Les mystères de Lisbonne, Camilo Castelo Branco

 

Voici mon deuxième et très certainement dernier pavé de l’été, pour cause de rentrée littéraire qui s’impose, même si chaque année, je me dis que décidément, celle-ci est trop précoce ; pour moi en effet, la fin août, ce sont les moments où il faut profiter des derniers beaux jours, des soirées déjà plus très longues, des stations balnéaires ou des villages de montagne qui se vident et laissent place à une sérénité diffuse et prometteuse ou même, des derniers moments d’insouciance en ville. Et la rentrée littéraire, idéalement, ne devrait avoir lieu que vers la mi-septembre, quand tout est lancé, « rentré dans l’ordre » et qu’on peut lever la tête du guidon !

Si ce rythme déjà effréné s’impose à nous, -commerce oblige-, il nous reste le choix de disserter sur de belles pages, de nous remémorer les beaux moments de lecture que celles-ci nous ont procurés. « Mystères de Lisbonne » en contient quelques-unes et je ne regrette pas un instant cette lecture au long cours, choisie pour deux raisons : d’une part, sa longueur justement, 742 pages me permettant de participer au challenge « Pavé de l’été » et d’autre part, le bandeau efficace présentant ce livre comme « le chef d’œuvre de la littérature portugaise ». Si cela doit être long, autant que ce soit un chef-d’œuvre, et en même temps, voilà de quoi remédier à mon ignorance en matière de littérature portugaise !

« Mystères de Lisbonne » est un classique, publié au Portugal en 1854, représentatif des romans feuilletons de l’époque. Joao, un orphelin de quatorze ans, interne dans un collège religieux, ignore tout de ses origines lorsqu’il rencontre une jeune femme très émouvante dont il apprend rapidement qu’elle n’est autre que sa mère. Fille de la noblesse, Dona Angela a eu l’enfant de ses amours illégitimes avec un fils de nobles dont elle était éperdument amoureuse. Mariée ensuite de force par son père au Comte de Santa Barbara, elle se consume en regrets, tandis que son mari lui fait cruellement payer le mensonge de son père, quand il apprend que Dona Angela est déjà mère.

Heureusement, le père Dinis, aidé par sa sœur, la douce Dona Antonia, a recueilli et élevé Joao. Au début du roman, après avoir favorisé une première rencontre entre la mère et le fils, il aide Dona Angela à s’échapper de la maison du Comte, profitant d’une absence de celui-ci, et la cache chez lui.

« Dona Angela de Lima voyait se déchirer le brouillard qui lui cachait la face obscène du monde. Cependant, par répugnance, par dégoût, il lui semblait impossible de croire à ce visage ulcéreux, sordide de la société. Père Dinis sut que l’heure avait sonné de dessiller les yeux de cette pauvre femme, puisque la trahison, l’imposture, l’infamie assiégeaient son existence. La comtesse de Santa Barbara, tenue à l’écart, depuis ses dix-sept ans, du foyer de la grandeur dans le vice et le luxe, supposait que son père était le premier homme pervers, son mari le second, et que ces deux hommes, une fois retranchés de la famille humaine, laisseraient la société purgée de ses ordures. »

Dona Angela n’est pourtant pas au bout de ses peines, comme l’ensemble des personnages des « Mystères de Lisbonne », dont les aventures, ou plutôt les mésaventures, s’enchaînent. On découvre l’histoire mouvementée et passionnée du père Dinis, homme aux multiples identités, qui a connu « plusieurs vies », puis celle de toute une galerie de personnages.

« Mystères de Lisbonne » est un mélodrame aux multiples rebondissements, qui nous montre les turpitudes de l’âme humaine, mais aussi ses immenses capacités de pardon, de rachat, de rédemption. La société de l’époque, à Lisbonne, Londres et Paris, était hideuse, mais elle était tellement semblable à celle d’aujourd’hui… Paradoxale, elle était aussi le théâtre de passions magnifiques, dans une mélancolie ambiante permanente, qui est sans doute l’expression de la fameuse « saudade » portugaise, ce sentiment particulier et intraduisible mêlant tristesse, nostalgie et espoir.

On retrouve dans ce roman le plaisir de la lecture des grands classiques à feuilleton du dix-neuvième siècle : longues phrases, précision du vocabulaire, richesse de la description des sentiments, importance du fait religieux. « Mystères de Lisbonne », ce sont des élans de lyrisme, qu’il s’agisse de ferveur religieuse ou de flamme amoureuse, qui confinent parfois à la grandiloquence… du moins c’est ce que certains lecteurs ressentiront. Alors, si vous n’aimez pas cela, il vaut mieux vous abstenir, car vous en prendrez pour presque huit cents pages et de très longues heures ! Si au contraire, vous regrettez les classiques de cette époque, il vous suffira de quelques dizaines de pages pour vous réadapter et retrouver le plaisir de ce type de lecture : l’équivalent en littérature des grands espaces en géographie, et c’est quand même très agréable et surtout très enrichissant !

Vivement l’année prochaine et mon prochain pavé de l’été, qui sera classique, assurément !

 

Mystères de Lisbonne, Camilo Castelo Branco, traduit du portugais par Carlos Saboga et Eva Bacelar, Editions Michel Lafon poche, Neuilly-sur-Seine, mai 2018, 742 p.  

 

Lu dans le cadre du challenge Pavé de l’été chez Brizes et du challenge Destination Pal chez Lili Galipette.

 

13 réflexions sur “Les mystères de Lisbonne, Camilo Castelo Branco

  1. Ce livre, déniché dans une boite à livres, est dans ma PAL depuis un moment mais je n’imaginais pas une telle histoire. Ton avis me donne envie de le lire mais, la littérature classique n’étant pas du tout ma tasse de thé, j’hésite aussi beaucoup. Bon, de toute façon, je n’ai pas le temps de lire 800 pages maintenant, trop de nouveautés se poussent au portillon 🙂

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