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Lady L. de Romain Gary

Publié en anglais en 1959, ce roman est ensuite traduit en français sous la supervision de l’auteur pour paraître au lendemain de la guerre d’Algérie, ce qui ne semble pas un hasard puisque Romain Gary y évoque l’action politique, le poids de l’idéologie et le terrorisme, même s’il situe l’action dans les milieux anarchistes français de la fin du XIX ème et du début du XX ème siècle.

Lady L. est une vieille aristocrate anglaise d’origine française qui fête ses quatre-vingts-ans avec sa descendance nombreuse (« ce troupeau : plus de trente têtes ») et haut-placée –parmi lesquels un ministre, un évêque, un lieutenant-colonel du régiment de la Reine, un président de la Banque d’Angleterre…-. Or, lorsqu’elle apprend que son pavillon doit être démonté pour faire passer une autoroute, elle décide de faire transporter ailleurs l’ensemble des objets qu’elle y a accumulés. Et c’est son fidèle Percy, le Poète-Lauréat, amant platonique hautement respectueux, qui l’aidera dans cette tâche. Reste à le préparer à ce qu’il va découvrir dans le pavillon. C’est en chemin que Lady L. lui révèle l’histoire de sa vie, inattendue et haute-en-couleur…

Lady L. est une lecture à plusieurs niveaux : divertissante et romanesque, intéressante par la problématique politique soulevée et la critique sociale, et en même temps, pleine d’humour. Roman Gary a dû beaucoup s’amuser en l’écrivant, pour notre plus grand plaisir !

Lady L., Romain Gary, Folio n°304, janvier 2022, 251 p.

Chevreuse, Patrick Modiano

Pas de chroniques depuis deux mois car, même si les lectures se sont enchaînées, bien peu m’ont « transportée ». Ce terme ancien n’est plus utilisé et pourtant il évoque ce que j’attends d’une lecture, m’émouvoir, m’étonner, me ravir, me captiver et bien sûr, induire une réflexion et laisser des traces… Alors, j’hésite à me tourner pendant quelques temps vers des classiques. En attendant, heureusement, il y a Modiano !

Dès les premières pages, nous voici plongés dans cette atmosphère modianesque que j’aime tant : la musique de son écriture est rassurante, elle nous conduit « sur une frontière étroite entre la réalité et le rêve », à la recherche de souvenirs qui n’en sont pas toujours, de demi-oublis et autres impressions de déjà-vu, si chers à l’auteur.

Nous, (lecteurs assidus de Modiano), nous constituons prisonniers volontaires d’une sorte de brouillard temporel indéfinissable qui habille une époque révolue. Elle nous est désormais familière et par là-même rassurante, mais elle reste inquiétante : car il y a toujours une énigme, plus ou moins trouble et angoissante mais rarement très grave, même si elle est permanente : c’est celle qui dissimule l’écoulement du temps sous un voile léger que l’on peut soulever mais jamais retirer, au grès des souvenirs qui vont et viennent, jusqu’à disparaître avec les années et avec nos vies. Et pourtant, cette atmosphère n’est pas triste, mélancolique certes, mais aussi envoûtante.

Cette fois, c’est dans la vallée de Chevreuse et à Auteuil que commence sa nouvelle recherche. Le narrateur songe et se laisse traverser par des pensées, des détails, des sonorités. « Chevreuse » fait partie de ces noms dont les sons lui rappellent quelque chose, Auteuil également. Comme un titre de chanson, « Douce dame » interprétée par Serge Latour, ou « Tête de mort », le surnom donné à Camille, cette jeune femme étrange à la voix douce qui fredonnait la chanson de Latour. « Mais comment mettre en ordre tous ces signaux et ces appels en morse, venue d’une distance de plus de cinquante ans, et leur trouver un fil conducteur » ?

Modiano déroule la bobine, libérant des impressions et laissant réapparaître au grand jour des noms jusque-là enfouis dans sa mémoire. Les souvenirs se précisent, des lieux surgissent, des événements minuscules refont surface et donnent lieu à de nouvelles interrogations. Que se passait-il dans cet appartement d’Auteuil ? Pourquoi tant de gens s’y retrouvaient-ils, la nuit venue ? Appeler au téléphone Auteuil 15.28, était-ce l’assurance de tomber sur des gens peu fréquentables ?

Modiano est fidèle à lui-même, usant des mêmes procédés, faisant revivre un passé flou, fait de souvenirs personnels et de références à certains de ses romans, avec son écriture si particulière, distanciée et pourtant précise. Peut-être écrit-il toujours le même livre, mais c’est à chaque fois une histoire nouvelle que nous lisons. Ainsi, Modiano réussit-il, avec « Chevreuse » à faire revivre ses fantômes et à créer une histoire très différente des autres. Ce trentième roman, est donc pour moi, comme beaucoup d’autres de Modiano, un régal de lecture grâce au plaisir d’avoir été dépaysée et apaisée à la fois. Un roman qui doit se lire lentement, et qui distille pendant longtemps en nous ses réflexions énigmatiques…

Coup de coeur 2021 !

Chevreuse, Patrick Modiano, Gallimard, Paris, octobre 2021, 159 p.

Au bon roman, Laurence Cossé

« Au bon roman » est un excellent roman, l’accroche est facile, même si certains trouveront contestable l’idée qui l’anime, toute relative, mais qui a le mérite de nous faire réfléchir : les romans peuvent-ils être catégorisés en fonction de leur valeur littéraire et surtout, où se trouve la limite permettant de définir une œuvre comme étant de qualité et une autre, sans intérêt littéraire ?

C’est pour mettre en pratique cette idée qu’une riche italienne, Francesca, a décidé d’ouvrir une librairie où l’on ne trouverait que de bons romans. Quel fervent lecteur n’a pas rêvé de passer des heures dans un tel endroit qui ne recèlerait que des trésors ?

« -Et dire que tant de gens autour de moi se plaignent de ne rien trouver de bon à lire. Quelle aberration.

-Quel dommage. Alors que vous et moi découvrons chaque mois un chef-d’œuvre. C’est que quatre-vingt-dix pour cent des romans qui se publient sont « des livres que c’est pas la peine » comme les appelait Paulhan. La critique ne devrait parler que des autres, mais elle est paresseuse et frivole. »

Et le projet est bien ficelé : Francesca dispose du local, un magnifique magasin en plein cœur du centre intellectuel et culturel de la capitale. Elle en déniche également le responsable, un libraire autodidacte passionné, Yvan Georg, dit Van ; ensemble, ils forment un comité de sélection secret composé d’excellents auteurs qui fournissent les listes des romans qui figureront dans le stock de la librairie. Quant à la viabilité financière du projet, Francesca y attache peu d’importance, concevant l’idée comme un mécénat tel qu’il se pratique dans d’autres domaines artistiques.

Bien sûr, un tel projet n’est pas du goût de tous et suscite rapidement jalousies et rancœurs. Il déchaîne également la concurrence car, contre toute attente, la librairie remporte un immense succès. Mais qui aurait imaginé que les membres du comité auraient risqué leur vie en participant au choix des romans dignes d’intérêt ? Qui est prêt à tuer et pour quelle raison ? Un auteur dont le roman n’a pas été retenu pour être vendu « au bon roman » ?

« Au bon roman » ne parle que de livres, de toutes les façons possibles. Le policier qui mène l’enquête sur les meurtres qui ouvrent le roman est lui-même un fervent lecteur. Le petit monde du livre, libraires, éditeurs, critiques littéraires et médias sont de la partie. Jusqu’aux romans évoqués pour faire partie du stock de la librairie « Au bon roman ». L’auteur nous donne d’ailleurs ici de nombreuses pistes de lecture et j’ai même noté quelques titres parmi les auteurs qui reviennent le plus souvent, tels Cormac Mc Carthy, Carlo Fruttero et Franco Lucentini, Pierre Michon et Marcel Aymé, mais beaucoup d’autres sont cités : amateurs de listes, à vos crayons !

On ne s’ennuie pas une minute dans ce roman qui allie à la fluidité et à la simplicité de l’écriture un fourmillement de références littéraires et culturelles. Il y a matière à réflexion dans ce manifeste en faveur de la bonne littérature, mais pas de la littérature élitiste, comme la profession de foi envers les bons livres l’atteste (p307 et 308 de l’édition Folio). Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur ce roman qui débute comme un polar pour revêtir ensuite diverses formes et nous propose des personnages très intéressants. Au bout du compte, je ne sais toujours pas ce qu’est exactement un bon roman, notion particulièrement subjective, mais je sais aussi que chacun peut accéder à de la bonne littérature et que comme dans beaucoup de domaines, un minimum d’exigence s’impose. C’est aussi à cela qu’on reconnait les bons auteurs… simplicité et hauteur de vue !

Au bon roman, Laurence Cossé, Folio n° 5074, 2010, 469 p

Participation au challenge Objectif Pal chez Antigone

Etés anglais, la saga des Cazalet 1, Elizabeth Jane Howard

Voici ma participation au mois anglais, in extremis, pour cause de vacances hors-saison : j’avais emporté « Etés anglais », le premier volume de la saga des Cazalet, du nom de cette famille aisée de la bourgeoisie londonienne qui se retrouve chaque été à la campagne. Ce fut une belle découverte, même si j’ai dû m’accrocher un peu pendant le premier tiers du roman, le temps de faire connaissance avec les nombreux personnages et de m’habituer à ce type de récit qui s’attache d’abord aux petites choses du quotidien : quelle robe porter, quelle chambre donner à une adolescente mal dans sa peau… ? Est-ce qu’on prend un café ? Oui, mais seulement si tu en prends un… Il s’en est fallu de peu que j’abandonne les Cazalet, mais je suis finalement très contente d’avoir poursuivi !

étés anglais la saga des cazalet

Le roman débute en juillet 1937 dans le Sussex, à Home Place, résidence de William et Kitty Cazalet. Kitty, surnommée La Duche, prépare la maison avec ses domestiques, en attendant l’arrivée des enfants et petits-enfants. Leur fille Rachel, célibataire, vit avec eux, mais les trois garçons vivent à Londres avec leur famille.  L’aîné, Hugh, est rentré de la Grande Guerre amputé d’une main et en proie à de violents maux de tête. Il a deux enfants et sa femme est enceinte au début du récit. Le deuxième fils, Edward, est un homme séduisant à qui tout réussit, marié à une ancienne danseuse étoile et père de trois enfants. Enfin, Rupert, le plus jeune, est professeur et peintre-artiste lorsqu’il en trouve le temps. Il a perdu sa première femme en couches et a épousé ensuite la jeune Zoé qui a du mal à se faire à son statut de belle-mère.

Tout ce petit monde, accompagné de gouvernantes et autres domestiques, vient passer l’été à Home Place où les apéritifs dans le jardin font place à des repas de famille ou à des pique-niques sur la plage. Les paysages enchanteurs, d’un vert tendre tout britannique, les roses du jardin, et la canicule -car il faisait chaud aussi dans les années trente en Angleterre- nous promènent dans ce quotidien privilégié, doux et attachant. Mais derrière les préoccupations des uns et des autres, les petites disputes et les bouderies, apparaissent bientôt des non-dits, des incertitudes et des questions finalement bien plus importantes.

Née en 1923, Elizabeth Jane Howard a sans aucun doute vécu bon nombre de ces moments qu’un don pour l’observation lui permet de retracer avec finesse et psychologie. Sous une apparence d’abord légère, le roman évoque des thèmes beaucoup plus sérieux, le traumatisme qu’a représenté la guerre 14-18, le rôle des femmes et leur difficulté à trouver leur place dans la société masculine de l’époque, l’homosexualité, les relations intra-familiales, la peur des enfants face à la guerre… Dans la seconde moitié du roman, on assiste peu à peu à la montée de l’inquiétude de la famille face aux risques de conflit mondial. On découvre aussi que derrière l’apparente unité de la famille, il existe beaucoup de petits secrets… On ne peut donc pas abandonner la lecture à la fin de l’été 1938. Alors, je ne sais pas si j’irai jusqu’à la fin de la saga, mais il est sûr que je vais me procurer le second tome rapidement !

Etés anglais, La saga des Cazalet 1, Elizabeth Jane Howard, traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff, Quai Voltaire, paris 2020.

 

Lu dans le cadre du mois anglais, du challenge Objectif pal et du challenge Pavé de l’été chez Brizes.

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Efface toute trace, François Vallejo

A la réouverture des librairies, je me suis précipitée pour faire un plein, craignant que l’épisode funeste ne se répète et me laisse sans stock, ce qui n’est pourtant pas près de se produire ! J’ai eu tout de suite l’œil attiré par la couverture rouge et noire des éditions Viviane Hamy et par le nom de François Vallejo, qui m’ont rappelé l’excellent « Hôtel Waldheim » que j’avais tant apprécié il y a deux ans. Un très bon choix que je n’ai finalement pas eu le temps de lire tout de suite, mais avec lequel je me suis régalée :

L’auteur change totalement de lieu, d’époque, et de genre pour nous proposer… le rapport d’un expert en art contemporain ! Dit comme cela, ce n’est guère engageant, et pourtant… On n’a pas le temps de s’ennuyer car on apprend vite que ledit expert a été missionné par un groupe de collectionneurs anonymes qui craignent pour leur vie, depuis que trois décès violents ont eu lieu à Hong-Kong, New-York et Paris et qu’il est apparu dans les milieux initiés que les victimes ont en commun d’être fortunées, bien qu’à des degrés très divers, et surtout, d’avoir collectionné des œuvres d’art contemporain. Notre expert mettra peu à peu en évidence le fait que tous avaient acquis au moins une œuvre d’un artiste inconnu, un certain jv (initiales avec lesquelles il signe en minuscules).

« Le mystère entretenu par un pseudo, l’art de ne pas montrer son visage, sous un chapeau, une casquette, des lunettes noires, visent, chez la plupart des artistes, à amplifier leur notoriété ; chez jv, la dissimulation semble sincère, le devoir de reconnaissance étouffé ».

Qui est ce mystérieux jv ? Connaissait-il les victimes ? Quel art pratique-t-il ? François Vallejo nous propose ainsi un « thriller artistique », écrit avec toute la distance administrative que la rédaction d’un rapport exige. Pourtant le narrateur, au fil de sa rédaction froide et nuancée, commence à se laisser aller à une certaine ironie… et c’est ainsi qu’il nous emporte dans un roman original et très prenant.

En chemin, l’auteur évoque de nombreux thèmes liés à l’art contemporain comme la modernité de l’art collaboratif poussé à l’extrême ou le rôle de l’art moralisateur, la question de ce qui fait un chef-d’œuvre de nos jours, et tant d’autres. Les références à Banksy et à d’autres artistes moins connus du grand public sont nombreuses et ne séduiront pas que les connaisseurs, mais aussi les néophytes comme moi. « Efface toute trace » est un roman intelligent qui m’a fait passer un excellent moment !

Efface toute trace, François Vallejo, Editions Viviane Hamy, septembre 2020, 294 p.

Les brumes de Riverton, Kate Morton

Grace est une très vieille dame, presque centenaire, qui a eu une vie bien remplie et heureuse, malgré quelques périodes difficiles. Mais il y a ce secret et le poids permanent d’une culpabilité très ancienne qu’il impose à Grace depuis si longtemps.

C’est à l’âge de quatorze ans que Grace est entrée au service des maîtres de Riverton, comme l’avait fait sa mère auparavant. D’abord simple domestique, elle devient rapidement la femme de chambre attitrée d’Hannah, une des jeunes filles de la maison. Non sans raison, elle lui vouera une fidélité à toute épreuve…

Bien que ce roman soit de la pure fiction, l’auteur a effectué de nombreuses recherches pour restituer l’atmosphère qui régnait dans la haute société britannique des années 1914 à 1924. Le point de vue adopté est celui de « ceux d’en bas », les domestiques, ce qui donne au roman un petit air de « Downton Abbey ». Les fans de la série devraient donc aimer ce roman.

Comme dans « L’enfant du lac », Kate Morton réussit parfaitement à faire naître un univers et à créer une intrigue fondée sur des secrets de famille. Elle maîtrise la narration à merveille, l’entrecoupant de nombreux retours en arrière et laisse le suspense intact jusqu’à la fin, même si elle sème de nombreux indices depuis le début du roman. Voilà une lecture fluide malgré ses presque 700 pages, et très divertissante ; de quoi passer un bon moment.

Les brumes de Riverton, Kate Morton, traduit de l’anglais (Australie) par Hélène Collon, Pocket n° 13649, 2009, 696 p.

Participation au challenge Objectif Pal chez Antigone

Noces de neige, Gaëlle Josse

En 1881, la fille du grand-Duc Oulianov emprunte le train Nice-Moscou avec toute sa famille après avoir passé l’hiver à Nice, de fêtes en réceptions avec l’aristocratie russe qui vient chaque année profiter de la douceur de l’hiver niçois. Anna Alexandrovna est heureuse, elle a hâte de retrouver sa patrie, mais surtout les chevaux et les concours équestres dans lesquels elle excelle, et enfin, Dimitri Sokolov, le cadet du tsar et l’ami de son frère qui l’a complimentée si ardemment et dont elle s’est aussitôt éprise.

En 2012, c’est en sens inverse que la jeune Irina accomplit le même trajet, pour se rendre au bord de la « Baie des Anges » où l’attend Enzo, avec qui elle échange des messages d’amour depuis six mois sur un site de rencontre. Irina ne veut pas du destin de sa mère, elle veut être heureuse et elle refuse d’avoir froid. Même si elle a menti sur quelques points, Irina est sérieuse et cherche vraiment l’amour, à la différence des nombreuses filles qui ne visent qu’à arnaquer celui qui sera trop naïf, attiré par l’âme et la beauté slaves.

Voilà deux jeunes filles qui se croisent dans le Riviera-Express, à un siècle de distance, et qui sont reliées par une communauté de destin, même si l’une est aristocrate et l’autre n’est qu’une fille du peuple. C’est avec ce court roman que je découvre pour la première fois la belle écriture de Gaëlle Josse, différente d’ailleurs en fonction de l’époque qu’elle évoque : on imagine ainsi parfaitement les moments qui s’écoulent dans le train, ses décors et ambiances, et les paysages traversés.  

Les thèmes évoqués concernent le temps qui passe et les occasions perdues, la beauté que l’on n’a pas toujours et l’amour, l’exil et la poursuite d’illusions.  Le roman dégage une sensation difficile à définir, oscillant entre la poésie et la nostalgie, à l’évocation de ces jeunes filles qui rêvent, doutent, s’interrogent et souffrent de désenchantements et de la difficulté de vivre, tout simplement. La fin inattendue projette sur l’œuvre une mélancolie douce : un beau roman et une belle plume que je vous conseille de découvrir.

Noces de neige, Gaëlle Josse, Editions j’ai lu, 2014, 123 p.

Participation au challenge objectif Pal chez Antigone.

Betty, Tiffany McDaniel

Quand on a un papa qui est allé sur la lune, perché sur le dos d’un « Attrapeur d’Etoiles Agité », ces magnifiques lions noirs chargés de ramasser les étoiles tombées sur terre, on ne peut qu’aimer les histoires. D’ailleurs, le jour où elle cesse de croire aux histoires de son père, Betty se met à en écrire : des histoires qu’elle enfouit sous terre au fil des années. 

Néanmoins gaie, pleine d’entrain et d’attention pour les autres, Betty a beaucoup à raconter : l’écriture devient le réceptacle de sa douleur. Quand on est la sixième d’une famille de huit enfants qui a connu beaucoup de deuils, la vie qui se dévoile peu à peu est rude et sans concessions. Surtout quand se profilent de terribles secrets de famille qui expliquent le comportement parfois fantasque, souvent irrationnel et déséquilibré de la mère. Mais il y a l’amour inconditionnel du père ainsi que sa bienveillance et le monde imaginaire qu’il met à la disposition de ses enfants.

Chez les Carpenter, la vie est difficile également parce que la mère est blanche et que le père est un Cherokee. Betty tient de lui, c’est d’ailleurs la seule des enfants à avoir la peau si foncée, ce qui lui vaut d’être la proie des moqueries des habitants et des écoliers de Breathed, la petite ville de l’Ohio où la famille Carpenter a fini par s’installer. Mais Betty, forte de la tendresse de son père, qui la surnomme « la Petite Indienne » et lui enseigne un peu de la culture des Cherokees, apprend à sécher ses larmes et à garder la tête haute.

Voilà un très beau roman qui évoque l’enfance, la perte des illusions et de l’innocence et qui nous offre un magnifique duo père-fille. Les sept cent pages défilent rapidement car l’écriture fluide et facile à lire n’en n’est pas moins recherchée et poétique. J’ai beaucoup aimé les petits mots pour se souhaiter une bonne nuit que les sœurs gardent précieusement, des mots qui rassurent et qui réparent, comme ceux de Landon, le père, et qui rendront Betty plus forte et l’aideront plus tard, non pas à oublier, mais à prendre son envol.  

Betty, Tiffany McDaniel, traduit de l’américain par François Happe, Gallmeister, 2020, 716 p.

Herland, Charlotte Perkins Gilman

Pour ma deuxième participation à ce mois américain, j’ai choisi un roman qui se trouvait depuis un an dans ma Pal , « Herland, ou l’incroyable équipée de trois hommes piégés au royaume des femmes ». Publié en 1915 sous forme de feuilleton dans un mensuel que l’auteure éditait elle-même, ce roman n’est paru en livre qu’en 1979, au moment de la redécouverte de l’œuvre de cet auteure prolifique. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des ouvrages ayant le plus influencé le mouvement féministe américain et c’est à ce titre qu’il est intéressant et par ce qu’il révèle en creux de la société du début du vingtième siècle.

 

Trois amis américains participant à une importante expédition scientifique, entendirent parler d’un royaume exclusivement composé de femmes et de bébés filles : cette étrange « terre des femmes » d’où personne n’était jamais revenu vivant, devint leur obsession et ils décidèrent de partir tous les trois à sa découverte. Après une préparation sérieuse, Terry, Jeff et Vandyck, le narrateur, se rendirent aux confins de l’Amazonie, tout en devisant sur ce qu’ils s’attendaient à trouver sur place. Comment, à la lumière de leur savoir, pouvaient-ils concevoir un pays sans hommes ?

Ce pays existait pourtant bel et bien et peu après leur arrivée, les trois amis furent capturés sans violence par des « gardiennes » qui mirent en place une « détention pacifique » que les trois hommes n’avaient jamais imaginée. Le but des femmes étant d’en apprendre le plus possible sur une civilisation qu’elles ne connaissaient pas, elles commencèrent par enseigner leur langue aux trois intrus.

La suite de la détention des hommes se passa en de longues conversations au cours desquelles chacun des deux groupes apprenait à l’autre le fonctionnement de la civilisation à laquelle il appartenait. On découvre alors un peuple de femmes qui se reproduit depuis deux mille ans par parthénogénèse. Peu à peu, les femmes ont édifié une société harmonieuse, sans violence et respectueuse de la nature, à partir d’une conception bienveillante de la maternité et de l’éducation, et fondée sur une entente parfaite entre ses membres.

Un siècle après son écriture, ce texte a certes vieilli, mais par certains côtés seulement. Ainsi, la « sororité » parfaite décrite par l’auteur nous paraît impossible ; comme si les femmes étaient toutes dotées de tolérance et pleines d’attentions les unes pour les autres… mais il est vrai qu’il s’agit d’une utopie ! Il y a également l’eugénisme, caractéristique de cette époque, qui est très présent dans le roman. En effet, les femmes de Herland ont contrôlé les naissances pour éviter la surpopulation qui menaçait leur petit territoire, mais ce faisant, elles ont écarté de la fonction reproductrice les filles qui avaient des problèmes physiques et psychologiques, créant ainsi un peuple homogène de souche aryenne et performant sur tous les plans.

Quoi qu’il en soit, le roman reste très intéressant par ce qu’il révèle de la société américaine de l’époque, puisqu’il met l’accent sur ses nombreuses imperfections quant à la place des femmes, comme sur d’autres travers d’ailleurs. Enfin, s’il y a bien un domaine où ce roman est précurseur, voir prémonitoire, c’est celui de l’écologie, puisque les femmes de « Herland » respectent la nature, en préservent la diversité et ont déjà adopté des techniques de permaculture très développées. Voilà donc un court roman d’anticipation, une utopie qui tient un peu de la fable, qui n’est pas inintéressant et que je recommanderais plus particulièrement à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du féminisme.

 

Herland, ou l’incroyable équipée de trois hommes piégés au royaume des femmes, Charlotte Perkins Gilman, traduit de l’américain par Yolaine Destremau et Olivier Postel-Vinay, Books Editions, mars 2018, 207 p.

ou Pavillons poche Robert Laffont dans une autre traduction, 2019, 288 p.

 

 

Participation au mois américain chez Martine et au Challenge Objectif Pal chez Antigone.

Dégels, Julia Phillips

 

Pour cette première lecture du mois américain, j’ai choisi un roman qui se déroule en Russie, et plus précisément au Kamtchatka, cette péninsule lointaine et mystérieuse de l’Extrême-Orient russe qui n’est pas très souvent évoqué dans la fiction. C’est la couverture qui m’a attirée, ainsi que la quatrième de couverture qui fait référence à « la lignée de Laura Kasischke et d’Alice Munro, où l’émotion se mêle au suspense ».

Sophia et Alyona sont sœurs. Elles vivent à Pétropavlosk, une ville du sud de la péninsule du Kamtchatka. Nous sommes en août et les deux petites filles se promènent au bord de l’eau le long de la baie, tandis que leur maman travaille. Elles sont pourtant prévenues des dangers, mais lorsqu’un inconnu, blessé à la cheville, leur demande de l’aide, elle ne se méfient pas. Elles ne réapparaîtront plus et malgré les appels à l’aide de leur mère, la police ne fait qu’une enquête rapide, avant de conclure à une probable noyade.

Dans une autre famille, c’est une jeune fille de dix-huit ans qui a disparu, il y a déjà quelques années. Lilia n’était pas considérée comme une fille sérieuse et les rumeurs sur son compte ont sans doute contribué à écourter l’enquête : elle serait partie vers la ville, peut-être Moscou, en tout cas vers un avenir meilleur, ce que tout le monde feint de croire pour se rassurer.

Douze mois de l’année et douze chapitres qui explorent la vie quotidienne de familles banales, de femmes qui gravitent autour de ces deux familles et qui vivent, chacune à leur façon, ces disparitions : voici un premier roman d’une jeune auteure américaine qui, passionnée par la Russie, a reçu une bourse pour aller passer un an dans cette terre du bout du monde, et qui nous fait découvrir la vie de ces habitants de l’ancienne Union Soviétique, oubliés du miracle économique et qui cherchent à préserver leur identité, leurs spécificités culturelles.

Dans ce roman au suspense diffus mais toujours présent, ce n’est pas l’intrigue qui compte mais la façon dont les femmes vivent ces disparitions. L’auteure explore la douleur des mères des enfants disparus, insistant sur le rôle de l’entourage et même le mal qu’il peut faire inconsciemment, en voulant simplement aider. Et autour d’elles, c’est toute une région qui souffre, s’interroge et n’ose plus laisser ses enfants libres alors que rode peut-être un tueur…

 

Dégels, Julia Phillips, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, J’ai lu n°12810, juillet 2020, 379 p.

 

 

Participation au mois américain chez Martine et au challenge polars et thrillers chez Sharon.