclusivement en italien pendant un an. « Presque »,  car il me serait impossible de ne lire aucun livre en français pendant un an, à moins de me couper du monde pendant tout ce temps, pour n’avoir aucune nouvelle envie de lecture, ce qui est ni possible, ni souhaitable.

Alors, j’ai choisi de réduire la taille de mes chroniques. Désormais, elles ne dépasseront pas les quinze lignes –c’est un défi lorsque l’on est bavarde-, sauf lorsque je présenterai des lectures peu connues et rarement chroniquées. Je continuerai à n’évoquer que les livres qui m’ont plu, un peu, beaucoup ou passionnément. Quant aux autres, j’ai pris l’habitude de ne pas y consacrer de temps : pourquoi critiquer le travail d’un auteur, alors que l’avis en matière littéraire est hautement subjectif ?

Il ne me reste que deux lignes pour conclure et je le ferai en vous présentant mes meilleurs vœux pour 2023 : je vous souhaite la santé, la réalisation de vos projets, beaucoup de rêves et des lectures enrichissantes ! A bientôt !

Ces montagnes à jamais, Joe Wilkins

 

ces montagnes à jamais poche

C’est le premier roman de Joe Wilkins mais l’auteur a aussi écrit de nombreux poèmes ainsi qu’un récit sur son enfance et son adolescence. Originaire du Montana, et plus particulièrement des Bull Mountains où se situe l’intrigue, Joe Wilkins nous offre un texte aux multiples facettes, roman social, western moderne, parsemé d’épisodes de « nature writing », avec deux personnages très forts, Wendell et Guillian, qui n’ont en apparence rien en commun sinon un fort attachement aux lieux.

Wendell Newman est un jeune homme de vingt-quatre ans qui vit dans un mobile-home et s’épuise au travail en tant qu’employé de ranch sur les terres perdues de ses défunts parents. Défunt, ce n’est pas sûr en ce qui concerne son père qui a simplement disparu une dizaine d’années plus tôt, et dont les extraits du journal qui nous sont livrés retracent la fuite éperdue dans les montagnes. Sa mère en revanche, n’a pu supporter la vie difficile qui lui restait, et Wendell travaille pour rembourser les factures médicales qu’elle lui a laissées…

Gillian Houlton est l’assistante du principal d’un collège de Colter, une petite ville des environs de Billings dans le Montana. Très déterminée, son seul but est d’aider les élèves à « faire des choix de vie corrects », même si ceux qui y parviennent sont très peu nombreux. La cinquantaine, elle est la mère d’une adolescente, Maddy, qu’elle élève seule depuis que Kevin est mort lorsque la petite avait six ans.

Il est vrai que le tableau est noir, et il serait faux de dire que le roman n’est pas sombre mais il n’est jamais misérabiliste. D’autant que Wendell se voit confier la garde de Rowdy, le fils de sa cousine qui est incarcérée, et qu’il noue un lien fort avec le jeune garçon qui ne parle pas. Wendell se révèle être protecteur et bon même s’il reste prisonnier de son passé; comme Gillian qui n’arrive pas à oublier son mari Kevin.

Le dénouement viendra lors d’une grande chasse au loup qui se déroule en toute légalité mais qui vient réveiller l’instinct des milices séparatistes dont le père de Wendell est encore le héros. Joe Wilkins fait monter le suspense et nous prend dans cette histoire envoûtante qui décrit également très bien la réalité sociale de cet Etat du Montana, dans les montagnes de l’Amérique profonde, lors des années Obama. Les hommes y sont profondément attachés au territoire, à leurs traditions et à leur mode de vie et ils s’opposent aux agences gouvernementales qui n’ont pas les mêmes objectifs qu’eux. La nature est centrale dans le roman et l’écriture poétique de Joe Wilkins est pour beaucoup dans le succès de « Ces montagnes à jamais ».  Une belle découverte que ce roman qui est paru en mai 2021 en édition de poche, chez Gallmeister également.

 

ces montagnes a jamais

 

« Ces montagnes à jamais », Joe Wilkings, traduit de l’américain par Laura Derajinski, Editions Gallmeister, février 2020, 306 p.

Edition de poche, Gallmesiter, Totem n°186, mai 2021, 288 p.

Chevreuse, Patrick Modiano

Pas de chroniques depuis deux mois car, même si les lectures se sont enchaînées, bien peu m’ont « transportée ». Ce terme ancien n’est plus utilisé et pourtant il évoque ce que j’attends d’une lecture, m’émouvoir, m’étonner, me ravir, me captiver et bien sûr, induire une réflexion et laisser des traces… Alors, j’hésite à me tourner pendant quelques temps vers des classiques. En attendant, heureusement, il y a Modiano !

Dès les premières pages, nous voici plongés dans cette atmosphère modianesque que j’aime tant : la musique de son écriture est rassurante, elle nous conduit « sur une frontière étroite entre la réalité et le rêve », à la recherche de souvenirs qui n’en sont pas toujours, de demi-oublis et autres impressions de déjà-vu, si chers à l’auteur.

Nous, (lecteurs assidus de Modiano), nous constituons prisonniers volontaires d’une sorte de brouillard temporel indéfinissable qui habille une époque révolue. Elle nous est désormais familière et par là-même rassurante, mais elle reste inquiétante : car il y a toujours une énigme, plus ou moins trouble et angoissante mais rarement très grave, même si elle est permanente : c’est celle qui dissimule l’écoulement du temps sous un voile léger que l’on peut soulever mais jamais retirer, au grès des souvenirs qui vont et viennent, jusqu’à disparaître avec les années et avec nos vies. Et pourtant, cette atmosphère n’est pas triste, mélancolique certes, mais aussi envoûtante.

Cette fois, c’est dans la vallée de Chevreuse et à Auteuil que commence sa nouvelle recherche. Le narrateur songe et se laisse traverser par des pensées, des détails, des sonorités. « Chevreuse » fait partie de ces noms dont les sons lui rappellent quelque chose, Auteuil également. Comme un titre de chanson, « Douce dame » interprétée par Serge Latour, ou « Tête de mort », le surnom donné à Camille, cette jeune femme étrange à la voix douce qui fredonnait la chanson de Latour. « Mais comment mettre en ordre tous ces signaux et ces appels en morse, venue d’une distance de plus de cinquante ans, et leur trouver un fil conducteur » ?

Modiano déroule la bobine, libérant des impressions et laissant réapparaître au grand jour des noms jusque-là enfouis dans sa mémoire. Les souvenirs se précisent, des lieux surgissent, des événements minuscules refont surface et donnent lieu à de nouvelles interrogations. Que se passait-il dans cet appartement d’Auteuil ? Pourquoi tant de gens s’y retrouvaient-ils, la nuit venue ? Appeler au téléphone Auteuil 15.28, était-ce l’assurance de tomber sur des gens peu fréquentables ?

Modiano est fidèle à lui-même, usant des mêmes procédés, faisant revivre un passé flou, fait de souvenirs personnels et de références à certains de ses romans, avec son écriture si particulière, distanciée et pourtant précise. Peut-être écrit-il toujours le même livre, mais c’est à chaque fois une histoire nouvelle que nous lisons. Ainsi, Modiano réussit-il, avec « Chevreuse » à faire revivre ses fantômes et à créer une histoire très différente des autres. Ce trentième roman, est donc pour moi, comme beaucoup d’autres de Modiano, un régal de lecture grâce au plaisir d’avoir été dépaysée et apaisée à la fois. Un roman qui doit se lire lentement, et qui distille pendant longtemps en nous ses réflexions énigmatiques…

Coup de coeur 2021 !

Chevreuse, Patrick Modiano, Gallimard, Paris, octobre 2021, 159 p.

Au bon roman, Laurence Cossé

« Au bon roman » est un excellent roman, l’accroche est facile, même si certains trouveront contestable l’idée qui l’anime, toute relative, mais qui a le mérite de nous faire réfléchir : les romans peuvent-ils être catégorisés en fonction de leur valeur littéraire et surtout, où se trouve la limite permettant de définir une œuvre comme étant de qualité et une autre, sans intérêt littéraire ?

C’est pour mettre en pratique cette idée qu’une riche italienne, Francesca, a décidé d’ouvrir une librairie où l’on ne trouverait que de bons romans. Quel fervent lecteur n’a pas rêvé de passer des heures dans un tel endroit qui ne recèlerait que des trésors ?

« -Et dire que tant de gens autour de moi se plaignent de ne rien trouver de bon à lire. Quelle aberration.

-Quel dommage. Alors que vous et moi découvrons chaque mois un chef-d’œuvre. C’est que quatre-vingt-dix pour cent des romans qui se publient sont « des livres que c’est pas la peine » comme les appelait Paulhan. La critique ne devrait parler que des autres, mais elle est paresseuse et frivole. »

Et le projet est bien ficelé : Francesca dispose du local, un magnifique magasin en plein cœur du centre intellectuel et culturel de la capitale. Elle en déniche également le responsable, un libraire autodidacte passionné, Yvan Georg, dit Van ; ensemble, ils forment un comité de sélection secret composé d’excellents auteurs qui fournissent les listes des romans qui figureront dans le stock de la librairie. Quant à la viabilité financière du projet, Francesca y attache peu d’importance, concevant l’idée comme un mécénat tel qu’il se pratique dans d’autres domaines artistiques.

Bien sûr, un tel projet n’est pas du goût de tous et suscite rapidement jalousies et rancœurs. Il déchaîne également la concurrence car, contre toute attente, la librairie remporte un immense succès. Mais qui aurait imaginé que les membres du comité auraient risqué leur vie en participant au choix des romans dignes d’intérêt ? Qui est prêt à tuer et pour quelle raison ? Un auteur dont le roman n’a pas été retenu pour être vendu « au bon roman » ?

« Au bon roman » ne parle que de livres, de toutes les façons possibles. Le policier qui mène l’enquête sur les meurtres qui ouvrent le roman est lui-même un fervent lecteur. Le petit monde du livre, libraires, éditeurs, critiques littéraires et médias sont de la partie. Jusqu’aux romans évoqués pour faire partie du stock de la librairie « Au bon roman ». L’auteur nous donne d’ailleurs ici de nombreuses pistes de lecture et j’ai même noté quelques titres parmi les auteurs qui reviennent le plus souvent, tels Cormac Mc Carthy, Carlo Fruttero et Franco Lucentini, Pierre Michon et Marcel Aymé, mais beaucoup d’autres sont cités : amateurs de listes, à vos crayons !

On ne s’ennuie pas une minute dans ce roman qui allie à la fluidité et à la simplicité de l’écriture un fourmillement de références littéraires et culturelles. Il y a matière à réflexion dans ce manifeste en faveur de la bonne littérature, mais pas de la littérature élitiste, comme la profession de foi envers les bons livres l’atteste (p307 et 308 de l’édition Folio). Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur ce roman qui débute comme un polar pour revêtir ensuite diverses formes et nous propose des personnages très intéressants. Au bout du compte, je ne sais toujours pas ce qu’est exactement un bon roman, notion particulièrement subjective, mais je sais aussi que chacun peut accéder à de la bonne littérature et que comme dans beaucoup de domaines, un minimum d’exigence s’impose. C’est aussi à cela qu’on reconnait les bons auteurs… simplicité et hauteur de vue !

Au bon roman, Laurence Cossé, Folio n° 5074, 2010, 469 p

Participation au challenge Objectif Pal chez Antigone

Toutes les vagues de l’océan, Victor del Arbol

Quand Gonzalo Gil apprend le suicide de sa soeur Laura, il ne ressent pas plus d’émotion que s’il s’agissait de la mort d’une inconnue. Sa mère non plus, de même que Luis, l’ex-mari de Laura, une indifférence qui n’est pas commune. Quant à la police, dont Laura faisait partie, elle classe rapidement l’affaire, prenant le suicide de Laura comme une preuve de sa culpabilité : un certain Zinoviev, meurtrier de Roberto, le fils de Laura, a en effet été tué après avoir été longuement torturé. Quel meilleur mobile que l’enlèvement et l’assassinat froid et cruel d’un enfant de six ans, dont le corps flotte à plat ventre, donnant ainsi le ton ce que vont être les presque sept cents pages suivantes ?

Nous passons de Barcelone en 2002 à Moscou en 1933. Elias Gil arrive en URSS pour parfaire ses connaissances d’ingénieur. Ce jeune communiste espagnol a obtenu une bourse et il est accompagné d’étudiants internationaux qui sont dans le même cas que lui. Leur enthousiasme idéaliste face à la grandeur soviétique va aussitôt se heurter aux méthodes staliniennes : les jeunes hommes se retrouvent dans un train de déportés en route vers la Sibérie orientale et vers un destin cruel sur l’île de Nazino.

Qui est vraiment Elias Gil ? Quel rapport a-t-il avec la mort de Laura et de son fils ? Qu’est devenue Anna, la fille d’Irina, qu’Elias s’était juré de protéger ? Peu à peu, les éléments du puzzle s’imbriquent et nous révèlent de sombres secrets familiaux qui s’inscrivent dans les heures plus plus noires de l’histoire européenne du XX ème siècle.

Victor del Arbol nous promène ainsi avec talent de l’URSS de Staline à la guerre civile espagnole. Il nous dévoile les dessous d’un régime qui a cédé à la folie d’un dirigeant, en pourchassant ses ennemis jusque parmi ses plus fidèles défenseurs, puis qui s’est fourvoyé dans le pacte germano-soviétique. Il nous emmène ensuite dans les excès tout aussi criminels de l’Espagne franquiste, nous montrant les abjections auxquelles peut conduire la nature humaine quand elle érige une frontière trop mince entre le bien et le mal et bascule avec une facilité déconcertante du mauvais côté, mais aussi quand elle est acculée face à la menace. La lancinante question se pose à chaque fois qu’une situation historique extrême est évoquée : qu’aurions-nous fait à leur place ?

Et puis il y a la Barcelone des années 2000 en proie à des corruptions en tous genres, centre des trafics les plus odieux et des mafias les plus violentes, comme la Matriochka à laquelle Zinoviev obéissait peut-être… Avec de réelles surprises quant à ceux qui tirent les ficelles. Enfin, il y a ces personnages que l’on aime puis que l’on déteste, et dont on ne sait plus finalement qui ils sont : quel brio dans la manipulation, dans les retournements de situations, dans les rebondissements !

« Toutes les vagues de l’océan » est un pavé de 680 pages difficile à lâcher. L’auteur fait preuve d’une réelle virtuosité dans la construction du roman, dans la qualité de l’évocation historique, la richesse de l’intrigue ainsi que le soin apporté à l’écriture. Je n’ai qu’un regret : l’avoir terminé et ne pas pouvoir prolonger ma lecture !

Coup de coeur 2021 !

« Toutes les vagues de l’océan », Victor del Arbol, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, Babel Noir n° 169, janvier 2017, 680 p.

Lu dans le cadre du challenge Pavé de l’été chez Brizes, du challenge polars et thrillers chez Sharon et du challenge Objectif Pal chez Antigone.

Etés anglais, la saga des Cazalet 1, Elizabeth Jane Howard

Voici ma participation au mois anglais, in extremis, pour cause de vacances hors-saison : j’avais emporté « Etés anglais », le premier volume de la saga des Cazalet, du nom de cette famille aisée de la bourgeoisie londonienne qui se retrouve chaque été à la campagne. Ce fut une belle découverte, même si j’ai dû m’accrocher un peu pendant le premier tiers du roman, le temps de faire connaissance avec les nombreux personnages et de m’habituer à ce type de récit qui s’attache d’abord aux petites choses du quotidien : quelle robe porter, quelle chambre donner à une adolescente mal dans sa peau… ? Est-ce qu’on prend un café ? Oui, mais seulement si tu en prends un… Il s’en est fallu de peu que j’abandonne les Cazalet, mais je suis finalement très contente d’avoir poursuivi !

étés anglais la saga des cazalet

Le roman débute en juillet 1937 dans le Sussex, à Home Place, résidence de William et Kitty Cazalet. Kitty, surnommée La Duche, prépare la maison avec ses domestiques, en attendant l’arrivée des enfants et petits-enfants. Leur fille Rachel, célibataire, vit avec eux, mais les trois garçons vivent à Londres avec leur famille.  L’aîné, Hugh, est rentré de la Grande Guerre amputé d’une main et en proie à de violents maux de tête. Il a deux enfants et sa femme est enceinte au début du récit. Le deuxième fils, Edward, est un homme séduisant à qui tout réussit, marié à une ancienne danseuse étoile et père de trois enfants. Enfin, Rupert, le plus jeune, est professeur et peintre-artiste lorsqu’il en trouve le temps. Il a perdu sa première femme en couches et a épousé ensuite la jeune Zoé qui a du mal à se faire à son statut de belle-mère.

Tout ce petit monde, accompagné de gouvernantes et autres domestiques, vient passer l’été à Home Place où les apéritifs dans le jardin font place à des repas de famille ou à des pique-niques sur la plage. Les paysages enchanteurs, d’un vert tendre tout britannique, les roses du jardin, et la canicule -car il faisait chaud aussi dans les années trente en Angleterre- nous promènent dans ce quotidien privilégié, doux et attachant. Mais derrière les préoccupations des uns et des autres, les petites disputes et les bouderies, apparaissent bientôt des non-dits, des incertitudes et des questions finalement bien plus importantes.

Née en 1923, Elizabeth Jane Howard a sans aucun doute vécu bon nombre de ces moments qu’un don pour l’observation lui permet de retracer avec finesse et psychologie. Sous une apparence d’abord légère, le roman évoque des thèmes beaucoup plus sérieux, le traumatisme qu’a représenté la guerre 14-18, le rôle des femmes et leur difficulté à trouver leur place dans la société masculine de l’époque, l’homosexualité, les relations intra-familiales, la peur des enfants face à la guerre… Dans la seconde moitié du roman, on assiste peu à peu à la montée de l’inquiétude de la famille face aux risques de conflit mondial. On découvre aussi que derrière l’apparente unité de la famille, il existe beaucoup de petits secrets… On ne peut donc pas abandonner la lecture à la fin de l’été 1938. Alors, je ne sais pas si j’irai jusqu’à la fin de la saga, mais il est sûr que je vais me procurer le second tome rapidement !

Etés anglais, La saga des Cazalet 1, Elizabeth Jane Howard, traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff, Quai Voltaire, paris 2020.

 

Lu dans le cadre du mois anglais, du challenge Objectif pal et du challenge Pavé de l’été chez Brizes.

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